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Shinrin Yoku – Les bienfaits d’un bain de forêt confirmés par la médecine

Page de garde du livre "Shinrin youku" du Dr. Quing Li
Dr Qui Li Shinrin yoku – l’art et la science du bain de forêt First, 2018

Nombre de personnes apprécient un séjour en pleine nature et tout particulièrement en forêt. Le fait que ce soit une expérience non seulement agréable mais aussi régénérante est une affaire de bon sens. Il se trouve que des médecins japonais ont étudié scientifiquement cette question et ont confirmé l’importance de ces bienfaits. Loin d’être un caprice de scientifiques en recherche d’un sujet, ceci a un impact sur la manière dont nous devrions vivre nos vies, y compris professionnelles, sur l’importance de protéger nos forêts ainsi que sur la manière dont dont nous devrions aménager nos villes, nos maisons et nos lieux de travail.

L’ouvrage du Dr. Quing Li, médecin immunologiste, a été publié au début de l’année 2018 [1]. Au premier abord, il peut paraître étrange à l’européenne que je suis. Comment se fait-il que des médecins s’intéressent à un tel sujet ? Aussi intéressant et important soit-il, ce dernier est-il abordable par des études scientifiques ? N’est-ce pas étonnant qu’un tel ouvrage nous provienne du japon, pays qui nous semble être un des symboles de la modernité et de la vie urbaine ?

A y regarder de plus près, se préoccuper du bien-être d’une population de 127 millions d’habitants qui vit pour l’essentiel dans de gigantesques centres urbains est certainement un enjeu d’une énorme importance pour le Japon. Par ailleurs, nombre de japonais sont extrêmement attachés à leurs forêts. Quant à lui, l’auteur est resté connecté à ses propres perceptions et sensations, sans quoi ce savoir (et cet ouvrage) n’aurait pas pu voir le jour.

Ce livre de près de 300 pages est richement illustré. Il a clairement été écrit pour les non-japonais avec nombre de précisions sur des éléments de vocabulaire et de culture pertinents pour le sujet. Il a été écrit pour le grand public et il est très agréable à lire. Une petite bibliographie à la fin liste les principales études sur lesquelles il est basée, ce qui contribue à confirmer le sérieux de ce dernier.

L’auteur y présente l’art du bain de forêt à la japonaise, des séjours entre deux et quatre heures dans des lieux choisis, idéalement de belles forêts primaires (mais un parc doté de beaux bosquets d’arbres à feuilles persistantes et de conifères peut aussi faire l’affaire) et les bienfaits qu’il y a lui-même trouvé depuis son enfance. En nous présentant le contexte de cette pratique, il met en lumière le fait que, en même temps que les japonais sont totalement impliqués dans une vie urbaine trépidante, ils n’ont pas perdu leur connexion à la nature et cette dernipre imprègne très profondément leur culture.

Parmi plein d’éléments, les trois suivants m’ont particulièrement frappée :

« […] Yügen – la beauté et le mystère de l’univers, nous renvoie à ce monde, mais suggère quelque chose de situé bien au-delà.“

« […] Selon les deux religions officielles du japon, le shintoïsme et le bouddhisme, la forêt est le royaume du divin. Pour les bouddhistes zen, les textes sacrés sont écrits dans le paysage. Le monde naturel est le livre de Dieu. »

« […] Shizen, (qui se traduit par « nature » ou « naturel ») est l’un des sept principes de l’esthétique zen. Le shizen renvoie à l’idée que nous sommes tous connectés à la nature émotionnellement, spirituellement et physiquement et que plus une chose est proche de la nature plus elle est agréable. »

Ce qui est fascinant, c’est que non seulement un bain de forêt est quelque chose de très agréable, mais qu’il a des bienfaits qui sont essentiels important pour équilibrer notre vie actuelle, et il est possible de les décrire et de confirmer scientifiquement leur existence :

  • Facilitation du retour à l’instant présent

  • Diminution du stress et détente

  • Diminution de la pression artérielle

  • Amélioration des fonctions cardiovasculaire et du métabolisme

  • Diminution du taux de glycémie

  • Amélioration de la concentration et de la mémoire

  • Réduction de la dépression

  • Abaissement du seuil de la douleur

  • accroissement de d’énergie de la personne

  • Renforcement du système immunitaire

  • Accroissement de la production de protéines contre le cancer

  • Facilitation de la perte de poids

Et tout cela a été vérifié expérimentalement et mesuré…

De ce fait, le shinrin yoku est devenu une pratique encadrée par un programme sanitaire national, et nombre de forêts sont encore plus protégées qu’avant afin de la favoriser. Il en va de même de parcs urbains. D’autres pays, dont la Corée sont en train d’emprunter le même chemin.

L’auteur prend grand soin d’expliquer comment pratiquer le shinrin yoku, l’art du bain de forêt, comment y impliquer tous ses sens, quels chemins emprunter, comment prendre le temps d’être et de respirer tout simplement. Ses propos sont, par moments, très didactiques, mais je les sens aussi habités de beaucoup d’expérience.

Ce que l’auteur en déduit quant à l’aménagement de nos villes, de nos maisons et de nos bureaux me semble largement aussi important que tout ce qui précède. Nos villes doivent être vertes, elles doivent regorger d’arbres, les grands parcs y sont essentiels et ces derniers ne doivent en aucune manière être sacrifiés à la « densification urbaine » qui est devenue le nouveau mantra à la mode. Nos maisons aussi doivent être pleines de bois et de plantes, pas n’importe lesquelles, certaines étant plus adaptées à certaines pièces que d’autres. Quand nous n’avons pas de vue sur la nature, nos décors (photos, posters, etc.) doivent y suppléer. Les sons de la nature sont aussi très importants et ils ont leur place dans nos lieux de vie. Tout cela est encore plus indispensable dans nos bureaux où nous passons une très grande partie de nos vies, et le plus souvent dans un stress certain!

Cet ouvrage m’a fascinée. En même temps que j’ai pris le temps de le découvrir, une fois que je l’ai ouvert je ne l’ai plus lâché. Ce dont il parle me paraît essentiel pour l’équilibre de nos vies. Il se trouve aussi que nos forêts sont contiennent une forte proportion d’arbres à feuilles persistantes, dont les conifères, qui émettent des substances, les phytoncides, qui ont une grande part dans les effets du shinrin yoku sur notre organisme. Autant en profiter !

Même si le terme de sylvothérapie a été créée en français comme un équivalent du terme japonais de shinrin yoku, je serais heureuse que ce dernier s’impose et devienne la marque de cette pratique. Cette dernière est multidimensionnelle et, pour moi, le terme japonais englobe ces différents aspects, ce que le terme français ne fait pas. C’est aussi une manière de rendre hommage aux êtres qui ont pris le temps de mettre des mots sur cette pratique, qui ont travaillé dur pour en faire quelque chose de reconnu et documenté et c’est aussi un hommage à la culture dont elle est issue.

Accessoirement, je constate que plusieurs ouvrages sont publiés sur cette même thématique presque en même temps que celui-ci et une petite bibliographie figure ci-dessous.

[1] Dr QING LI ; Shinrin Yoku – L’art et la science du bain de forêt – Comment la forêt nous soigne ; First ; 2018

[2] Yoshifumi Miyazaki ; Shinrin yoku : Les bains de forêt, le secret japonais pour apaiser son esprit et être en meilleure santé ; Guy Trédaniel ; 2018

[3] Jean-Marie Defossez ; Sylvothérapie : Le pouvoir énergétique des arbres ; JOUVENCE ; 2018

[4] Eric Brisbare ; Un bain de forêt Broché ; Marabout ;2018

[5] Laurence Monce ; Ces arbres qui nous veulent du bien – A la découverte des bienfaits de la sylvothérapie ; Dunod ; 2018

[6] Clemens G. Arvay ; L’effet guérisseur de l’arbre : Les bénéfices émotionnel, cognitif et physique de la biophilie ; Le Courrier du Livre ; 2016

[7] M-Amos Clifford ; Le guide des bains de forêt ; Guy Trédaniel ; 2018

Souffrance au travail, l’éléphant dans la pièce

Affiche "we can do it" de 1943
We Can Do It! de J. Howard Miller, 1943. Source: Wikipedia et Wikimedia

En plus du chômage, très important dans nombre de pays, une proportion importante des personnes qui ont un emploi en souffrent fortement, au point d’avoir besoin de médication, de vivre des burnout (« bore out », « brown out », etc.) à répétition et de voir leur vie fortement entravée sans pour autant trouver de piste de sortie.

La situation est documentée par certains acteurs, en particulier les sociologues et les psychologues du travail. Les faits sont clairs et le problème va croissant. Les médias en parlent de temps à autre. Mais rien ne change. En fait, les acteurs politiques et économiques nient jusqu’à l’existence du problème, nient l’existence d’une crise très importante même dans les pays qui vivent un chômage plus réduit qu’ailleurs et osent affirmer que si des personnes ont des difficultés, cela est dû à des difficultés et des faiblesses personnelles. Ce faisant, ils confirment les mécanismes de maltraitance et d’écrasement des personnes mis en lumière par les personnes mentionnées précédemment.

Autant ce problème est majeur pour un nombre croissant de professions, de personnes travaillant dans des entreprises et des institutions publiques, autant même les syndicats ne semblent pas s’être emparés de cette problématique et de lui avoir accordé l’importance qu’elle mérite. Le fait qu’elle touche particulièrement le monde des services et des institutions publiques, univers souvent moins syndiqués que d’autres domaines professionnels peut expliquer une partie de ce manque de prise en charge. Mais cela ne l’explique qu’en partie et cela ne résout rien.

Nombre de personnes s’efforcent de tirer leurpropre épingle du jeu. Certaines peuvent avoir assez d’astuce, de relations ou de chance pour réussir. Le sort des autres est nettement moins évident. En ce qui me concerne, même si je salue le fait qu’un certain nombre de personnes arrivent à s’en sortir et à trouver une situation plus satisfaisante pour elles, il me semble que, ce faisant, elles confirment le succès d’un des mécanismes d’oppression qui est mis en jeu, qui consiste à isoler les personnes les unes des autres et à faire croire que les problèmes qu’elles rencontrent sont des problèmes personnels, pas la résultante d’une volonté et de mécanismes d’oppression imposés à des centaines de millions de personnes.

Je crains que la situation ne changera pas tant que les personnes qui vivent ce genre de souffrance et la grande masse des personnes travaillant dans le monde des services ne se syndicaliseront pas massivement, quitte à créer de nouvelles institutions au passage si c’est nécessaire, et tant qu’elles ne s’uniront pas pour imposer cette problématique et exiger une humanisation de leurs activités professionnelles.

Comme modeste contribution à cette lutte qui doit encore être menée, voici des éléments de documentation que j’ai trouvé dans mes propres recherches, et qui pourront servir à d’autres. Les références qui figurent ci-dessous documentent le caractère de « mal de société » que représente aujourd’hui la souffrance au travail, ainsi que les mécanismes d’oppression qui sont à l’œuvre.

 

Vincent de Gaulejac 

  • Travail, les raisons de la colère, Points, 2015 (pour l’édition de poche)
  • Le capitalisme paradoxant. Un système qui rend fou, Le Seuil, 2015
  • La société malade de la gestion : Idéologie gestionnaire, pouvoir managérial et harcèlement social, Points, 2009 (pour l’édition de poche)
  • Manifeste pour sortir du mal-être au travail, Desclée de Brouwer, 2012
  • La lutte des places, Desclée de Brouwer, 2014 (pour l’édition actuelle)
  • Vidéos online : https://www.youtube.com/results?search_query=Vincent+de+Gaulejac

 

Christophe Dejours

  • Souffrance en France. La banalisation de l’injustice sociale, Points, 2014 (pour l’édition de poche)
  • TRAVAIL, USURE MENTALE, Bayard, 2015 (pour l’édition actuelle)
  • L’Évaluation du travail à l’épreuve du réel : Critique des fondements de l’évaluation, Inra, 2003
  • Vidéos online : https://www.youtube.com/results?search_query=Christophe+Dejours

 

Isabelle Méténier

 

Christelle Mazza

  • Harcèlement moral et souffrance au travail dans le service public : Spécificités du service public, Prévenir le risque psychosocial, Réparer et combattre le harcèlement moral, Analyse de cas pratiques, Puits Fleuri, 2014
  • Vidéos online : https://www.youtube.com/results?search_query=Christelle+Mazza

 

Marie Pezé 

 

Publications accessibles online

  

Articles de presse :

Se réveiller au milieu d’un champ de bataille

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Image créée par une lectrice du Monde et diffusée sur les réseaux sociaux. Source: http://start.lesechos.fr/actu-entreprises/technologie-digital/attentat-a-nice-solidarite-et-hommages-sur-facebook-et-twitter-5274.php

 

7 juin 2016, Istanbul, 11 morts.

9 juin 2016, Tel-Aviv, 4 morts.

12 juin 2016, Orlando, 49 morts et 53 blessés.

13 juin 2016, Magnanville, 2 mort.

27 juin 2016, Al-Qaa, Liban, 5 morts et 28 blessés.

28 juin 2016, Istanbul, 45 morts et 239 blessés.

30 juin 2016, Djakan, Cameroun, plus de 10 morts.

2 juillet 2016, Dacca, Bangladesh, 20 morts.

3 juillet 2016, Bagdad, 292 morts et plus de 200 blessés.

4 juillet 2016, Médine,  4 morts et 4 blessés.

5 juillet 2016, Hassaké, Syrie, au moins 16 morts et 40 blessés.

14 juillet 2016, Nice, plus de 84 morts.

12 massacres en un mois et demi.

Source: https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_d%27attaques_terroristes_islamistes#2016

 

Que nous le voulions ou non, nous nous réveillons sur un champ de bataille. Pire encore, nombre des criminels qui ont commis ces horreurs sont natifs du lieu où elles ont été commises.

Nous pensions vivre en paix, et nous nous retrouvons, très vulnérables, dans monde devenu terriblement fragile. Même si je n’ai pas été directement victime de ces horreurs, je me sens touchée et concernée, comme des dizaines de millions d’autres personnes qui aspirent avant tout à vivre paisiblement.

 

Après l’attentat de Nice, le psychiatre Boris Cyrulnik a considéré que nous sommes confrontés à une situation dans laquelle nous sommes sommés de faire preuve de résistance [1].

Un autre apport qui me semble pertinent est un article de Rebecca Traisler qui fait remarquer que, en tout cas pour ce qui concerne les massacres commis en Europe et aux États-Unis, les criminels qui les ont commis ont ceci en commun qu’ils ont tous commencé par pratiquer abondamment les violences domestiques avant d’aller plus loin [2]. J’espère de tout mon cœur que les états et les services de sécurité entendront le message et cesseront de traiter ce genre de violence avec la légèreté et la négligence dont ils font preuve actuellement.

Dans une situation de résistance telle que la nôtre, il ne fait aussi guère de doute que les états vont continuer à renforcer les mesures de contrôle et de prévention, en espérant que ces dernières portent leurs fruits. Certaines personnes exigent qu’on arme les populations. Qu’on l’espère où qu’on le craigne, c’est probablement juste une question de temps, et de l’attentat de trop. L’appel d’un ministre français à ses concitoyens « pour qu’ils rejoignent les réserves stratégiques » [3] va dans ce sens.

Et que faisons-nous individuellement ? En Suisse, il semblerait que le nombre de permis d’achat d’armes ait augmenté de 20% et que ce soit plus ou moins directement lié à la situation en Europe, même si la Suisse n’a pas été victime d’attentats [4].

Quoi que nous fassions, ou ne fassions pas, il me semble essentiel de tout faire pour éviter de « tomber du côté obscur de la force » et pour ne éviter de perdre ce qui nous est essentiel. En des temps aussi troublés, c’est plus facile à dire qu’à faire.

Il y a quelques mois, je suis tombée par hasard sur un texte de la nonne zen Joshin Bachoux qui a été confrontée directement à cette situation dans le quartier où elle vit à Paris. Que faire pour nous qui ne sommes ni policiers, ni juges, ni agents de renseignements, ni soldats?

Sa réponse à elle n’est pas d’agir ou de ne pas agir.  Elle est d’un tout autre ordre, elle parle de « Tourner sa lumière vers l’intérieur et voir clairement sa véritable nature » [5]. En d’autres termes, il est question de prendre le temps de revenir régulièrement en son centre, de rester présent-e-s à nous-mêmes, de nous nourrir de ce qui nous est essentiel, de tout faire pour préserver et faire grandir notre propre lumière, qui nous sommes au plus profond de nous-mêmes. Pour Joshin Bachoux, cela passe par la méditation et par Zazen. Pour d’autres, le chemin sera tout autre. Ne pas oublier de rire, l’expression créative et artistique, la contemplation de la beauté peut être particulièrement important pour de nombreuses personnes.

Si nous arrivons à faire en sorte que notre manière d’être et ce que nous faisons soient teintés de cette lumière qui émane du plus profond d’entre nous, l’essentiel pourra être préservé.

 

[1] http://www.rts.ch/la-1ere/programmes/tout-un-monde/7865307-tout-un-monde-du-15-07-2016.html#7865306

[2] http://nymag.com/thecut/2016/07/mass-killers-terrorism-domestic-violence.html

[3] http://www.liberation.fr/france/2016/07/16/appel-de-bernard-cazeneuve-a-rejoindre-la-reserve-operationnelle_1466624

[4] http://www.rts.ch/info/suisse/7375099-hausse-des-demandes-de-permis-d-achat-d-armes-dans-douze-cantons.html

[5] http://www.larbredeleveil.org/lademeure/spip.php?article58 . Pour sa rédaction, elle s’est elle-même aidée de : http://www.lionsroar.com/koans-for-troubled-times/

 

Changement climatique: le vertige de l’abime?

Climate campaign slogan - "Climate Chaos Who is to Blame" on Columbus Monument, Barcelona
Climate campaign slogan – « Climate Chaos Who is to Blame » on Columbus Monument, Barcelona, source: wikimedia commons

 

Dans le cadre de son journal du matin du 10.05.16, la radio Suisse Romande interviewait Dominique Bourg, professeur ordinaire à l’Institut de Géographie de l’Université de Lausanne (1), membre du Comité de veille écologique de la Fondation Nicolas Hulot et d’un certain nombre d’autres organisations qui se préoccupent de l’environnement. Il est également auteur et coauteur de plusieurs livres sur ce même thème.

Le sujet de ce matin était les suites de la conférence COP21 à Paris qui a abouti au fait qu’un très grand nombre de pays se sont mis d’accord sur un objectif de limitation de la hausse de la température moyenne à 1.5 degré, accord qui a déjà été signé par plus de 150 pays.

Durant son intervention ((2), (3)), il a mentionné que le contenu de l’accord de la COP21 est la cerise d’un gâteau (les mesures concrètes et le financement) dont même la couche de fond manque encore. Non seulement les états ne se mobilisent pas pour faire avancer concrètement les choses, mais ils contribuent plutôt à les dégrader encore plus en envisageant des accords comme le projet d’accord TAFTA qui sont susceptibles de mettre en danger ce qui existe en matière de protection de l’environnement. Ce qu’on constate aussi, c’est que la fréquence des pétitions concernant les urgences environnementales et la destruction du peu qui reste des forêts primaires (voir, par exemple (4)) n’a pas diminué d’un seul iota.

Autre problème clef, même si le film « demain » (5) est enthousiasmant et s’il montre une minorité de personnes convaincues et très actives, la majorité des peuples d’occident est loin de se mobiliser. Dominique Bourg estime que la population suisse contient environ 30% de personnes climatosceptiques qui sont sourdes à toute information ou tout message mobilisateur. Quant au 70% qui reste, il est composé pour l’essentiel de personnes qui restent passives. Il ajoute que tant que le danger ne sera pas concret cette majorité de personnes n’est pas susceptible de se mobiliser, d’agir par elle-même et de faire pression sur ses politiques pour que ces derniers prennent enfin leurs responsabilités. Le drame, c’est qu’avec un mécanisme comme le réchauffement climatique, le jour ou le danger sera concret et à notre porte, il sera beaucoup trop tard. Les conséquences seront bien plus lourdes et se feront sentir pendant bien plus longtemps.

Pour ma part, je crains que cet observateur avisé ne soit très lucide.

En remontant l’information à partir de cet interview, je suis tombée sur un article daté de 1967 et que je ne peux que qualifier de « prophétique ». Il s’agit de « The Historical Roots of Our Ecologic Crisis » de Lynn White, Jr. publié dans le très prestigieux journal Science (Science, Vol . 155, No. 3767 (March 1967), pp. 1203-1207 . ©1967 by the AAAS, (6)). Je vous encourage à le lire par et pour vous-même (vous avez le lien à la fin de l’article).

Professeur d’histoire médiévale, Lynn Townsend White Jr (7) a écrit en 1967 un article qui n’a pas pris une ride et qui serait parfaitement publiable aujourd’hui. Non seulement il est complètement moderne alors qu’il a été écrit il y a 50 ans, mais il met l’accent sur quelque chose qui est bien trop rarement traité, à savoir l’enracinement de la crise actuelle dans nos mentalités et dans notre héritage religieux, et cet héritage provient du christianisme.

La particularité de cet héritage est qu’il contient un mythe de création (dans la genèse) qui place l’homme, et en l’occurrence le mâle, en dehors de la nature, qui fait des femmes de simples domestiques des hommes et il donne mission aux hommes de régner sur tout ce qui vit et de mettre tout le vivant à leur service. Le deuxième élément du drame, c’est la manière dont le christianisme s’est développé en occident, qui a fait de l’activité et de l’action une valeur cardinale. De ce fait, la domestication de la nature avait déjà commencé en plein haut moyen-âge avec l’invention de la charrue, bien des siècles avant la révolution industrielle. Là où cette dernière joue un rôle majeur, c’est qu’elle a associé aux technologies toute la puissance des sciences en plein développement. Tout cela a continué de plus belle et nous savons où nous sommes arrivés aujourd’hui.

En d’autres termes, non seulement nous faisons face à des puissances d’argent dont le seul moteur est la rapacité, non seulement nous faisons face à une classe politique inféodée auxdites puissances d’argent et totalement incapable de prendre ses responsabilités sans une pression énorme de la rue (et même dans ce cas, ça n’est pas gagné), non seulement nous faisons face à une majorité probablement bienveillante, mais incapable de se mobiliser comme dans de très nombreuses causes (« all that is required for evil to triumph is for good men to do nothing », Edmund Burke, (8);  « the world will not be destroyed by those who do evil, but by those who watch them without doing anything », Albert Einstein (9)), mais l’arrière-plan spirituel dont est issu l’occident rend particulièrement difficile le changement de paradigme que nous devons opérer! Alors même que nous devons nous remettre au milieu de la nature et des autres êtres vivants, alors que nous devons réaccorder à cette dernière sa valeur sacrée et spirituelle qui nous aide à la respecter, le risque est très grand de voir à la place une fuite en avant de plus.

Il est très difficile de surmonter un obstacle qui n’est même pas reconnu et qui parle de la dimension religieuse de la crise environnementale aujourd’hui ? La profondeur de l’enracinement de ce conditionnement fait qu’il sera très difficile à surmonter. Pour s’en convaincre, il suffit de voir les difficultés dont souffrent encore aujourd’hui les personnes végétariennes en occident (voire, par exemple (10)), eux qui souffrent depuis l’antiquité de s’opposer à un conditionnement qui est lui aussi d’origine religieuse (l’ordre social de cités antiques fondé, entre autres, sur le sacrifice d’animaux et sur la consommation rituelle de ces derniers).

Pour passer par-dessus cet obstacle, il est entre autres nécessaire qu’une forme de spiritualité autre prenne la place de celle qui nous entrave. Même si des formes de néo-chamanisme ont repris pied en occident, cette pratique reste très minoritaire et elle n’a pas, tout au moins actuellement, l’aspect rassembleur qui est nécessaire pour permettre un changement de société. En fait, même si les pratiques spirituelles chrétiennes traditionnelles ont fortement diminué, la majorité des personnes d’aujourd’hui se définit comme « distanciée » par rapport à ces pratiques et pas comme en recherche d’autre chose (voir (11)). Ceci correspond parfaitement au poids du fond spirituel et culturel du christianisme dans la vie de 90% de la population.

En d’autres termes, malgré la nécessité impérative de changer nos vies et nos pratiques à l’échelle individuelle et sociétaire, la résistance est telle qu’il est parfaitement possible que nous n’y arrivions pas… Et nous devons prendre cela en compte.

 

(1) http://igd.unil.ch/dominiquebourg/

(2) http://www.rts.ch/info/sciences-tech/7710863-contre-le-rechauffement-climatique-on-pense-encore-qu-on-a-le-temps.html

(3) https://www.rts.ch/la-1ere/programmes/l-invite-du-journal/7693862-dominique-bourg-philosophe.html

(4) https://www.sauvonslaforet.org/petitions/1051/non-au-developpement-propre-au-mepris-des-indiens?mtu=155932856&t=1891

(5) http://www.demain-lefilm.com/

(6) http://www.theologylived.com/ecology/white_historical_roots.pdf

(7) https://en.wikipedia.org/wiki/Lynn_Townsend_White,_Jr.

(8) https://en.wikiquote.org/wiki/Edmund_Burke

(9) https://en.wikiquote.org/wiki/Albert_Einstein

(10) https://labyrinthedelavie.net/2015/07/13/le-vegetarisme-pour-les-non-vegetariens/

(11) https://labyrinthedelavie.net/2015/02/04/spiritualites-a-lere-du-je/

 

Jusqu’aux limites de l’humanité

40555
Svetlana Alexievitch La guerre n’a pas un visage de femme J’ai Lu

 

Avec son prix Nobel de littérature 2015, les ouvrages de Svetlana Alexievitch ont acquis en occident une visibilité infiniment supérieure à la notoriété dont ils pouvaient jouir jusqu’alors. Ils ont mis en lumière l’existence d’une femme très courageuse, qui parcourt l’empire russe avec son enregistreur, qui interviewe des centaines de personnes le temps nécessaire pour que ces dernières puissent exprimer le noyau essentiel de ce qu’ils ou elles ont vécu, de ce qui les a marqués, ou traumatisés.

Elle traite de thématiques graves, pour ne pas dire terribles. Avec son premier ouvrage, « La guerre n’a pas un visage de femme », elle a donné la parole à des centaines de femmes russes qui ont vécu la Seconde Guerre mondiale en tant que soldates.

Elle prend grand soin de les rencontrer seule à seule ou avec quelques autres femmes afin de s’assurer que leurs paroles sont libres et qu’elle ne se réduit pas à l’héroïsme officiel dont a été entourée en Russie cette guerre effroyable.

Elle œuvre un peu comme une peintre pointilliste, témoignage après témoignage. Il faut prendre le temps d’écouter l’une après l’autre la parole de toutes ces femmes pour voir un tableau se dégager.

L’image qui en sort est celui de très jeunes femmes de quatorze, quinze ou 16 ans, enthousiasmées par l’idéal communiste, qui ont vu leur père, leur oncle leurs frères partir pour se battre et pour qui il était inimaginable que cette lutte se passe sans elles. Sans avoir la moindre idée de ce qu’elles allaient affronter, elles ont fait le siège des bureaux de recrutement pour pouvoir y aller elles aussi. Et les recruteurs ont fini par céder.

Elles se sont retrouvées dans une armée absolument pas préparée à les accueillir et embarquées dans un affrontement effroyable qui a fait des dizaines de millions de morts. Elles y ont connu l’enfer, la tragédie, la souffrance, parfois l’amour, ou des moments d’une paix irréelle, la faim, la terreur, la rage, la haine, la douleur, la pitié et bien d’autres choses encore.

Certaines ont survécu. Elles ont recommencé à vivre, tant bien que mal. Tout n’a pas repris comme avant. Leur pays, leurs maisons avaient été dévastés il a fallu tout reconstruire. Elles ont dû vivre comme elles le pouvaient avec ce que nous appelons maintenant des stress posttraumatiques très graves. Certaines ont perdu leur santé sur le front, ou ont été amputées ou ont été marquées à vie de quelque autre manière.

Nombre d’hommes qui avaient appris à les considérer en camarades et en égaux sur le front les ont rejetées. Il n’était pas question pour eux de se marier avec leurs compagnes de lutte. Elles se sont retrouvées seules.

Et le discours officiel a fait exclusivement dans l’héroïsme exacerbé pendant des décennies. Elles se sont retrouvées bâillonnées.

Arrive Svetlana Alexievitch et son enregistreur. Pour la première fois de leur vie, elles ont pu parler et dire ce qu’elles avaient vraiment ressenti, ce qui les a marquées, le fond de leur douleur ou de ce avec quoi elles vivent depuis si longtemps.

En occident, on aurait parlé de « débriefing ». On aurait parlé d’une auteur qui prend le rôle d’accoucheuse et qui permet aux personnes qu’elle interroge de se libérer un tant soit peu de ce qu’elles portent depuis si longtemps.

Dans l’URSS de Mikhail Gorbatchev, cet ouvrage a été un choc. Le choc a été tel que l’auteure a dû rudement batailler avec la censure pour qu’il soit publié (en 1983). Et, alors que cet ouvrage est fondamentalement humain, elle a acquis l’image d’une opposante politique et d’une ennemie de la Russie.

Il faut dire aussi qu’elle ne s’est pas arrêtée aux rescapées de la Seconde Guerre mondiale. Elle a remis la compresse avec la guerre d’Afghanistan (les cercueils de zinc), Tchernobyl (la supplication) et d’autres situations tout aussi terribles. On n’en sort encore plus marqué que de la lecture de son premier ouvrage.

Dans tous ses écrits, l’auteure interroge les limites de ce que c’est que d’être humain. Elle le fait dans le but de défendre la valeur et le caractère essentiel de cette humanité. Dans un entretien consacré à son œuvre, elle indique, que, au sujet  des femmes vétéranes de la Seconde Guerre mondiale : « ce qui m’a le plus frappé, c’est que ces femmes avaient pitié des Allemands. À l’école on nous apprenait à ne pas avoir pitié des ennemis. Mais la guerre, pour ces femmes, n’était pas enserrée dans les lois écrites par les hommes » (*). Au sujet de Tchernobyl, elle indique que : »Avec Tchernobyl, nous sommes entrés dans un monde inédit. Nous avons compris que le progrès technique représente une voie suicidaire. Il s’agit d’une guerre d’un nouveau type, dans laquelle l’homme ne se combat pas seulement lui-même, mais le vivant en général : les plantes et les animaux, la terre et le ciel ». Quelle clairvoyance!

Si son œuvre a un volet politique, ce que certains lui reprochent, c’est à force d’exposer le vécu des êtres qui ont été emportés dans la tourmente et ce qu’ils ont vécu dans leur chair. Elle n’est pas directement militante. Ces récits mis bout à bout parlent d’eux-mêmes. Il lui suffit de les exposer. Mais cela donne à sa voix et aux milliers de parcours de vie qu’elle met en lumière une portée qu’ils ne pourraient pas avoir sans cela.

En témoignant avec un très grand courage et une constance inébranlable de l’horreur qu’ont engendrés ces moments de l’histoire elle se pose en témoin d’humanité de ce qu’il faut faire pour faire cesser cette folie.

(*) Svletlana Alexievitch, Oeuvres, Actes Sud 2015

 

 

 

 

Consommation de viande, santé, réchauffement climatique, préservation de l’environnement et malnutrition : une entreprise de déni à l’échelle planétaire

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La nef des fous, fragments d’un triptyque de Hieronymus Bosch, huile sur panneau de chêne,vers 1494-1510, musée du Louvre, source: wikimedia commons

 

Le 26 octobre 2015, l’OMS émettait une déclaration d’agence de presse dans laquelle elle annonçait  « un Groupe de travail de 22 experts venus de 10 pays différents, réuni par le Programme des Monographies du CIRC, a classé la consommation de la viande rouge comme probablement cancérogène pour l’homme (Groupe 2A), sur la base d’indications limitées selon lesquelles la consommation de viande rouge induit le cancer chez l’homme, soutenues par de fortes indications d’ordre mécanistique militant en faveur d’un effet cancérogène » ([1]). Cette annonce était complétée d’annonces complémentaires ([2], [3], [4]).

Elle ne fait que confirmer et officialiser ce que nombre d’acteurs disent depuis de nombreuses années, à savoir que la consommation excessive de viande et de produits carnés peut induire des problèmes de santé chez certaines personnes. Mais s’il était possible de rester sourd à ces informations, en refusant de prendre en compte la légitimité des arguments de leurs auteurs, le fait que l’OMS confirme ces affirmations avec tout le poids de son autorité rend ce déni beaucoup plus difficile.

Et la réaction ne s’est pas faite attendre. Une opération médiatique de déni et de mise sous le tapis de cette information a été promptement organisée, avec le concours de toute la presse. C’est ainsi qu’on a rapidement vu apparaître des articles dans lesquels les journaux se sont dépêchés d’insister sur le fait qu’on ne savait pas bien comment cela marchait. Ils ont pris grand soin de rappeler que les professionnels de la vente de viande n’étaient pas contents, comme si ces derniers avaient une quelconque compétence en matière de santé et comme s’ils n’avaient aucun intérêt à la promotion de leurs propres produits (voir, par exemple : [5]). Dans la même opération de lessivage, un journal interroge un sociologue et prend grand soin de rapporter que, selon lui, « Cet événement est totalement disproportionné par rapport à la valeur intrinsèque des résultats » ([6]). Là encore, là légitimité de cette personne à mettre en cause ces résultats et les éléments sur lesquels il se base n’est en aucune manière interrogée. Il faut rassurer à tout prix et dire aux personnes « vous pouvez, et même devez continuer à manger de la viande comme avant !« .

Se doutant peut-être que la personne interviewée n’avait pas l’autorité suffisante, ce même journal remet la compresse une fois de plus le lendemain ([7]). Cette fois-ci il convoque le ban et l’arrière ban de la société locale pour marteler le message. Ce faisant, il ne peut éviter de d’admettre que même s’il est faible (ce que dit d’ailleurs l’OMS), le risque de santé induit par la consommation excessive de viande existe. Il ne peut pas non plus éviter de dire que « La consommation de viande a explosé à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La production est alors industrialisée pour nourrir la population. Les produits carnés deviennent un incontournable des repas« .  En d’autres termes, la surconsommation de viande à laquelle nous assistons est un produit de l’industrialisation de la production de viande, pas d’une réflexion sur les besoins réels de l’être humain.

Ce faisant, ces mêmes journaux n’ont pas accordé la moindre ligne aux personnes qui parlent des enjeux de la consommation excessive de viande pour la santé, et souvent depuis des années! L’OMS confirme ce qu’ils disent, mais il ne faudrait quand même pas leur donner le droit à la parole…

La réaction à la publication de l’OMS illustre combien la consommation de viande est encore érigée au rang de pratique sacrée dans nos sociétés et combien toute remise en cause de cette dernière, visiblement même pour des raisons de santé, tient du sacrilège (Voir par exemple [8]). En d’autres termes, une industrie a profité des séquelles qu’a laissé des millénaires de malnutrition et de pauvreté dans nos mémoires pour se développer démesurément, pour engranger énormément de bénéfices et pour acquérir une influence totalement démesurée sur la société. Elle y a réussi en faisant croire que c’est son existence (et la consommation intensive de ses produits) qui nous protège d’un passé terriblement douloureux. Toute personne qui conteste cet ordre établi peut alors être facilement mise au pilori.

Ça n’est pas que cette réaction soit unanime. Les dissidences existent (voir par exemple [9]). Mais elles restent minoritaires, et la légitimité de choix différents en matière d’alimentation est sans cesse remise en cause par les adeptes de l’alimentation carnée à tout prix.

Aujourd’hui l’industrie de la consommation forcenée de produit carnés s’est développée au point de menacer notre santé et aussi de menacer notre planète ([10], [11]). A lui seul, le secteur de l’élevage contribue à hauteur de 14.5% des émissions de gaz à effets de serre produits par les êtres humains. A ceci, il faut ajouter les conséquences de la production et de la transformation des aliments destinés au bétail et les conséquences des déchets produits par les animaux (voir aussi [12], [13], [14] & [15]). Tout aussi grave, la surconsommation effrénée de viande a un impact très significatif sur la faim dans le monde ([16]) et sur la préservation des espaces sauvages et la déforestation (cf. références précédentes).

Alors même que nous produisons assez pour nourrir la planète toute entière, une proportion démesurée des surfaces arables et des cultures sont utilisées pour l’élevage, ce qui est très inefficace et qui prive les humains d’une nourriture utilisable directement. Et pour disposer de suffisamment de terres arables, on détruit à marche forcée les derniers espaces sauvages dont la préservation est pourtant absolument vitale, alors que tout cela est évitable.

Une des conséquences du changement climatique est qu’il n’est plus possible de refuser tout changement de notre alimentation sans que cela ne contribue à des conséquences catastrophiques qui vont durer des décennies, voire plus. Il n’est plus possible de refuser de changer tant que l’autre ne l’a pas fait le premier ou de se mettre la tête sous le sable. Quels que soient les commandements dont nous avons hérité au fil des générations, nous devons réviser notre alimentation, ne consommer que ce dont nous avons réellement besoin, et dans des quantités raisonnables. Il n’est plus possible de suivre aveuglément le mouvement, les commandements de sociétés qui ont disparu il y a plusieurs millénaires, ni les commandements d’une industrie qui ne vise que ses propres bénéfices à court terme et qui est dénuée de toute éthique.

Références:

[1] Le Centre international de Recherche sur le Cancer évalue la consommation de la viande rouge et des produits carnés transformés – http://www.who.int/mediacentre/news/releases/2015/cancer-red-meat/fr/

[2] Cancérogénicité de la consommation de viande rouge et de viande transformée: http://www.who.int/features/qa/cancer-red-meat/fr/

[3] Déclaration de l’OMS sur le lien entre la viande transformée et le cancer colorectal: http://www.who.int/mediacentre/news/statements/2015/processed-meat-cancer/fr/

[4] Cancérogénicité de la consommation de viande rouge et de viande transformée: http://www.who.int/features/qa/cancer-red-meat/fr/

[5] Viandes «cancérogènes»: les professionnels ripostent: http://www.24heures.ch/economie/viandes-cancerogenes-professionnels-ripostent/story/14016300

[6] Viande cancérogène: un «buzz toxique»: http://www.24heures.ch/monde/viande-cancerogene-buzz-toxique-certains/story/23831672

[7] «Non, il ne faut pas arrêter de manger de la viande»: http://www.24heures.ch/suisse/faut-arreter-manger-viande/story/24701029

[8] Le végétarisme pour les non-végétariens: https://labyrinthedelavie.net/2015/07/13/le-vegetarisme-pour-les-non-vegetariens/

[9] Adieu steak et saucisse: https://www.bluewin.ch/fr/conso/blog-durabilite/2015/15-11/adieu-steak-et-saucisse-.html

[10] Lutter contre le changement climatique *grâce* à l’élevage – Une évaluation des émissions et des  opportunités d’atténuation au niveau mondial: http://www.fao.org/3/a-i3437f/index.html

[11] Chapitre 3: Bilan global http://www.fao.org/3/a-i3437f/I3437F03.pdf

[12] 4 minutes pour comprendre le vrai poids de la viande sur l’environnement: http://www.lemonde.fr/planete/video/2015/03/20/le-vrai-poids-de-la-viande-sur-l-environnement_4597689_3244.html

[13] Consommation responsable – L’impact de l’élevage sur l’environnement: http://www.extenso.org/article/l-impact-de-l-elevage-sur-l-environnement/

[14] Impact environnemental de la production de viande: https://fr.wikipedia.org/wiki/Impact_environnemental_de_la_production_de_viande

[15] Les conséquences écologiques de la consommation de viande: http://www.vegetarismus.ch/info/foeko.htm

[16] Élevage et sous-alimentation: http://www.viande.info/elevage-viande-sous-alimentation

[17] Pourquoi et comment végétaliser notre alimentation: http://www.viande.info/fichiers/pdf/viande.pdf

 

Du changement climatique, de la liberté d’expression et de ce qui relève parfois du devoir de s’informer

 

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Au moment où à lieu une grande conférence sur le changement climatique (1) et où de nombreuses personnes oeuvrent à la faire échouer, il peut être utile de revenir aux fondamentaux, à savoir qu’est-ce que le climat, comment on le définit, comment on le connaît, comment il évolue et comment on sait ce qu’on sait à son sujet.

Ce domaine est particulièrement complexe et sa compréhension nécessite un savoir raffiné et étendu. C’est indispensable pour pouvoir comprendre et juger les affirmations des uns et des autres au sujet dudit changement climatique.

Sur ce sujet, on ne peut pas accuser les institutions qui oeuvrent à réduire autant que faire se peut les conséquences de ce dernier de travailler dans le secret. L’intégralité des publications du GIEC est disponible publiquement et gratuitement (2), Les principes de fonctionnement de cette institution sont décrits et documentés (3) et, plus important encore, la manière dont cela marche concrètement est également documentée (4).

Pour comprendre ce que le GIEC dit vraiment, quelles sont les zones de certitudes et d’incertitudes, les luttes d’influence qui le traversent, la solidité des conclusions axuquelles il aboutit, il n’y a pas d’autre solution que d’examiner avec soin les documents qu’il présente. Cela peut être intimidant. Par exemple, le document décrivant la manière dont les groupes de travail fonctionnent et comment le contenu des rapports est sélectionné fait 39 pages (5). Il faut prendre le temps et faire l’effort de le lire avec attention pour comprendre comment ces documents sont rédigés. Le « résumé managérial » (comme on dit) du rapport de synthèse globale fait 32 pages (6). Le rapport de synthèse lui-même fait 151 pages. Et ces documents ne décrivent que le « quoi », c’est à dire le « ce qu’on pense qui est en train de se produire, les conséquences les plus probables et ce qu’on peut faire pour réduire le mal ». Il ne décrit pas le « comment », c’est à dire sur quoi on se base pour faire de telles affirmations, comment on sait que ce qui est dit par la comunauté des climatologues tient la route, quels sont les points d’incertitudes, de débat et d’interrogation.

Là encore, l’information n’est pas cachée. Elle est disponible et gratuite et se trouve dans le même site web, dans les documents de détails des trois groupes de travail qui constituent le GIEC. Les documents de synthèse de ces groupes font, pour certains, plus de 250 pages, et les rapports de détail plus de 1500! Si on veut vraiment savoir jusqu’où ce qui est dit tient la route, il n’y a pas d’autre choix que de faire l’effort de lire attentivement ces rapports détaillés, et de confronter sa compréhension de ces derniers avec des professionnels qui ont les connaissances nécessaires pour répondre à nos questions, interrogtions, contestations, demandes de précisions, etc. C’est un effort très important et tout le monde n’a pas nécessairement le temps ni l’envie de le faire. C’est compréhensible. Mais c’est ainsi.

Mais il est d’autant plus important qu’un très grand nombre de personnes fassent cet effort, que certains groupes ont tout intérêt à ce que rien ne change et ils sont prêts à tout, y compris au pire, pour y arriver. Il y a  tout ceux qui sont au service du dieu argent et qui ont fait vocation de mettre la Terre à sac. Il y a également son allié traditionnel, à savoir la mouvance proche des ultra-conservateurs et fondamentalistes de tous poils qui, de fait, agissent comme les alliés du premier groupe. Ils utilisent toutes les techniques manipulatoires qu’ils ont utilisé (et utilisent encore) pour essayer de promouvoir les théories créationnistes dans les écoles ou bloquer toute évolution sociale pour de tenter de saper les efforts qui sont faits pour éviter une catastrophe climatique.

Dans ces techniques, il y a les lectures superficielles, partielles, biaisées de la documentation sur le changement climatique. Il y a l’utilisation d’un détail, d’un point de discussion et d’incertitude pour tenter d’en faire une pierre d’achoppement qui mine l’ensemble de l’argumentaire. Il y a le mensonge pur et simple (par exemple affirmer que tel ou tel point n’a pas été traité dans les études, alors que c’est faux et documenté, mais dans les rapports de détails que trop peu de personnes lisent. Ceux qui agissent de la sorte utilisent la liberté d’expression pour tenter de la subvertir.  Ils prétendent que d’affirmer tout et n’importe quoi (y compris des choses totalement fausses) fait partie de leur liberté d’expression et que toutes les personnes qui les contrent violent cette dernière (8). C’est très exactement ce que ces personnes ont fait et continuement de tenter de faire sur les enjeux que j’ai mentionné précédemment.

C’est pour éviter qu’ils ne réussissent un jour à avoir un impact qu’il est essentiel qu’un maximum de personnes se renseignent en profondeur, lisent par elles-mêmes toute ou partie de la documentation du GIEC (au moins le rapport de synthèse complet) et cherchent à comprendre ce qu’est le climat et comment il marche.

Afin de mettre le pied à l’étrier, de commencer par une lecture accessible qui décrive ce qu’est le climat, comment on le définit, ce qu’on en connaît, comment il a évolué tout au long de l’histoire, comment on sait ce qu’on sait à son sujet, il existe un bel ouvrage, richement illustré qui plus est en langue française, et accessible à un large public (9). J’ai mis sa page de garde en tête de cet article. Je ne peux que vous recommander de prendre le temps de le lire avec soin. Ce sera une lecture utile.

(1) http://www.cop21.gouv.fr

(2) https://www.ipcc.ch/publications_and_data/publications_and_data.shtml

(3) https://www.ipcc.ch/organization/organization_procedures.shtml

(4) https://www.ipcc.ch/meeting_documentation/meeting_documentation.shtml

(5) https://www.ipcc.ch/pdf/ipcc-principles/ipcc_principles_french/ipcc-principles-appendix-a-final_fr.pdf

(6) https://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/syr/AR5_SYR_FINAL_SPM.pdf

(7) https://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/syr/SYR_AR5_FINAL_full.pdf

(8) Voir, par exemple, l’interview du prof Martin Beniston sur la RTS: https://www.rts.ch/la-1ere/programmes/medialogues/7195962-medialogues-du-07-11-2015.html#7195959

(9) Marie-Antoinette Mélières et Chloé Maréchal; Climats passé, présent, futur, Belin 2015 http://www.editions-belin.com/ewb_pages/f/fiche-article-climats-26943.php?lst_ref=1

De l’altérité et de la magnificence des arbres

LivreFrançois Hallé, Plaidoyer Pour l'arbre
François Hallé, Plaidoyer Pour l’arbre

Quand la vie devient plus légère et fluide, il y a aussi plus de temps pour goûter les bonnes choses de la vie. Ca commence, bien sûr, par les toutes petites, comme un magnifique lever de soleil dans un paysage de montagne, ou des fleurs tardives qui s’ouvrent en fin de saison. Cela inclut aussi le bonheur de goûter la joie de vivre et d’être qui monte du tréfond de nous-même et c’est infiniment précieux. Cela inclut aussi du temps pour l’ouverture, le yin, la réceptivité, l’accueil, la contemplation, l’émerveillement. Cela aussi est infiniment précieux.

Il est parfois des livres dont la lecture correspond à cette qualité d’être au monde. Je fais cette expérience avec deux ouvrages du botaniste Francis Hallé, à savoir « Plaidoyer pour l’arbre »(1) et « Plaidoyer pour la forêt tropicale »(2).

Dans « Like a tree » (3), Jean Shinoda Bolen avait abordé la valeur psychologique et spirituelle des arbres pour nous. En botaniste, Françis Hallé met toute son énergie à nous faire découvrir les arbres dans leur altérité, et s’efforçant de les décrire tels qu’ils sont, et aussi en diffusant et en « vulgarisant » les progrès que nous avons fait dans leur compréhension depuis les dernières années.

LivreFrançois Hallé, Plaidoyer pour la forêt tropicale, Actes Sud
François Hallé, Plaidoyer pour la forêt tropicale, Actes Sud

Francis Hallé est un être humble qui aime profondément les arbres depuis sa plus petite enfance et qui le dit clairement (4). C’est aussi un être passionné qui s’efforce de faire connaître, aimer et respecter les arbres par un maximum de personnes.

L’écriture fine dont il fait preuve résonne en moi à plusieurs niveaux simultanément. Il y a certainement le niveau cognitif. Il décrit les arbres et certaines de leurs caractéristiques exceptionnelles en botaniste. Mais son texte éveille aussi en moi de l’émerveillement et du respect pour ces êtres si différents de nous, si anciens, si complexes et sophistiqués. C’est tout au fond de moi que je me sens touchée et que je vibre. Face à des êtres aussi magnifiques, je sens que la place juste de l’être humain dans ce monde, c’est de se mettre à l’écoute et au service de la nature et non de la mettre en esclavage et en coupe réglée. Alors même qu’il s’agit de l’ouvrage (magnifiquement vulgarisé) d’un scientifique, sa force est de pouvoir toucher à une dimension existentielle et spirituelle en nous. Pour moi, c’est très précieux.

NB : Françis Hallé s’est fait connaître du grand public en participant à un film (5) et à un livre (6) qui ont eu un certain impact.

(1) Francis Hallé, Plaidoyer pour l’arbre, Actes Sud, 2005

(2) Francis Hallé, Plaidoyer pour la forêt tropicale, Actes Sud, 2014

(3) Jean Shinoda Bolen, Like a Tree: How Trees, Women, and Tree People Can Save the Planet, Conari Press, 2011

(4) Voir le début de la conférence filmée de Françis Hallé au sujet de « Plaidoyer pour l’arbre » :

http://www.dailymotion.com/video/x14z488_conference-de-francis-halle-plaidoyer-pour-l-arbre-1-2_news

http://www.dailymotion.com/video/x14z3es_conference-de-francis-halle-plaidoyer-pour-l-arbre-2-2_news

(5) Luc Jacquet, Il était une forêt, Frenetic F, 2014

(6) Françis Hallé, Luc Jaquet, Il était une forêt, Actes Sud, 2013

Traverser les épreuves malgré tout

Femme irakienne (kurde?) à l'entrainement.  Source: Wikimedia http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Female_iraqi_soldier_with_a_Kalashnikov.JPEG )
Femme irakienne (kurde?) à l’entrainement.
Source: Wikimedia http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Female_iraqi_soldier_with_a_Kalashnikov.JPEG )

 

Depuis quelques mois, nous voyons de nombreuses femmes prendre les armes dans une région du monde, le moyen orient, qui nous semblait plus connue pour son caractère patriarcal et pour sa violence que pour la place des femmes dans la vie publique. Visiblement, l’apparition d’un mouvement totalitaire de plus, connu pour les horreurs qu’il commet a été la goutte de trop. Il a convaincu ces nombreuses femmes de s’engager les armes à la main pour défendre leurs droits leur liberté et leur dignité.

Je ne suis pas sûre que la majorité d’entre elles se soit jamais imaginée dans un statut de soldat il y a même quelques années. Mais trop c’est trop. Et le rôle qu’elle jouent dans la défense de villes comme Kobané montrent qu’elles sont courageuses, déterminées et fort compétentes au point que l’une d’entre elles a pris la tête de la résistance locale aux fondamentalistes. Une fois la paix revenue, il faudra compter avec elles.

Même en Europe, elles surprennent. Ici aussi les stéréotypes et les vision essentialistes sont loin d’avoir disparu. Ces femmes nous prouvent qu’elles peuvent être des soldates de premier ordre et qu’elles ont la même capacité que les hommes à faire face aux situations les plus extrêmes.

Elles ne sont certainement pas épargnées par la violence des combats. Elles meurent, elles sont blessées, voire mutilées. Elles souffrent dans leur chair elles aussi. Elles aussi ont vu leurs proches massacrés. Elles ont certainement des hauts et des bas. Certaines sont plus résistantes que d’autres. Pourtant elles continuent la lutte et elles affrontent le poids effroyable de mort qui s’est abattu sur leur région. Ce faisant, elles nous rappellent que, d’être une guerrière ne signifie pas traverser de pareilles épreuves sans en être affectée et sans en souffrir, loin de là. Mais c’est avoir le courage et la détermination de les traverser malgré tout.

Pour cela, elles ont toute mon admiration et mon respect.

Spiritualités à l’ère du « Je »

 

One of the many Native Alaskan totem poles on display at Sitka National Historical Park, Alaska. Photograph by Robert A. Estremo, copyright 2005.
One of the many Native Alaskan totem poles on display at Sitka National Historical Park, Alaska. Photograph by Robert A. Estremo, copyright 2005.

 

Traditionnellement, la Suisse a accordé peu de priorité à la recherche en sciences sociales. Il y a cependant au moins une exception, à savoir la sociologie de religions, qui est régulièrement stimulée par des programmes de recherches pluriannuels. Ces derniers donnent très souvent lieu à des publications intéressantes.

Le dernier, le programme national de recherche No 58 dont le titre était «collectivités religieuses, état et société» (1), s’est terminé en 2012. Son module No 5, qui s’intéressait à la manière dont les Suisses et les Suissesses se situent par rapport aux religions et à la spiritualité (2) va enfin voir ses résultats paraître en langue française sous une forme étendue. Jusqu’à maintenant, seuls des résumés étaient disponibles online (3). L’ouvrage qui décrit ses résultats de manière plus approfondie est paru en 2014 en langue allemande (5). et il va paraître en langue française aux éditions Labor et Fides dans les jours qui viennent (6). Je trouve juste regrettable que le titre originel (« Religion und Spiritualität in der Ich-Gesellschaft») ait été traduit en («Religion et spiritualité à l’ère de l’ego»). En allemand, le «ich» est le «je». Le traduire par le terme «d’égo» porte indirectement un jugement de valeur négatif sur le «je» en question.

Sur le fond, le constat de ce programme de recherche est intéressant à plusieurs titres:

  • Les «institutionnels», pratiquants (catholiques et réformés) assidus et aux valeurs très conservatrices, sont clairement minoritaires (17%)
  • En regroupant 10% de la population, les «séculiers» (indifférents ou antireligieux) sont toujours minoritaires, mais ils sont clairement visibles.
  • La grande majorité de la population (64%) se définit comme «distanciée». Sans rejeter complètement son appartenance à une institution religieuse, sa pratique est très occasionnelle et la religion a, en fait peu d’importance pour elle.
  • Il existe une dernière minorité qui devient elle aussi visible, à savoir les personnes «alternatives» qui représentent 9% de la population. On retrouve dans cette catégorie des personnes ayant de très nombreuses approches (bouddhistes, tantriques, yogis, praticien-ne-s du chamanisme et/ou des formes féminines de spiritualité, etc.). Toujours selon cette étude, ce sont les membres de ce groupe qui ont les valeurs les moins conservatrices.

Contrairement à ce que certains avaient prédits, la Suisse du début du 21ème siècle ne s’est pas recentrée autour des phénomènes religieux. Elle n’est pas non plus devenue fortement séculière, même si ce groupe est en nette progression. D’aucuns diront qu’elle est dans un entre deux qui est typiquement suisse.

Avec 64% de distancié-e-s, il est clair que les Suissesses et les Suisses ne font plus confiance, ou, en tout cas, n’ont plus une confiance aveugle, dans les institutions religieuses traditionnelles.

Avec 9% d’alternatif-ve-s, il y a au moins une minorité qui se sent tentée d’expérimenter autre chose qui pourrait mieux lui correspondre. Cette minorité est souvent regardée avec suspicion. Ses pratiques sont soupçonnées de sectarisme, source de nombreux dangers. De toute évidence, le risque est réel et il arrive régulièrement que des groupes soient dénoncés pour des pratiques douteuses. Mais est-ce qu’il est moindre dans les groupes majoritaires? Ca n’est pas parce qu’ils ont pignon sur rue et qu’ils sont fortement implantés depuis des siècles que leurs pratiques sont nécessairement différentes. Sans remonter au Kulturkampf, force est de constater que ce sont ces mêmes groupes qui se sont massivement mobilisés contre l’avortement, qui continuent à vouloir réduire les femmes à l’état de domestiques, qui ont lutté contre le partenariat civil enregistré (et le mariage pour tous en France), contre toute forme d’adoption par les couples hétérosexuels, qui prétendent toujours avoir toute la vérité à eux seuls, etc.

Il me semble que le fait de promouvoir des chartes de bonnes pratiques que devraient respecter tous ces groupes (minoritaires ou non) pourrait contribuer à mettre des garde fous et à limiter les conséquences en cas de dérive, en tout cas parmi les groupes qui les respecteraient.

La toute première de ces pratiques, qui devrait aller de soi, serait d’exiger une révision des comptes par une institution fiduciaire externe.

La deuxième consisterait pour ces institutions à proclamer qu’elles ont conscience de représenter un chemin parmi d’autres, qu’elles admettent ne pas avoir toute la vérité (tout au plus elles cherchent la leur) et qu’elles s’engagent à ne pas vouloir imposer leurs règles et leurs comportements à la société civile.

La troisième consisterait à proclamer que l’institution a pour valeur fondamentale le respect de l’autonomie de chaque personne, y compris de ses membres et y compris vis à vis d’elle-même. Pour ce faire, elle prend plusieurs mesures:

  • Elle s’engage à ne pratiquer aucune discrimination qu’elle qu’elle soit, y compris de race, de sexe, de genre, d’orientation sexuelle, d’identité de genre ou pour quelque autre motif que ce soit
  • Elle exige de chaque personne engagée en son sein de se faire superviser (pour leur pratique au sein de l’institution) à ses frais, par une personne officiellement agréée et complètement indépendante de l’institution.
  • Elle exige de chaque personne engagée en son sein de travailler à son développement personnel, là encore à ses frais et par une personne complètement indépendante de l’institution.
  • Elle institue une commission chargée de traiter les plaintes (non respect, manquement à l’éthique, etc.). Cette commission a un pouvoir de décision et elle est composée au moins pour moitié de personnes indépendantes de l’institution.
  • Elle mandate une commission de «révision éthique» elle aussi externe afin d’arbitrer les questions de conflits de pouvoir, d’influence, les désaccords majeurs, voire les dissidences.
  • Elle organise des mécanismes permettant aux personnes de la quitter aisément et sans pression du groupe.
  • Elle organise des mécanismes permettant aux sous-groupes dissidents de se séparer aussi paisiblement que possible. En se constituant en groupes autonomes, ces derniers doivent reprendre ces obligations à leur propre compte.

Tout cela peut paraître très administratif. Mais les scandales qui éclaboussent certaines groupes, dont des groupes ayant des centaines de millions de membres de par le monde, montre que tous profiteraient de règles de ce type.

Sans être parfaites, elles constitueraient des garde-fous relativement solides. Ces derniers pourraient aider les personnes à chercher leur chemin là où elles le sentent juste avec un minimum de garanties de sécurité.

Elles permettaient aussi à des groupes alternatifs d’établir le sérieux de leur comportement et de leur pratique. Ceci pourrait aussi contribuer à permettre à plus de personnes de tirer parti de facettes de l’expérience humaine qu’ils portent et qui peuvent être précieux pour de très nombreuses personnes.

(1) PNR 58: Collectivités religieuses, état et société: http://www.nfp58.ch/f_index.cfm

(2) Module 5: les différentes formes de la vie religieuse: http://www.nfp58.ch/f_projekte_formen.cfm?projekt=137

(3) Collectivités religieuses, état et société (résumé des résultats): http://www.nfp58.ch/files/downloads/NFP58_SS25_Stolz_fr.pdf

(4) La religion à l’ère de l’égo: http://www.snf.ch/fr/pointrecherche/newsroom/Pages/news-141027-communique-de-presse-religion-ere-ego-pnr-58.aspx

(5) J. Stolz, J. Könemann, M. Schneuwly Purdie, T. Englberger & M. Krüggeler (2014). Religion und Spiritualität in der Ich-Gesellschaft. Vier Gestalten des (Un-)Glaubens. Zurich: TVZ/NZN.

(6) J. Stolz, J. Könemann, M. Schneuwly Purdie, T. Englberger & M. Krüggeler (2015). Religion et spiritualité à l’ère de l’ego. Quatre profils d’(in-)fidélité. Genève: Labor et Fides.