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Shinrin Yoku – Les bienfaits d’un bain de forêt confirmés par la médecine

Page de garde du livre "Shinrin youku" du Dr. Quing Li
Dr Qui Li Shinrin yoku – l’art et la science du bain de forêt First, 2018

Nombre de personnes apprécient un séjour en pleine nature et tout particulièrement en forêt. Le fait que ce soit une expérience non seulement agréable mais aussi régénérante est une affaire de bon sens. Il se trouve que des médecins japonais ont étudié scientifiquement cette question et ont confirmé l’importance de ces bienfaits. Loin d’être un caprice de scientifiques en recherche d’un sujet, ceci a un impact sur la manière dont nous devrions vivre nos vies, y compris professionnelles, sur l’importance de protéger nos forêts ainsi que sur la manière dont dont nous devrions aménager nos villes, nos maisons et nos lieux de travail.

L’ouvrage du Dr. Quing Li, médecin immunologiste, a été publié au début de l’année 2018 [1]. Au premier abord, il peut paraître étrange à l’européenne que je suis. Comment se fait-il que des médecins s’intéressent à un tel sujet ? Aussi intéressant et important soit-il, ce dernier est-il abordable par des études scientifiques ? N’est-ce pas étonnant qu’un tel ouvrage nous provienne du japon, pays qui nous semble être un des symboles de la modernité et de la vie urbaine ?

A y regarder de plus près, se préoccuper du bien-être d’une population de 127 millions d’habitants qui vit pour l’essentiel dans de gigantesques centres urbains est certainement un enjeu d’une énorme importance pour le Japon. Par ailleurs, nombre de japonais sont extrêmement attachés à leurs forêts. Quant à lui, l’auteur est resté connecté à ses propres perceptions et sensations, sans quoi ce savoir (et cet ouvrage) n’aurait pas pu voir le jour.

Ce livre de près de 300 pages est richement illustré. Il a clairement été écrit pour les non-japonais avec nombre de précisions sur des éléments de vocabulaire et de culture pertinents pour le sujet. Il a été écrit pour le grand public et il est très agréable à lire. Une petite bibliographie à la fin liste les principales études sur lesquelles il est basée, ce qui contribue à confirmer le sérieux de ce dernier.

L’auteur y présente l’art du bain de forêt à la japonaise, des séjours entre deux et quatre heures dans des lieux choisis, idéalement de belles forêts primaires (mais un parc doté de beaux bosquets d’arbres à feuilles persistantes et de conifères peut aussi faire l’affaire) et les bienfaits qu’il y a lui-même trouvé depuis son enfance. En nous présentant le contexte de cette pratique, il met en lumière le fait que, en même temps que les japonais sont totalement impliqués dans une vie urbaine trépidante, ils n’ont pas perdu leur connexion à la nature et cette dernipre imprègne très profondément leur culture.

Parmi plein d’éléments, les trois suivants m’ont particulièrement frappée :

« […] Yügen – la beauté et le mystère de l’univers, nous renvoie à ce monde, mais suggère quelque chose de situé bien au-delà.“

« […] Selon les deux religions officielles du japon, le shintoïsme et le bouddhisme, la forêt est le royaume du divin. Pour les bouddhistes zen, les textes sacrés sont écrits dans le paysage. Le monde naturel est le livre de Dieu. »

« […] Shizen, (qui se traduit par « nature » ou « naturel ») est l’un des sept principes de l’esthétique zen. Le shizen renvoie à l’idée que nous sommes tous connectés à la nature émotionnellement, spirituellement et physiquement et que plus une chose est proche de la nature plus elle est agréable. »

Ce qui est fascinant, c’est que non seulement un bain de forêt est quelque chose de très agréable, mais qu’il a des bienfaits qui sont essentiels important pour équilibrer notre vie actuelle, et il est possible de les décrire et de confirmer scientifiquement leur existence :

  • Facilitation du retour à l’instant présent

  • Diminution du stress et détente

  • Diminution de la pression artérielle

  • Amélioration des fonctions cardiovasculaire et du métabolisme

  • Diminution du taux de glycémie

  • Amélioration de la concentration et de la mémoire

  • Réduction de la dépression

  • Abaissement du seuil de la douleur

  • accroissement de d’énergie de la personne

  • Renforcement du système immunitaire

  • Accroissement de la production de protéines contre le cancer

  • Facilitation de la perte de poids

Et tout cela a été vérifié expérimentalement et mesuré…

De ce fait, le shinrin yoku est devenu une pratique encadrée par un programme sanitaire national, et nombre de forêts sont encore plus protégées qu’avant afin de la favoriser. Il en va de même de parcs urbains. D’autres pays, dont la Corée sont en train d’emprunter le même chemin.

L’auteur prend grand soin d’expliquer comment pratiquer le shinrin yoku, l’art du bain de forêt, comment y impliquer tous ses sens, quels chemins emprunter, comment prendre le temps d’être et de respirer tout simplement. Ses propos sont, par moments, très didactiques, mais je les sens aussi habités de beaucoup d’expérience.

Ce que l’auteur en déduit quant à l’aménagement de nos villes, de nos maisons et de nos bureaux me semble largement aussi important que tout ce qui précède. Nos villes doivent être vertes, elles doivent regorger d’arbres, les grands parcs y sont essentiels et ces derniers ne doivent en aucune manière être sacrifiés à la « densification urbaine » qui est devenue le nouveau mantra à la mode. Nos maisons aussi doivent être pleines de bois et de plantes, pas n’importe lesquelles, certaines étant plus adaptées à certaines pièces que d’autres. Quand nous n’avons pas de vue sur la nature, nos décors (photos, posters, etc.) doivent y suppléer. Les sons de la nature sont aussi très importants et ils ont leur place dans nos lieux de vie. Tout cela est encore plus indispensable dans nos bureaux où nous passons une très grande partie de nos vies, et le plus souvent dans un stress certain!

Cet ouvrage m’a fascinée. En même temps que j’ai pris le temps de le découvrir, une fois que je l’ai ouvert je ne l’ai plus lâché. Ce dont il parle me paraît essentiel pour l’équilibre de nos vies. Il se trouve aussi que nos forêts sont contiennent une forte proportion d’arbres à feuilles persistantes, dont les conifères, qui émettent des substances, les phytoncides, qui ont une grande part dans les effets du shinrin yoku sur notre organisme. Autant en profiter !

Même si le terme de sylvothérapie a été créée en français comme un équivalent du terme japonais de shinrin yoku, je serais heureuse que ce dernier s’impose et devienne la marque de cette pratique. Cette dernière est multidimensionnelle et, pour moi, le terme japonais englobe ces différents aspects, ce que le terme français ne fait pas. C’est aussi une manière de rendre hommage aux êtres qui ont pris le temps de mettre des mots sur cette pratique, qui ont travaillé dur pour en faire quelque chose de reconnu et documenté et c’est aussi un hommage à la culture dont elle est issue.

Accessoirement, je constate que plusieurs ouvrages sont publiés sur cette même thématique presque en même temps que celui-ci et une petite bibliographie figure ci-dessous.

[1] Dr QING LI ; Shinrin Yoku – L’art et la science du bain de forêt – Comment la forêt nous soigne ; First ; 2018

[2] Yoshifumi Miyazaki ; Shinrin yoku : Les bains de forêt, le secret japonais pour apaiser son esprit et être en meilleure santé ; Guy Trédaniel ; 2018

[3] Jean-Marie Defossez ; Sylvothérapie : Le pouvoir énergétique des arbres ; JOUVENCE ; 2018

[4] Eric Brisbare ; Un bain de forêt Broché ; Marabout ;2018

[5] Laurence Monce ; Ces arbres qui nous veulent du bien – A la découverte des bienfaits de la sylvothérapie ; Dunod ; 2018

[6] Clemens G. Arvay ; L’effet guérisseur de l’arbre : Les bénéfices émotionnel, cognitif et physique de la biophilie ; Le Courrier du Livre ; 2016

[7] M-Amos Clifford ; Le guide des bains de forêt ; Guy Trédaniel ; 2018

Liberté émotionnelle …. ou peut-être pas tant que ça

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Kaiseregg im Sonnenuntergang, February 2011 Source wikimedia commons

Bien avant son guide de survie pour personnes empathes, Judith Orloff a publié un texte intitulé « Emotional freedom » [1] dont le but est d’aider les personnes à vivre beaucoup plus sereinement et plus librement leur vie.

Dans ce livre, l’auteure utilise un ton personnel et recourt à ses propres expériences pour décrire cinq thématiques de base, suivi de sept transformations qui ont pour but de nous aider à vivre dans une sérénité certaine et sans plus être affecté-e-s par les aléas de nos vies.

Les thématiques de base qu’elle aborde sont le fait d’avoir un regard positif sur la vie, la gestion de ce qu’elle appelle la « négativité », la manière dont elle recourt aux rêves pour se guider, l’importance d’avoir conscience de son « style émotionnel » (intellectuel, empathe, rocher, l’exubérant-e extraverti-e) avec les forces et faiblesses de chacun. Elle finit cette partie par des outils destinés à aider les personnes à lutter contre les « vampires émotionnels » qui sucent votre énergie et réduisent à néant votre sérénité.

Les sept transformations qui suivent sont : faire face à la peur et construire le courage, faire face à la frustration et construire la patience, faire face à la solitude et construire la connexion, faire face à l’anxiété et construire le calme intérieur, faire face à la dépression et construire l’espoir, faire face à la jalousie et construire l’estime de soi, et, pour finir, faire face à la colère et construire la compassion. Pour chacune d’entre elles, elle donne des outils pratiques, beaucoup basés sur la guidance au travers des rêves, la méditation et la visualisation.

Toutes ces thématiques sont pertinentes, d’une manière ou d’une autre. Par exemple, c’est un fait que d’avoir une vision positive de la vie et de se voir évoluer avec succès est un facteur qui aide nettement plus à réaliser les changements qu’une personne souhaite, que si elle est dans une dépression profonde. Ceci dit, certains sujets qu’elle aborde sont, à mes yeux, considérablement plus complexes que la manière dont elle les traite et certaines thématiques tout aussi pertinentes manquent complètement et c’est parfois assez surprenant.

Dans son texte, elle insiste énormément sur l’importance d’éliminer la « négativité », c’est-à-dire toute sorte d’émotions plus ou moins désagréables, et de les remplacer par de la « positivité », c’est à dire de la sérénité. Je ne crois pas connaître qui que ce soit qui préfère vivre durablement de solides déprimes plutôt que de vivre sereinement et d’avoir de nombreuses joies. C’est un fait aussi qu’il est essentiel d’aider des personnes qui sont dans de grandes souffrances de longue durée et qui ne peuvent en sortir. Les exemples de personnes en dépression grave, ou qui sont dans une immense colère et en veulent à la terre entière sans pouvoir trouver de sérénité, me viennent à l’esprit.  Ceci dit, il y a dans les termes « négativité » et « positivité » un jugement de valeur qui me pose problème. Les émotions désagréables sont fondamentalement utiles, elles sont le signe de dysharmonies qui appellent à être corrigées. En tant que tel, il est indispensable de les respecter, de les accueillir et de les décoder. Par ailleurs, il est des crises dont on ne se sort vraiment qu’en les traversant de bout en bout, aussi douloureux que ce soit. A vouloir faire disparaître à tout prix les signaux d’alerte qui les accompagnent, la personne peut en être soulagée momentanément, mais elle risque fortement de stagner et de tourner en rond.

L’auteure insiste beaucoup sur l’importance de la spiritualité et sur combien celle-ci peut aider les personnes à se faire guider pour garder espoir et pour trouver un chemin. Si je peux tout à fait entendre qu’il en est ainsi pour elle et pour de très nombreuses personnes qui ont trouvé une dimension spirituelle dans leur vie, il se trouve que c’est un aspect de l’expérience humaine qui varie très fortement de personne en personne. Et on ne s’engage pas sur un chemin spirituel comme on choisit de commencer un régime. Les personnes pour qui cette dimension est importante ont fait des expériences qui les ont changées et qui ont changé leur vie. Cela ne se commande pas.

L’auteure arrive inévitablement et à plusieurs reprises sur la nécessité de pouvoir prendre conscience de son propre ressenti et de le mettre en mots. Mais elle ne thématise pas vraiment ce sujet en tant que tel, et encore plus surprenant, elle oublie de mentionner les outils qui existent de longue date pour aider les personnes à mieux y arriver. Le focusing [2] est un de ceux que je connais le mieux, qui est décrit, connu et éprouvé depuis des décennies. Je m’étonne qu’une psychothérapeute de grande expérience ne cite pas ce dernier, ou, au moins, une alternative.

Si les rêves peuvent nous guider, si les visualisations et les méditations peuvent être utiles, il est des difficultés qui résistent et face auxquels ces outils restent sans effet. C’est en particulier le cas des traumatismes dont souffrent de très nombreuses personnes. Il se trouve qu’on commence à avoir des outils un peu plus efficaces que de faire «20 ans de thérapie pour essayer d’en dégager le noyau ». Je pense en particulier à l’EMDR [3] et au somatic experiencing [4]. Même si cela n’est pas le cœur du sujet de l’auteure, les traumas sont des obstacles majeurs dans le chemin de libération d’une personne qui vont rendre inopérants les outils qu’elle propose, tant que ces traumas n’auront pas été pris en charge sérieusement. Vu l’expérience de l’auteure, je m’étonne que ce point ne soit pas thématisé au moins brièvement d’une manière ou d’une autre.

Un autre point qui n’est pas abordé est le fait que les souffrances que nous traversons ne sont pas toutes dues à des faiblesses ou à des manques, mais elles sont aussi le fruit de nos richesses et de la confrontation de ces dernières avec la société humaine. C’est ainsi que, par exemple, toutes les personnes qui ont un solide sens éthique en elles ne peuvent que souffrir dans le monde du travail actuel. Que faire face à cette situation ? Quelle est la part de lutte inévitable et indispensable ? Quelle est la part de « faire avec le réel tel qu’il est » ? Et peut-on réellement rester serein face à cette facette de l’existence quand on est un être pleinement conscient ?

Les êtres humains étant très divers, il y a aussi le cas des personnes HP (zèbres, surefficients mentaux, etc.). Leur chemin de vie a ceci de particulier qu’il est marqué par des crises de croissances majeures et très profondes qui peuvent être très douloureuses et longues à traverser [5]. Pouvoir traverser ces crises avec succès est un enjeu fondamental dans le parcours de vie des personnes HP. C’est loin d’être facile, ça ne ressemble en rien à de la sérénité ou à de la joie, et, pour y arriver, il est indispensable de trouver en soi le courage de traverser le désert. Les personnes HP s’en passeraient bien et la souffrance peut être telle durant ces crises qu’elle peut parfois être diagnostiquée à tort comme un trouble de santé mentale [6]. L’enjeu pour ces personnes, si elles n’y arrivent pas, est de tourner en rond, voire de régresser, dans leur chemin de croissance personnelle, ce qui est aussi accompagné d’une importante souffrance et ce qui ne fait que reporter à plus tard les obstacles à dépasser.

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Judith Orloff – emotional freedom

Tout ceci fait que, si cet ouvrage aborde de manière pertinente des thématiques qui le sont tout autant, il ne constitue pas pour moi l’alpha et l’oméga du chemin de développement de libération de ses souffrances, loin de là. Certains éléments essentiels manquent et les enjeux sont à mes yeux plus larges que la manière dont ils sont abordés dans cet ouvrage. Pour finir, il est des souffrances qui sont inhérentes à la vie, qu’elles soient liées à la condition de la personne, aux nombreuses et graves limites de sociétés humaines ou au processus de croissance intérieure d’un être humain. De ce fait, cela me semble même illusoire de pouvoir imaginer vivre sereinement l’essentiel du temps. Etre capable de traverser des crises sans perdre espoir et pouvoir vivre une certaine égalité d’humeur le reste du temps me semble plus réaliste et atteignable.

 

[1]

Judith Orloff ; Emotional Freedom: Liberate Yourself from Negative Emotions and Transform Your Life; Harmony; (Reprint) ; 2010

Il existe une traduction française dont j’ignore la qualité :

Judith Orloff; Liberté émotionnelle : Libérez-vous de vos émotions négatives et retrouvez un parcours hors de la souffrance; Ariane Editions ; 2009

[2]

Eugene T. Gendlin; FOCUSING – Au centre de soi; Editions de l’Homme, collection : Alter Ego; 2006

Eugene T. Gendlin; Focusing-Oriented Psychotherapy: A Manual Of The Experiential Method: Guilford Press ; 1996

[3]

Francine Shapiro: Eye Movement Desensitization and Reprocessing Therapy: Basic Principles, Protocols, and Procedures; Guilford Publications; 3rd New edition ; 2017

Francine Shapiro & Margot Silk Forrest; EMDR: The Breakthrough Therapy for Overcoming Anxiety, Stress, and Trauma; Basic Books; 2nd edition ; 2016

Francine Shapiro; Getting Past Your Past: Take Control of Your Life With Self-Help Techniques from EMDR Therapy; Rodale Incorporated ; 2013

Cyril Tarquinio & Pascale Tarquinio; L’EMDR: Préserver la santé et prendre en charge la maladie; Elsevier Masson ; 2015

[4]

Peter A. Levine Ph.D.; In an Unspoken Voice: How the Body Releases Trauma and Restores Goodness.; North Atlantic Books; 2010

Peter Levine; Healing Trauma: A Pioneering Program for Restoring the Wisdom of Your Body; Sounds True Inc; 2008

Peter A. Levine Ph.D. & Maggie Kline; Trauma Through a Child’s Eyes: Awakening the Ordinary Miracle of Healing; North Atlantic Books; 2006

[5]

Kazimierz Dabrowski; Personality-Shaping Through Positive Disintegration; Red Pill Press; 2015

Il existe une traduction française dont j’ignore la qualité :

Kazimierz Dabrowski; La formation de la personnalité par la désintégration positive; Les Editions Pilule Rouge; 2017

Kazimierz Dabrowski M.D. Ph.D.,; Positive Disintegration; Maurice Bassett ; 2017

Sal Mendaglio; Dabrowski’s Theory Of Positive Disintegration; Great Potential Press ; 2008

James T Webb; Searching for Meaning: Idealism, Bright Minds, Disillusionment, and Hope; Great Potential Press ; 2013

Patricia Lamare; La theorie de la desintegration positive de Dabrowski: Un autre regard sur la surdouance, la santé mentale et les crises existentielles; CreateSpace Independent Publishing Platform ; 2017

[6]

James Webb; Misdiagnosis and Dual Diagnoses of Gifted Children and Adults: ADHD, Bipolar, OCD, Asperger’s, Depression, and Other Disorders (2nd Edition) (Anglais) Broché – 1 novembre 2016; Great Potential Press ; 2016

 

Trouver son chemin quand on est extrêmement sensible

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Spray towers over the 57-foot-tall Ludington Lighthouse in Michigan as a storm packing winds of up to 81 mph howled across the Midwest and South on Tuesday, Oct. 26 2010. Jeff Kiessel, Ludington Daily News, Source: Wikimedia commons
  • Avez-vous parfois été considéré-e par d’autres comme «beaucoup trop sensible» ?
  • Est-ce que les disputes violentes et les cris vous rendent malade ?
  • Est-ce que les foules vous épuisent, au point que vous avez besoin de vous retrouver seul-e pour récupérer ?
  • Est-ce une nécessité pour vous de vous rendre par vous-même aux événements sociaux, afin de vous permettre de pouvoir rentrer plus vite, si vous en ressentez le besoin ?
  • Vous arrive-t-il de manger beaucoup, voire trop, pour faire face au stress ?
  • Avez-vous remarqué que vous absorbez le stress, les émotions ou même les symptômes physiques des autres ?
  • Avez-vous fortement besoin de la nature pour vous ressourcer ?
  • Avez-vous besoin de long temps de récupération pour vous retrouver après avoir interagi avec des personnes difficiles ou des « vampires » qui absorbent votre énergie ?
  • Préférez-vous les relations sociales en tête à tête ou en petits groupes ?
  • Avez-vous besoin de vivre dans de petites localités, voire en pleine campagne ?

Alors, il est possible que vous soyez un ou une empathe, c’est-à-dire une personne dont la sensibilité est telle qu’elle absorbe les émotions, les sentiments et les réactions des autres sans être en mesure de s’en protéger comme le font la majorité des personnes.

Si l’expérience n’est pas nouvelle, elle est longtemps restée tabou en occident. Ce terme est relativement récent, et il a encore une connotation plutôt liée à l’ésotérisme et à des parcours de vie en dehors des normes établies en matière de croyances ou de mise en mot de son parcours de vie.

Il se trouve que les empathes ont trouvé une ambassadrice intéressante et très pertinente dans la personne de la Dr. Judith Orloff, elle-même empathe et docteur en psychiatrie. Elle a travaillé dans le monde hospitalier entre 1979 et 1983, date à laquelle elle a ouvert un cabinet privé. Elle est également membre de l’association américaine des psychiatres (1). Elle a commencé à publier en 1996 (2) et n’a pas cessé depuis. Ses livres sont intentionnellement écrits pour être accessibles au plus grand nombre, tout en conservant un appareil de note permettant aux professionnels de vérifier sur quoi elle se fonde pour tenir ses propos.

Le Dr Orloff est venue au cœur de son sujet avec son tout dernier ouvrage, «The empath survival guide» (3), autrement dit le guide de survie pour personnes empathes.

 

The Empath Survival guide
Judith Orloff; The Empath survival guide – Life strategies for sensitive people; Sounds True, 2013

Dans ce texte, elle a pris le risque de s’exprimer personnellement et humainement. Elle parcourt les différentes dimensions de ce que cela peut signifier que d’être un-e empathe pour de nombreuses personnes. Elle donne des clefs pour aider les personnes à se situer par elles-mêmes et des outils pour faire face aux situations de leur quotidien.

Elle aborde les différentes formes d’expériences d’être empathes : physique (quand on absorbe les symptômes physiques de l’autre), émotionnelle (quand on absorbe les émotions d’autrui au point d’être parfois une « éponge émotionnelle »), intutif-ve (pour les personnes dont les intuitions vont très largement au-delà de ce qu’on met usuellement sous ce terme).

Nombre de ces personnes ont beaucoup de difficultés à se protéger, comme une maison ouverte aux quatre vents, et se retrouvent de ce fait souvent en demande d’aide envers les professionnel-le-s de la santé. Ce faisant, elles risquent fort d’être diagnostiquées à tort comme dépressives, bipolaires, voire psychotiques, et d’être soumises à une médication lourde qui ne les aide pas et qui a de nombreux effets secondaires.

Pouvoir mettre un mot sur qui elles sont et sur ce qui influence leurs parcours de vie va aider les personnes à se retrouver, à reprendre la direction de leur existence, à réduire très fortement voire à se débarrasser de traitements médicamenteux inutiles et handicapants et à chercher de nouvelles pistes pour mener leur existence.

Chemin faisant, Judith Orloff donne de nombreuses pistes utiles et des outils pertinents concernant les émotions et la santé, les addictions, les relations amoureuses, l’autoprotection face aux narcissiques pervers, l’éducation des enfants, le monde du travail, la création de groupes de soutien mutuel, etc.

Cet ouvrage est clair, direct, agréablement écrit, fluide et il se lit facilement. En ce qui me concerne, il m’a permis de mettre un mot sur un ensemble de nombreuses observations qui étaient restées éparses et dont je ne sentais pas trop que faire. Pouvoir mieux intégrer cette dimension dans la manière dont je conduis ma vie est m’important.

Le chapitre un peu faible de cet ouvrage, en ce qui me concerne, est celui que j’attendais le plus : comment faire face dans ma propre vie professionnelle, souvent rocailleuse et dans celle de nombreuses autres personnes, parfois encore bien pire. La stratégie principale proposée par le Dr Orloff est d’être indépendant-e, afin de pouvoir mettre une distance entre soi et les turpitudes du monde de l’entreprise et en tout cas assez autonome pour pouvoir s’isoler quelques minutes avant des situations qu’on prévoit difficiles.

En plus de ne pas toujours être possible (certaines personnes peuvent avoir des engagements qu’elles ne peuvent pas lâcher du jour au lendemain), cette stratégie risque de se limiter à échanger les stress dus aux collègues et aux employeurs avec ceux dus aux clients. Est-ce réellement un gain ?  J’ai de sérieux doutes. Par ailleurs, la mode actuelle des « open space » en entreprise, l’accélération des activités professionnelles et la rapidité avec laquelle certaines situations peuvent dégénérer fait que les personnes n’ont souvent pas le loisir de s’isoler, mêmes quelques minutes, avant de faire face à une situation dont elles sont prévenues qu’elle va être conflictuelles. Elles le découvrent et doivent y faire face dans l’instant! Que faire pour pouvoir vivre et gérer au mieux ce genre de situation, particulièrement difficile quand on est empathe, reste pour moi une question ouverte.

Mais, en ce qui concerne les autres dimensions abordées par Judith Orloff, cet ouvrage me semble extrêmement pertinent et je ne doute pas qu’il va aider de nombreuses personnes qui se retrouvent dans les propos de Judith Orloff à mieux mener leur vie. C’est déjà beaucoup.

 

 

(1) Source : https://en.wikipedia.org/wiki/Judith_Orloff

(2) Judith Orloff ; Second Sight: An Intuitive Psychiatrist Tells Her Extraordinary Story and Shows You How to Tap Your Own Inner Wisdom ; Three Rivers Press (CA) Mar-2010 (pour l’édition actuelle)

(3) Judith Orloff ; The empath survival guide – life strategies for sensitive people ; Sounds True ; mars 2017

Ce texte est complété par un ensemble de CDs, ayant pour titre : « Essential Tools for Empaths: A Survival Guide for Sensitive People », auprès du même éditeur

Sous le zen, la passion

Ray Bradbury Le Zen dans l'art de l'écriture Antigone 14 Editions, 2016
Ray Bradbury Le Zen dans l’art de l’écriture Antigone 14 Editions, 2016

 

De nombreux écrivains ont, à un moment ou un autre, pris la plume pour partager leur expérience en matière d’écriture. Une recherche sur votre librairie en ligne préférée avec les mots clefs « art » et « écrire » retourne plusieurs dizaines d’ouvrages. L’un des écrivains qui a sacrifié à ce rite est Ray Bradbury.

Sous le titre « Le Zen dans l’art de l’écriture » ([1], [2]) il a publié un recueil de 19 textes écrits à différentes époques de sa vie. Ce livre a ceci d’atypique que Ray Bradbury a essentiellement traité de ce qui l’a inspiré et de comment le matériau s’est transformé avant qu’il ne soit prêt à écrire.

Une chose qui est frappante dans tous ces textes, c’est combien les épisodes de son enfance l’ont inspiré et comment ils l’ont fait vibrer, avant d’entrer en gestation parfois dans des décennies, pour qu’il ne se sente un jour prêt à écrire, parfois en un après-midi.

Même en anglais, le titre de l’ouvrage de Ray Bradbury mentionne le zen. Ce terme implique la paix, la sérénité et une certaine égalité d’humeur. Mais, dans ces textes, ce qui émane de l’auteur, c’est l’intensité de ses ressentis et, en fait, la passion qui ne l’a pas quitté tout au long de ces années.

Une des choses qui me fascine le plus, c’est comment, depuis sa plus tendre enfance, il vibre aux éléments apparemment les plus anodins de sa vie, avec quelle vivacité son imagination s’en empare et comment les éléments se transforment et se combinent pour former des histoires à la fois complètement nouvelles et enracinées dans sa propre vie.

Dans un de ces textes, daté de 1964 et intitulé « un aperçu de Byzance : le vin de pissenlit », il est question de la ville dans laquelle l’auteur a vécu une partie de son enfance et de comment elle est transformée et transposée dans ses récits. Il mentionne qu’un critique s’est un jour étonné de comment il avait transformé cette ville portuaire à ses yeux absolument sinistre en quelque chose de mystérieux et enchanteur. Ray Bradbury répond qu’il avait, bien sûr aussi vu cet aspect des choses, mais il n’empêche que son regard d’enfant avait vu autre chose :

« En réalité, bien sûr que je l’avais remarqué, mais de tout cela, enchanteur que j’étais jusqu’au plus profond de mes gênes, c’était la beauté qui me fascinait. Les trains, les wagons de marchandise, l’odeur du charbon, celle du feu, rien de tout cela n’est laid aux yeux d’un enfant. La laideur est un concept qui nous tombe dessus plus tard, et qui fait de nos des êtres complexés.  […] Sans compter que c’était dans cette même zone ferroviaire, à la laideur supposée, qu’à cinq heures du matin, dans l’obscurité de la nuit finissante, les fêtes foraines et les cirques débarquaient, avec leurs éléphants, dont les puissantes et acides cataractes, lessivaient en fumant le sol pavé de briques […] Pour le dire autrement, si votre garçon est un poète, parlez-lui fumier de cheval et il pensera à des fleurs; c’est à dire, bien entendu, la seule chose qu’ait jamais pu évoquer le fumier de cheval ».

Dans ce processus que nous décrit Ray Bradbury, je ne peux m’empêcher de voir un exemple particulièrement vivant et frappant d’un être surefficient doté d’une « surexcitabilité » imaginative et émotionnelle des plus marquées, pour reprendre la terminologie de Kasimierz Dabrowski ([3], [4], [5]), sans aucun doute l’auteur dont la vision de ce que c’est que d’être un-e surefficient-e est la plus profonde et la plus féconde.

Une autre caractéristique importante de son témoignage est que Ray Bradbury ressentait un besoin impératif d’écrire jour après jour, comme un pianiste fait ses gammes. Contrairement à d’autres pour qui l’écriture est quelque chose de beaucoup plus douloureux, c’était quelque chose qui, pour lui, relevait de la passion la plus pure et qui ne s’est pas éteint avec le temps.

Lire ce texte m’émerveille et me fascine. Il contribue aussi à m’interroger sur ce à quoi je passe mon temps et ce qui guide mes engagements dans ma vie. Peut-être en sera-t-il de même pour vous.

 

[1] Ray Bradbury, Le zen dans l’art de l’écriture, Antigone 14 éditions, 2016

[2] Ray Bradbury, Zen in the Art of Writing : Releasing the Creative Genius Within You Mass Market Paperback – 1992

[3] Sal Mendaglio, Ph. D, Editor; Dabrowski’s theroy of Positive disintegration; Great potential press; 2008

[4] Kazimierz Dabrowski; Personality-Shaping Through Positive Disintegration;   Red Pill Press; 2015; réédition complètement revue du texte de 1967

[5] Kasimierz Dabrowski; Positive Disintegration; Maurice Bassett; 2017; réédition revue du texte de 1964

 

 

Le paradis sur Terre ?

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Thaïlande – Ko Phi Phi – Maya Bay, un des lieux qui serait un paradis sur Terre, source Wikimedia Commons

 

Bien des années après « dying to be me » (1), livre où Anita Moorjani raconte son parcours de vie, sa maladie, son expérience de mort imminente, sa guérison miraculeuse et la sagesse qu’elle en a retirés, elle vient de publier « what if this is heaven ? » ((2), la traduction française doit sortir tout prochainement). Dans ce nouvel ouvrage, elle affirme qu’il n’y a aucune raison pour que l’existence sur cette terre soit l’enfer que tant de personnes expérimentent et qu’elle pourrait, au contraire être bien plus proche de ce que nous qualifions de paradis. Elle développe son argumentation en abordant une dizaine de mythes qu’elle s’active à démonter. Chacun d’entre eux est présenté sous la forme d’un entretien avec une personne. Ces derniers sont inspirés d’entretiens qu’elle a réellement eus, mais sous une forme anonymisée et retravaillée.

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Le nouveau livre d’Anita Moorjani

Trois de ces mythes me paraissent particulièrement importants et elle a clairement marqué un point, en tout cas à mes yeux, sur ces sujets.

Le premier de ces points concerne notre système de santé. Elle affirme, à mon avis avec raison, que malgré les centaines de milliards de dollars dépensés dans ce dernier, il ne se préoccupe pas de notre santé, mais uniquement de lutter contre les maladies. En d’autres termes, rien n’est fait ou presque pour apprendre aux personnes comment vivre une vie plus saine, plus longue et plus satisfaisante, ce qui ne peut que contribuer à réduire leur risque de tomber malade et donc d’avoir besoin dudit « système de santé ». En cas de maladie, rien n’est fait non plus pour aider les personnes à mobiliser leurs ressources, ça n’est même pas considéré comme un sujet pertinent.

À mes yeux, cette affirmation est factuelle. Je constate que le problème n’est pas restreint au système de santé, mais étendu à toutes nos sociétés. Par exemple, récemment, le parlement suisse a obstinément refusé de financer des programmes de prévention au niveau national (3). Il a prétexté que ce sujet dépend des cantons et que la confédération doit faire des économies. Comme lesdits cantons doivent eux aussi faire des économies, personne ne fait rien et ça peut continuer comme cela pendant des décennies ! Sans être sûre de ce que je dis (je n’ai pas pu vérifier), je fais aussi le pari que la recherche en matière de prévention et de tout ce qui peut nous garder en santé est le parent pauvre de nos systèmes académiques. Sortir nos sociétés de cette situation va exiger un effort énorme et de nombreuses années, à supposer même qu’elles veuillent évoluer.

Le deuxième sujet sur lequel elle me semble avoir raison et un point très important concerne son affirmation selon laquelle même les personnes les plus spirituelles ont un égo et qu’il ne peut pas en être autrement.

C’est cet ego, ce « moi-je » qui nous permet de prendre conscience de nos ressentis et de nos affects, de nous connaître et de diriger notre vie. Sans ce dernier, nous sommes tout simplement incapables de fonctionner et nous serions réduits à une vie végétative (ou à mourir très vite). C’est donc d’autant plus étonnant et d’autant plus bizarre que certains mouvements spirituels mettent tellement d’énergie à le diaboliser et à en faire quelque chose qui doit absolument être réduit à la portion la plus petite possible. Les conséquences sont importantes quand de nombreuses personnes sont incapables de se respecter elles-mêmes et se font systématiquement passer après tous les autres. Cela laisse la porte ouverte à de très nombreux dysfonctionnements, en particulier sur le plan relationnel.

Elle remarque aussi que de nombreuses personnes souffrent de ce qu’elles appellent « l’ego » d’une personne de leur entourage. Mais, quand elles s’expliquent, ce dont il est question n’est pas tant l’égo de la personne, que son absence de sensibilité, son incapacité d’écoute, son lourd handicap relationnel, son absence d’empathie, voire son trouble de la personnalité sévère. C’est profondément différent et il convient de ne pas confondre.

Anita Moorjani présente le troisième de ces points via un événement qui lui serait arrivé lors de l’une de ses conférences. Lors du moment de questions de cette dernière, une jeune femme se serait levée et lui aurait demandé, d’une voie pleine d’émotion, ce qu’elle avait à dire au sujet de son très jeune enfant qui venait de mourir. Anita Moorjani a senti son immense douleur et sa détresse. Plutôt que de lui dire que son enfant était bien et en sécurité dans le monde des êtres désincarnés et qu’il était toujours avec elle, sensible à son immense douleur, elle est restée silencieuse, s’est levée, s’est approchée d’elle et l’a prise dans ses bras. À mes yeux, c’était la seule chose humaine et respectueuse à faire. C’est aussi pour moi le signe d’une personne assez humaine et sensible pour être capable de sortir de ses certitudes et d’aller à la rencontre de l’autre. C’est tout à son honneur. C’est aussi la confirmation qu’il n’est pas toujours possible d’être positif, qu’il est des situations ou c’est déjà bien (et juste) d’être vrai et sincère.

L’auteure aborde d’autres points qui me paraissent sensés, mais pour lesquels les choses sont à mes yeux plus complexes.

Elle utilise le trauma qu’elle a subi à l’école en raison des harcèlements incessants qu’elle y a subis (sans que ses professeurs ne la protègent), le sentiment de honte et d’être déficientes qu’elle a acquis suite à cela pour affirmer avec raison que ce qui nous arrive n’est pas nécessairement ce que nous méritons. En l’occurrence, il est beaucoup plus question de la profonde insécurité de ses camarades qui l’ont projetée sur elle en la harcelant sans relâche, que d’elle-même. Si je ne peux qu’adhérer à ce constat, je ne peux pas la suivre par la suite, quand elle en conclut que « les deux parties ont joué leur rôle dans cette scène de la vie humaine ».

Je veux bien que la profonde insécurité de ses camarades explique leur motivation, mais cela n’excuse ni ne légitime leurs actes. Par ailleurs, si Anita Moorjani a vécu une expérience extraordinaire qui lui a permis de se libérer d’un coup et sans effort du trauma que ce harcèlement a induit, elle ignore les conséquences dévastatrices et a très long terme qu’ont les traumas sur les autres êtres humains, ainsi que la durée et la très grande difficulté du travail qui est nécessaire pour s’en libérer, même avec les outils les plus efficaces à notre disposition.

Un autre chapitre est consacré au fait que de s’aimer soi-même n’a rien d’égoïste et que nous avons toutes et tous droit à une vie heureuse et satisfaisante. Si je peux aussi entendre cette affirmation, je me demande toujours ce que cela signifie vraiment que « de s’aimer soi-même, de reconnaitre que nous sommes faits d’une énergie divine et que nous sommes des êtres lumineux ». En ce qui me concerne, je constate que la simple exigence de me respecter au moins autant que je respecte les autres est déjà tout un chemin ! Et pour ce qui concerne le fait d’avoir une vie heureuse et satisfaisante, il me semble que nous devons toutes et tous faire avec les circonstances de vie qui sont les nôtres et qui sont loin d’être toujours optimales. Nous pouvons mettre beaucoup d’énergie à les changer et cela peut fonctionner au moins dans une certaine mesure. Mais il me semble qu’il y a toujours une limite sur laquelle nous finissions par buter. Et que faisons-nous à partir de là ?

Un chapitre est consacré à des situations dans lesquelles des personnes qui vivent des situations problématiques ne peuvent pas imaginer qu’il en va différemment des autres. Pleines de bonnes intentions, elles mettent beaucoup d’énergie à essayer d’influencer leurs proches pour que ces derniers adoptent les mêmes pratiques qu’elles-mêmes. Il y a effectivement toujours un risque à projeter ses propres histoires sur l’autre. Mais ce problème est connu, documenté et une personne avertie de son existence a tous les moyens nécessaires pour l’éviter. D’un côté de ce type de situation, il est nécessaire de toujours garder à l’esprit que l’autre est, justement, autre et qu’il peut y avoir une immense différence entre deux parcours de vie, deux situations apparemment semblables. De son côté, la personne qui sent qu’autrui projette sur elle sa propre situation et essaie de l’influencer va devoir s’affirmer et dire clairement « non », même si ça n’est pas facile pour tout le monde.

Un autre chapitre encore est consacré au fait que les femmes ne constituent pas un sexe plus faible que celui des hommes. Le sujet est traité via une conversation qu’elle aurait eue avec une jeune femme provenant d’une société particulièrement patriarcale. Cette jeune femme est en désaccord avec son compagnon au sujet de l’éducation de leur fille et elle est en grand désarroi quand elle constate que les autres hommes de sa communauté refusent de l’entendre. La conversation est intéressante. Mais l’auteure ne va pas jusqu’au fond du sujet. Elle évite de dire à cette jeune femme que, si elle entend vraiment protéger sa fille, elle va devoir très fortement s’affirmer quitte à s’opposer à son compagnon et à prendre des risques potentiellement importants. Plus loin, alors même qu’elle constate que, sous le vernis extérieur, le fond patriarcal n’est vraiment pas loin même dans les sociétés occidentales (4), elle n’aborde pas non plus le fait que les femmes doivent, de ce fait, encore prendre grand soin de défendre vigoureusement leurs droits dans ces mêmes sociétés.

Pour finir, ma vraie réserve concerne son affirmation selon laquelle il serait possible de transformer cette existence en quelque chose de paradisiaque.

En prenant soin de soi, en se respectant profondément, en se libérant de ses traumatismes, en s’affirmant quand c’est nécessaire, j’entends volontiers qu’il est possible de singulièrement améliorer sa qualité de vie, mais sans pour autant qu’il soit possible de parler de paradis. De plus, ce changement ne va pas de soi. Les résistances intérieures peuvent être très fortes, le chemin long, tortueux et compliqué. Les autres sont aussi susceptibles de s’y opposer fortement et le nombre de femmes qui succombent chaque année à un féminicide nous rappelle jusqu’où certains sont susceptibles d’aller.

D’autres changements sont à plus large échelle et nécessitent une évolution de toute la société. Or cela fait des millénaires, au moins, que des personnes particulièrement sensibles et douées mettent les doigts sur ces changements et sur les moyens à notre portée pour y arriver. Cela fait tout aussi longtemps qu’elles subissent les foudres de la société pour ce faire, quand elles n’y perdent pas la vie ! Il y a un moment où nous n’avons plus trop d’autre choix que de faire tant bien que mal avec les limites de cette société (ou alors de quitter ce monde) et cela ne contribue pas à faire de cette existence un paradis.

Le dernier point est que quelqu’un doit se charger du travail difficile, le plus souvent pas fun, voire carrément difficile et usant. Et ce sont souvent les êtres les plus sensibles et les plus éthiques qui s’en chargent, quitte à finir encore plus cabossés par la vie après qu’avant.

Ça n’est pas nécessairement fun et excitant que d’être régulièrement dans un service d’urgence a cinq heures du matin, disponible pour des personnes qui sont entre la vie et la mort. Ça n’est pas nécessairement fun et excitant de prendre soin de personnes très âgées, totalement dépendantes. Ça peut être encore pire quand, dans leur délire, elles vous couvrent d’injures et de coups. Ça n’est pas particulièrement fun non plus de passer une grande part de sa vie à défendre les droits humains, quelle que soit la cause, en effectuant un travail qui peut être épuisant, dans lequel les échecs sont bien plus nombreux que les réussites et dans lequel vous êtes parfois trahi par ceux-là mêmes que vous défendez ! Ça n’est pas nécessairement fun et excitant de mettre toute son énergie à œuvrer à faire évoluer une organisation pour qui c’est une question de survie et alors qu’une minorité de blocage met une énergie colossale à tout figer quitte à recourir au mensonge et aux pires formes de manipulation. Ça n’est pas fun ni excitant de défendre le territoire et l’environnement de peuples premiers face à des organismes qui n’hésiteront pas une seconde a s’en prendre à votre vie, quand ça n’est pas à celle des vôtres ! On peut continuer encore longtemps, la liste est très longue !

Pour conclure, Anita Moorjani me semble avoir un point sérieux quand elle affirme qu’il y a de nombreux cas où nous pouvons rendre notre vie plus pleine et satisfaisante. Nombre de ses points sont sensés et solides. Par contre, il me semble qu’elle sous-estime fortement la difficulté qu’éprouvent la plupart des êtres humains à évoluer vers plus de plénitude. Et j’ai, pour ma part, de très grosses réserves pour ce qui est de passer de « une vie notablement meilleure » au « paradis sur terre ».

 

(1) Anita Moorjani, Dying To Be Me: My Journey from Cancer, to Near Death, to True Healing, Hay House, 2012

(2) Anita Moorjani, What If This Is Heaven?: How I Released My Limiting Beliefs and Really Started Living, Hay House, 2016

(3) Parlement suisse, rejet de la loi sur la prévention de santé, septembre 2012, voir, par exemple : http://www.lematin.ch/suisse/Le-Conseil-des-Etats-enterre-la-loi-sur-la-prevention-sante/story/30500913

(4) En faisant référence aux propos violemment anti-avortement des républicains lors de la campagne électorale américaine de 2016

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Pour que nos images ne dorment plus dans nos tiroirs ou nos disques durs!

L’été est souvent l’occasion de faire du tourisme et, de nombreuses photos dont nous espérons toutes et tous qu’elles sauront réveiller notre émerveillement au moment où nous les regarderons à nouveau. Il se trouve que cet objectif n’est pas toujours atteint et que nos images s’accumulent et dorment dans nos disques durs sans que nous ne les regardions plus qu’une ou deux fois après qu’elles aient été prises.

Prendre des photos qui savent nous toucher et nous émouvoir est un art et un métier, celui du photographe. Cet art est largement décrit dans de nombreux ouvrages qui ont pour but de nous aider à faire de meilleures images. S’ils sont bien faits, ils sont aussi agréables à lire et à regarder pou eux-mêmes, ce qui les rend d’autant plus précieux.

Voici un petit choix d’ouvrages que j’ai croisé au hasard de mes pérégrinations. Il est totalement subjectif et personnel. Mais j’espère qu’il puisse profiter à d’autres, qu’il saura vous émerveiller et vous inspirer dans vos propres créations.

 

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Michael Freeman, The Photographer’s Eye: Composition and Design for Better Digital Photographs, EIlex, juin 2007

Cet ouvrage couvre toutes les bases de la composition d’images appliquées à la photographie

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Bryan Peterson, Bryan Peterson’s Understanding Composition Field Guide: How to See and Photograph Images with Impact, Amphoto Books, 2012

Cet ouvrage est plus pratique et plus « instinctif » que le premier, ce qui en fait un bon complément.

 

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Bryan Peterson, Understanding Exposure, Fourth Edition: How to Shoot Great Photographs with Any Camera, Amphoto Books, 2016

Ouvrage superbement illustré qui complète les précédents en abordant le sujet tout aussi important du réglage de l’exposition lorsque nous prenons une photo. Bryan Peterson a été formé « à l’ancienne » sur des appareils argentiques et il s’efforce de tout faire, en mode manuel, au moment de prendre une image. Ceci nécessite des boitiers qui permettent au photographe de jongler très rapidement entre vitesse, diaphragme, sensibilité et balance des blancs. Si cela ne pose pas de problème avec des boitiers faits pour les professionnels, les personnes qui disposent de matériel plus « grand public », plus abordable financièrement, devront faire leurs expériences et peut-être conserver certains automatismes quitte à « jouer » un peu plus avec leurs images au moment de leur traitement sur ordinateur.

 

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Denis Dubesset, Les secrets de la macro créative, Techniques – Composition – Esthétique, Eyrolles, 2016.

La macrophotographie nous permet de porter notre attention sur ce qui nous entoure et de nous émerveiller de « petites » choses que nous voyons à peine dans nos quotidiens trop pressés. Cela en fait un pratique précieuse et cet ouvrage est très bon.

 

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Gildas Lepetit-Castel, Les secrets de la photo de rue, Approche – Pratique – Editing, Eyrolles, 2015.

Voici une autre pratique fascinante qui peut se faire depuis notre pas de porte et nous permettre de porter un regard neuf sur l’environnement que nous croyons connaître. C’est aussi un art qu’il est possible de pratiquer sans dépenser des dizaines de milliers d’euros (ou de francs).

 

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Bernard Duc, L’Art de la composition et du cadrage : Peinture, photographie, bandes dessinées, publicité, 1992 (épuisé, à chercher sur internet ou chez les marchands de livres de seconde main)

Ouvrage très connu, plus général (il ne couvre pas que la photo), très agréable à lire et fort bien fait, mais plus difficile à trouver

 

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Marco Bussagli, Comment regarder le dessin – histoire évolutions et techniques, Hazan, 2012

Là, on revient aux bases, le dessin. Ouvrage très visuel et fort bien fait.

J’espère que ces ouvrage sauront vous émerveiller, nourrir votre besoin de beauté, et, qui sait, vous aider à créer des images que vous aurez plaisir à partager largement autour de vous.

 

Un petit bilan au cœur de l’été?

 

 

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Christel Petitcollin, Scénario de vie gagnant, Jouvence, 2003

 

L’été est souvent dédié au repos et au farniente. Mais il peut aussi être l’opportunité de se ressourcer et de refaire un petit point de situation sur son parcours de vie.

Christel Petitcollin a publié aux éditions Jouvence un petit ouvrage intitulé « scénario de vie gagnant ». Inspirée par l’analyse transactionnelle, elle reprend quelques scénarii de vie typiques qui peuvent entraver le plein épanouissement des personnes. Elle traite en particulier des scénarii sans joie, sans amour et sans raison.

Il y a d’autres scénarii qui peuvent entraver le plein développement des personnes. Je pense en particulier aux scénarii sans intégrité, sans combativité, sans créativité ou sans beauté. Mais il n’en demeure pas moins que les scénarii qu’elle traite sont centraux dans la vie des êtres humains.

Bref (94 pages), compact, se lisant facilement, cet ouvrage peut être l’opportunité d’un petit point de situation sur nos parcours de vie pendant la pause estivale.

Bel été!

 

 

Après la NDE … la lessive !

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Anita Moorjani, Revenue guérie de l’au-delà, une NDE m’a sauvée, J’ai lu, 2015

 

Ce titre un brin provocateur fait référence à un ouvrage connu de Jack Cornfield (1). Et ce dont il parle peut aussi être vrai pour les personnes qui ont vécu une « expérience de mort imminente », ou NDE en anglais (« near death experience »). Quand elles en parlent, les personnes qui ont vécu un tel moment relatent quelque chose qui est de l’ordre d’une expérience qui a complètement changé leur vie et aussi leur perception de cette dernière. Alors l’analogie est peut-être plus légitime qu’il n’y parait.

Le plus ou moins « hasard de la vie » (plutôt plus ou plutôt moins selon votre propre système de croyance) a fait que je suis tombée sur une vidéo d’Anita Moorjani il y a quelques mois (2), vidéo où elle raconte sa propre expérience aux portes de la mort et ce qu’elle en a retiré. Cette vidéo m’avait d’autant plus touchée que j’ai senti son auteure parfaitement sincère, intègre et aussi très concrète. Ça n’est pas du tout quelqu’un que j’ai senti « planer » à quelque moment que ce soit. Pour moi, c’est précieux.

Depuis, j’ai fini par lire son témoignage (3). En le lisant, et en écoutant la voix de l’auteure, j’ai ressenti les mêmes qualités. J’ai à nouveau entendu une personne entière, intègre, très vivante, sensible et humaine. Une fois encore, alors même qu’elle a vécu une expérience qui a formidablement étendu sa conscience, à aucun moment je ne la sens planer de quelque manière que ce soit.

Au contraire, la sagesse qu’elle en a retirée et qu’elle partage aujourd’hui est très simple et très concrète, ce qui ne veut pas dire qu’elle est facile à vivre et à incarner par tout un chacun. Elle parle de la nature lumineuse et de la magnificence des humains, du fait que nous sommes tous, quand nous sommes pleinement centrés, rayonnants d’amour et de bienveillance. Elle parle du caractère essentiel de s’aimer vraiment soi-même pour pouvoir aimer les autres et leur donner qui nous sommes vraiment. Elle parle d’avoir foi en sa propre puissance et d’avoir une sécurité intérieure telle que, quand nous n’avons plus peur de rien, nous pouvons donner notre pleine mesure. Elle parle de l’importance de suivre sa propre voie, sans en faire une vérité pour les autres, et de celle de ne pas trop se prendre au sérieux et de ne pas oublier d’avoir du bon temps.

Son témoignage m’a touchée, tant par son contenu que par sa forme, et je ne peux que vous suggérer de le lire. Vous verrez bien ce que vous en retenez, qui est pertinent pour vous et votre vie. S’agissant d’un livre de poche qui a des chances d’être aussi disponible en bibliothèque, ceci devrait être accessible à de très nombreuses personnes.

En ce qui me concerne, les deux choses qui m’ont le plus touchée et interpelée, sont ce qu’elle dit au sujet de l’importance de s’aimer soi-même et de celle de ne plus avoir peur de rien pour oser vivre sa vie. Ce sont celles qui me posent le plus de difficulté.

 

 Même après de nombreuses années de travail sur moi, je ne peux pas dire que je m’aime, tout au plus que je me respecte et que j’apprécie le chemin que j’ai parcouru. Quant à n’avoir peur de rien…. Et j’ai pertinemment conscience de ne pas être la seule !

Que ce soient les personnes qui ont subi de graves carences affectives, celles qui ont subi de lourds traumatismes (les carences sont des traumatismes), celles qui sont des « surefficientes mentales » ou des « zèbres » (pour reprendre le langage de Christel Petitcollin ou celui de Jeanne Siaud-Facchin), les personnes qui ont une grande difficulté à avoir confiance en elles, en ce qu’elles portent et même ce qu’elles ressentent sont légion.

A défaut de remède miracle, je constate que Mme Moorjani a vécu la même difficulté dans sa vie, tiraillée qu’elle était entre les cultures indiennes chinoises et occidentales, et ayant vécu dans un univers où elle était essentiellement destinée à répondre aux attentes des autres et à les satisfaire.

Mais plutôt que de proposer à tout un chacun de faire sa propre NDE, suggestion qui, vous en conviendrez comporte quelques risques que tout le monde n’est pas prêt à assumer, je vous propose plutôt un tout petit outil qui se rapproche plus de notre quotidien et de la lessive (pour reprendre le titre de cet article), en nous proposant de nous affirmer même quand nous manquons de confiance en nous ! (4)

 

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Yves, Alexandre Thalmann, S’affirmer même si on manque de confiance en soi, SOLAR, 2015

 

(1) Jack Kornfield, Après l’extase, la lessive, Pocket, 2010

(2) https://www.youtube.com/watch?v=rhcJNJbRJ6U

(3) Anita Moorjani, Revenue guérie de l’au-delà : Une NDE m’a sauvée, J’ai Lu, 2015.

(4) Yves-Alexandre Thalmann, S’affirmer même si on manque de confiance en soi, Editions Solar, 2015

 

De la difficulté d’accorder à l’expression créative toute la place qu’elle mérite dans nos vies

 

Cette petite vidéo montre à quel point le fait de jouer de la musique nous fait du bien. Elle le montre avec tout le poids et le caractère d’autorité de certains travaux scientifiques. Mais il nous suffit de regarder autour de nous pour constater parmi nos proches que le fait de jouer de la musique a plutôt tendance à bien les conserver.

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Anthony Marks, le piano facile,http://www.lire-les-notes.com/livre-le-piano-facile-par-anthony-marks.html

La musique n’est que l’une des formes d’expression créative, mais cette petite séquence nous rappelle combien l’expression créative nous est essentielle et combien elle contribue à notre bien-être.

Pour autant, tout le monde n’accorde pas autant d’importance à ce genre d’activité que ce qu’il faudrait, toujours si j’en crois cette vidéo.

Pour pouvoir exprimer sa créativité, il faut pouvoir en ressentir l’élan, le désir, l’aspiration. Or nombre de personnes ne ressentent pas cet élan. C’est ainsi et ces personnes prennent un autre parcours de vie dans lequel elles mettent l’accent sur d’autres dimensions de la vie.

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La vie faite à la main, Quête de sens et créativité, Anne-Marie Jobin, 2006, Editions du Roseau, Montréal

L’expression créative demande le plus souvent une motricité fine. Qu’il s’agisse de musique, de dessin, de collages, de sculpture, de patchworks, de cahiers créatifs ou autre, les personnes qui vivent avec une dyspraxie ont de ce fait, de sérieuses déficiences en ce qui concerne leur motricité fine, leur insertion dans l’espace et dans bien d’autres domaines encore. Elles voient leurs élans fortement entravés et elles risquent fort d’aller d’échec en échec, dans un domaine de la vie où ils sont tout particulièrement douloureux. Je ne suis pas sure non plus que les outils informatiques tels qu’ils sont conçus actuellement puissent vraiment les aider. Avec, par exemple, une tablette à digitaliser, on peut faire des merveilles, mais à condition de bien savoir dessiner. Si votre vision et votre coordination motrice sont déficientes, elle a de grandes chances de n’être qu’un obstacle de plus.

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Bryan Peterson, understanding exposure, Amphoto Press, 2016

Il faut aussi avoir le temps et la disponibilité intérieure pour pouvoir exprimer sa créativité comme on le souhaite. Nos vies professionnelles ne nous le permettent pas toujours, tant elles nous consomment du temps et tant elles nous épuisent.  Nos familles, nos proches, ceux pour qui nous jouons peut-être le rôle de « proche aidant » sont aussi susceptibles de réduire très fortement la disponibilité dont nous avons besoin pour pouvoir exprimer notre créativité.

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Stephen King, Ecriture, mémoires d’un métier, Livre de Poche, 2003 

Il est peut-être des moments où nous sommes en manque d’inspiration. Ou alors les circonstances extérieures sont telles que nous devons renoncer provisoirement à prendre ce temps-là. Le poids des échecs passés peut être très difficile à digérer et nous peinons à rebondir d’une manière qui nous convienne. Tout cela peut se produire dans une vie. Mais, en tout cas pour les personnes pour qui l’expression créative est un besoin très profondément ancré, voire existentiel, il vient un moment où retrouver le temps et la disponibilité nécessaires pour pouvoir se livrer à cette activité devient juste vital.

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Christophe Berg, Le grand livre de la cuisine crue, La Plage, 2014

Je ne peux que vous inviter à respecter ce besoin, souvent essentiel, quitte à devoir apprendre à vous affirmer face aux autres afin de faire respecter l’espace dont vous avez besoin.

 

Comment se fait-il que notre planète soit si verte?

 

How the earth turned green - a brief 3.8 billion-year history of plants- Joseph E. Armstrong, The University of Chicago Press, 2014
How the earth turned green – a brief 3.8 billion-year history of plants- Joseph E. Armstrong, The University of Chicago Press, 2014

Car elle aurait pu être brun-vert, ou rouge, si d’autres algues que les algues vertes avaient conquis les mers puis les terres.

C’est une histoire fascinante que nous raconte l’auteur de cet ouvrage, celle des végétaux, des plus anciens, depuis les bactéries, jusqu’aux plus récents. Et cette histoire est très rarement racontée. La plupart des ouvrages qui traitent de l’histoire de la vie (*) traitent essentiellement de la vie des animaux. Les végétaux sont, au mieux, un décor. Les ouvrages qui incluent ou qui traitent de l’histoire des plantes et de leur évolution sont beaucoup plus rares. Cet ouvrage est l’un d’entre eux.

Et les obstacles qu’ont franchis les végétaux tout au cours de leur évolution sont largement aussi importants que ceux franchis par les animaux. Qui plus est, l’auteur commence cette histoire par la partie la moins racontée (tout au moins dans les ouvrages accessibles au grand public), à savoir celles des bactéries.

Comment et quand est-ce que la vie est apparue? Quels étaient les premiers mécanismes de la vie? Quelles sont les traces les plus anciennes que nous avons d’êtres vivants?  Quand est-ce que les bactéries eurent tellement pollué la planète (déjà à l’époque, mais le GIEC n’existait pas encore!) par leurs rejets d’oxygène qu’elles ont dû passer à une vie basée sur la respiration de ce gaz qui était un déchet? Comment se sont-elles débrouillées? Qu’est-ce qui a induit l’arrivée de cellules beaucoup plus grosses avec un noyau et des organites? Là encore, comment est-ce que cela s’est passé? Qu’est-ce qui a poussé certaines de ces cellules à grandir au point d’être visibles à l’oeil nu et d’autres à constituer les premières créatures multicellulaires? Quel a été le défi de la conquête des milieux côtiers? En quoi est-ce que des algues sont nettement mieux adaptées à ce milieu que des unicellulaires ou des colonies libres d’un petit nombre de cellules? Que sait-on de l’arrivée des végétaux sur terre ferme? Comment est-ce que cela s’est passé? Quelles sont les adaptations aux milieux côtiers en eaux douces qui ont aidé l’arrivée des premiers végétaux sur terre? Il y a encore bien d’autres épisodes fascinants dans cette histoire!

Dans tout ce parcours, la nature a sans cesse fait preuve de ses « bricolages géniaux ». Par exemple, la respiration aérobie (avec oxygène) est dérivée de la respiration anaérobie (sans oxygène) avec juste une étape de plus. Autre exemple, le renversement de chaînes métaboliques existantes a été essentiel pour l’apparition de la photosynthèse. Troisième exemple, comment s’est développé le cycle reproductif des végétaux terrestres (qui constitue un cycle entre une génération « haploïde » (i.e. dont les chromosomes ne sont pas dédoublés) et une génération « diploïde » (dont les chromosomes sont dédoublés)) a pu se développer à partir du cycle de reproduction des algues d’eau douce dont ils sont issus. Une fois encore, les exemples abondent.

Pour la petite et la grande histoire, les pigments verts des végétaux terrestres sont hérités des algues vertes qui ont conquis les littoraux. Ils sont optimaux sous quelques mètres d’eau quand une partie des composantes de la lumière sont déjà filtrées. Mais si les végétaux terrestres avaient développé leurs propres pigments photosynthétiques (au lieu d’hériter de ceux des algues vertes), ils auraient de fortes chances d’être noirs, pour bénéficier de toutes les composantes de la lumière qui arrivent jusqu’au sol. Est-ce que nous verrions cela comme tout aussi beau, je ne sais le dire.

L’auteur prend aussi grand soin d’expliquer « comment on sait ce qu’on sait ». Nous n’avons pas des traces fossiles de toutes ces étapes de la vie donc nous devons compléter ces derniers par d’autres outils. Aujourd’hui, l’analyse des codes génétiques des êtres vivants nous aide considérablement à définir les parentés. Mais cet outil n’est pas suffisant lui non plus. C’est là qu’entre en jeu une autre méthode éprouvée de la science: bâtir une hypothèse, examiner quelles sont ces conséquences et voir si ce qu’on observe correspond à ce qui devrait se passer si cette hypothèse était vérifiée. Dans le lot, d’innombrables hypothèses sombrent corps et bien. Mais elles ont pu être utiles à un moment donné pour en formuler d’autres qui tiennent mieux la route. Avec le temps, d’hypothèse en hypothèse, de vérification en vérification, ne subsistent que celles qui tiennent vraiment la route et qu’on finit par admettre comme étant établies. Mais si la plupart des ouvrages présentent ces derniers comme des faits, ils omettent de présenter ce qui a amené parfois plusieurs générations de scientifiques à cette conclusion. Quand on ne connaît pas cette part-là de l’histoire, le tout peut avoir une apparence un peu dogmatique. L’auteur s’efforce d’éviter cet écueil et c’est tout à son honneur.

En plus de tous ces niveaux de lecture, cet ouvrage en a un de plus, à mes yeux, à savoir celui de la contemplation et de l’émerveillement. Je suis profondément admirative de la richesse et de l’inventivité des mécanismes de la vie, y compris dans leur aspect de « bricolage » à partir de briques existantes. Cela me rend admirative de ce que sont les plantes et m’incite à poser sur elles un regard qui perçoit toute autre chose qu’un élément de décor dont on peut disposer comme d’une chose. En lieu et place, je perçois des êtres vivants extrêmement sophistiqués et dignes de mon plus grand respect. Cela m’attache à elles et m’incite à en prendre soin et à les protéger. C’est vrai que certaines plantes sont extrêmement précieuses pour nous, soit qu’elles nous nourrissent, qu’elles nous soignent, qu’elles nous émerveillent et nous accompagnent dans nos maisons et nos jardins ou encore qu’elles stimulent notre dimension spirituelle. Mais elles existent aussi pour et par elles-mêmes et cela aussi c’est important. Les accueillir pour cela aussi contribue à nous faire grandir intérieurement.

Présentation de l’ouvrage sur le site de l’éditeur: http://www.press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/H/bo16465693.html

Page web de l’auteur: http://biology.illinoisstate.edu/jearmst/armstr.htm

Publications scientifiques de l’auteur: https://scholar.google.com/citations?user=0vBTIB4AAAAJ&hl=en

(*) En voici un excellent exemple:

Le Livre de la vie,

Stephen Jay Gould, Peter Andrews et al.

Seuil, 1993