De l’action, de la grâce et des frottements que nos parcours de vie divergents engendrent

 

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Kyoto, Kinkaku-ji temple, Golden pavilion ; source: Raymond Ostertag via wikimedia commons

 

Les humains ont des parcours de vie divers, pour ne pas dire divergents. Les expériences clefs qu’ils y font, les réponses à leurs questions existentielles qu’ils en retirent sont tout aussi divergentes. Et il nous est parfois difficile d’entendre que d’autres obtiennent ou tirent des réponses profondément différentes des nôtres. Cela provoque de nombreux frottements qui peuvent mettre à mal même les relations que nous avons avec des personnes qui nous sont très chères.

Le conte qui suit, illustre l’une de ces questions, à savoir celle qui traite l’importance de prendre sa vie en main et de « changer ce qu’il y a à changer » ou, au contraire de « laisser faire » et de s’en remettre à « plus grand que soi ».

« Tout là-bas, au fond de la montagne, il neige. Le silence du monastère est soudain troublé par un chuchotement, puis une discussion qui tourne à la vraie dispute. Le supérieur voit apparaître deux petits moines tout agités. Il les fait asseoir devant lui, leur donne un peu de temps pour se calmer, puis leur demande la raison de tout ce bruit. Le premier dit : « Maître, n’est-il pas vrai que tout ce qui vit, tout ce qui existe doit tout à la grâce? Nous sommes si fragiles : sans nous en remettre à la grâce, comment pourrions-nous chaque jour avancer sur le chemin du cœur ? »

« C’est vrai » répond le Maître.

« Mais, permettez-moi, Maître, intervient le deuxième petit moine, encore un peu rouge. C’est à nous qu’il appartient de choisir la direction de notre vie : la grâce peut-elle alors apparaître autrement qu’à travers nos efforts, notre application ? »

« C’est vrai », répond le Maître.

Alors un troisième petit moine, qui était resté jusque-là un peu caché dans un coin, toussota et dit: « Maître, je ne comprends pas. Vous avez dit ‘c’est vrai’ au premier puis ‘c’est vrai’ au second qui disait le contraire ? »

« C’est vrai » répond le Maître.

 

Source: Joshin Luce Bachoux, Trois petits moines sous la neige dans: Tout ce qui compte en cet instant – journal de mon jardin zen, Editions Points, 2009 pour l’édition originale.

 

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Jospin Luce Bachoux, Tout ce qui compte en cet instant

 

Ma propre place dans cette dispute-là est claire. Je suis une guerrière et je ne serais plus de ce monde depuis de nombreuses années s’il en avait été autrement. J’ai appris à me prendre en main, à changer ma vie, à aménager ou transformer tout ce qui devait l’être afin de la rendre supportable, puis de mieux en mieux. C’était une question de survie et tout mon parcours de vie est traversé par cette dynamique. Les partages avec les personnes qui sont plus dans une dynamique de « lâcher-prise » et de « laisser-faire » sont loin d’être toujours simples et les incompréhensions qui en résultent peuvent induire une distance dans une relation. D’autres questions encore plus sensibles, voire douloureuses, comme celles relatives au sens de nos vies peuvent induire des conflits bien plus profonds et plus vifs.

Les enjeux peuvent être encore beaucoup plus important dans le cadre d’une relation thérapeutique, quand la personne aidante et la personne aidée ont des réponses divergentes à ces questions, que la personne aidante a du mal à entendre et à prendre en compte cette divergence, qu’elle cherche à plaquer ses propres réponses sur le parcours de vie de la personne qu’elle accompagne et que cette dernière est encore trop fragile et dépendante pour recadrer la personne qui l’accompagne ou pour aller voir ailleurs. C’est également vrai de toutes les autres formes de relations qui contiennent une forme de dépendance.

Mais comment faire pour bien vivre ensemble et pour intégrer le caractère divergent de nos parcours de vie ? C’est là où ce conte me semble apporter quelque chose de précieux. L’attitude du Maître favorise un peu de recul par rapport à nos parcours de vie, par rapport aux vérités que nous avons parfois très chèrement gagnées. Ce conte nous rappelle que le parcours de l’autre est, justement, autre. Il est possible qu’il ne nous corresponde pas du tout, ce qui est légitime. Cela ne signifie pas pour autant qu’il ne soit pas précieux et signifiant pour cet autre que nous croisons. Cela peut aussi nous inciter à faire preuve de retenue et de prudence dans la manière dont nous partageons nos expériences et nos convictions les plus profondes.