Grandir et vivre avec le ressenti et le parcours particulièrement intense des personnes surefficientes, zèbres, HP, et autres

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Susan Daniels, Ph. D. and Michael M. Piechowski, Ph. D. editors; Living with Intensity; Great Potential Press; 2009

 

Cela peut paraître paradoxal aux personnes qui ne sont pas dans cette dynamique de vie, mais grandir et vivre quand on est une personne surefficiente (ou un zèbre pour reprendre le mot de Jeanne Siaud-Facchin) n’est pas tout simple.

Pour commencer, être une personne surefficiente ne signifie pas nécessairement être un-e premier-ère de classe qui va tout digérer facilement et sans affect particulier. Au contraire, certaines de ces personnes souffrent le martyre dans un système scolaire extrêmement normatif, et cela peut avoir des conséquences funestes.

Le développement d’une personne HP a aussi ceci de particulier qu’il est « asymétrique ». En d’autres termes, à un moment donné, un enfant peut avoir un développement cognitif extrêmement avancé, mais une capacité de jugement qui est dans la moyenne, voire légèrement en retard. Cela peut être très compliqué à gérer pour l’entourage et cela peut être à l’origine d’une énorme souffrance pour l’enfant qui en a conscience. Cette souffrance et ses manifestations peuvent être telles qu’elle induit des consultations et des diagnostics psychiatriques erronés de la part de praticiens qui ne sont pas au fait des spécificités du développement des zèbres.

Le fait d’être surefficient peut se manifester dans plusieurs dimensions. Le domaine cognitif n’est que l’une d’entre elles. La sensibilité, l’empathie et les émotions en constituent une seconde. La capacité d’imagination et de créativité une troisième. Les sensations physiques et esthétiques une quatrième. Le domaine psychomoteur la cinquième. L’asymétrie de leur développement signifie aussi que, même adultes, certaines personnes sont surefficientes dans une ou deux de ces dimensions, d’autres dans les cinq à la fois.

J’ai déjà eu l’occasion de dire que la littérature en langue française ne présente de loin pas toute la complexité du développement des personnes surefficientes. Les auteur-e-s sont au mieux conscient-e-s des surefficiences dans les domaines cognitifs et émotionnels. Les autres domaines ne sont pas considérés. Pire encore, le processus de développement intérieur des personnes n’est pas décrit. C’est d’autant plus ennuyeux que ce processus passe par des crises importantes, on pourrait presque dire des phases de « mort puis renaissance » qui sont très marquées et qui, quand elles ne sont pas comprises peuvent amener à des réactions inadéquates de la part de l’entourage ou de professionnel-le-s de la relation d’aide non formés aux spécificités des personnes HP.

Publié en 2009 par Great Potential Press, Living with Intensity [1] est un ouvrage collectif qui vient combler ce vide, en tout cas pour toutes les personnes qui maitrisent la langue anglaise. Les autres ont une motivation de plus de s’y mettre, en attendant que les éditeurs de langue française daignent rattraper leur retard dans ce domaine également.

Il est composé de 15 chapitres rédigés par des auteur-e-s différent-e-s mais avec néanmoins une forte unité entre eux.

Les deux premiers décrivent synthétiquement ce que c’est que d’être une personne surefficiente et le processus de développement intérieur de ces dernières, ce que le psychologue Casimierz Dabrowski avait appelé le processus de « désintégration positive ».

Les sept chapitres qui suivent traitent de ce que c’est que d’être un enfant HP, à l’intention des parents, des enseignant-e-s et des professionnel-le-s de la relation d’aide. Ces chapitres traitent de la bonne manière de stimuler un enfant qui en a absolument besoin, des spécificités de l’adolescence, de l’impact que la lucidité d’un enfant HP peut avoir sur sa vie et sur celle de son entourage, des risques et des conséquences de diagnostics erronés en cas de crise particulièrement intense, des spécificités de l’accompagnement de ces enfants, de l’impact de la particularité des enfants HP sur la dynamique de leur environnement familial et, pour finir, de celui du perfectionnisme dans leur vie.

La partie suivante consacre quatre chapitres aux personnes devenues adultes, en abordant ce que cela signifie d’être une personne HP dans un parcours d’adulte, d’un exemple d’un parcours de vie d’une personne particulière et qui a eu un très grand impact, de l’intégration de la dimension spirituelle dans l’accompagnement de ces personnes et de ce que le travail de Dabrowski apporte aux adultes.

La dernière partie consacre deux chapitres aux travaux de recherche actuels et à venir.

Great Potential Press présente cet ouvrage comme une introduction à l’apport de Casimierz Dabrowski dont la richesse et la complexité sont à la hauteur de celles des personnes surefficientes. Et c’est un fait qu’il constitue une bonne introduction qui permet d’intégrer petit à petit les différents éléments de son regard sur le parcours de vie des personnes HP. Il montre aussi comment cela aide les personnes à devenir autonomes, à traverser et à ressortir grandies de crises de vie qui peuvent être de véritables tempêtes et comment ce processus de croissance se poursuit depuis la petite enfance jusqu’à un âge très avancé.

La deuxième partie dédiée aux enfants me semble être le cœur de cet ouvrage. Les auteur-e-s y donnent des myriades de pistes et de suggestions pour un suivi adapté qui sont susceptibles de fortement aider l’entourage de ces enfants. Il montre aussi qu’il existe au moins des ilots de personnes qui déploient des trésors d’énergie, d’attention, de tendresse et d’intelligence pour aider ces enfants à bien grandir. Cela me touche d’autant plus que, dans mon propre parcours de vie, je n’ai pas du tout bénéficié d’un tel environnement ou de quoi que ce soit qui s’en approche, même de loin.

La partie dédiée aux adultes contient également quelques perles. Tout d’abord, elle intègre la dimension spirituelle de la vie des personnes HP, qui est tellement importante pour un très grand nombre d’entre elles, ceci quel que soit la forme que prenne cette dimension. Ensuite ce même chapitre est le seul qui décrive l’accompagnement de personnes ayant subi des abus très graves, ce qui arrive très souvent et qui ne peut qu’avoir des conséquences dévastatrices chez des personnes particulièrement sensibles. C’est d’autant plus étonnant que les auteur-e-s des autres chapitres sont très conscient-e-s des conséquences des maltraitances et qu’ils citent à plusieurs reprises les ouvrages d’Alice Miller à ce sujet.

Même très bien écrit, la lecture de cet ouvrage demande un peu de temps. Celui-ci est nécessaire pour digérer intérieurement les apports des différents chapitres et éviter que cette lecture ne fasse que compléter ce que nous savons, mais sans rien changer à notre vie et/ou à notre pratique. Prendre ce temps en vaut la peine, c’est un ouvrage fondamental à la fois solide et abordable, qui contiendra des pistes pour de nombreuses personnes.

Mon seul vrai regret, c’est qu’il existe différentes manières d’être unique. On peut être un-e surefficient-e. On peut faire partie de la mouvance LGBTIQ. On peut avoir un parcours de vie très particulier. Et certaines personnes surefficientes les cumulent. Cette thématique-là n’est pas abordée, et, pour moi, elle manque.

[1] Susan Daniels, Ph. D. and Michael M. Piechowski, Ph. D. Editors; Living with intensity, Great Potential Press, 2009

http://www.greatpotentialpress.com/living-with-intensity