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Surdouance : Dabrowski et la désintégration positive enfin accessibles en français

L’ouvrage «La formation de la personnalité par la désintégration positive» de Kasimierz Dabrowski a été réédité en français en 2017, sur la base d’une nouvelle édition en langue anglaise de 2015. Par ailleurs une introduction a ses travaux a également été publiée en français au début de cette année.

Photo de Kasimierz Dabrowski
Kasimierz Dabrowski Source: https://positivedisintegration.com

Il existe une petite littérature en langue française sur les personnes « surdouées », « HP », « surefficientes mentales », « zèbres », etc. Elle est beaucoup tournée vers les enfants, il y a aussi quelques ouvrages concernant les adultes. Cette littérature a déjà été présentée, au moins en partie et pour les ouvrages qui parlent des parcours de vie des personnes adultes dans d’autres articles de ce blog. Elle a le mérite d’exister, de sortir de la pathologisation, du risque de faux diagnostics et de décrire certains éléments de base du parcours de vie de nombreuses personnes concernées. Elle en a déjà aidé un certain nombre qui ont pu en profiter pour continuer leur chemin de manière plus libre et plus créative.

Psychologue, psychiatre, médecin, écrivain et poète, Kasimierz Dabrowski est né en 1902 à Klarów en Pologne. Il sera très vite confronté à la mort, quand, à 6 ans, il voit mourir une de ses petites sœurs de 3 ans. Il y sera confronté à nouveau durant la Première Guerre mondiale quand il sera témoin d’une bataille juste à côté de chez lui. Il y sera encore confronté durant ses études, quand son meilleur ami se suicide. Ces morts ont suscité chez lui un très grand questionnement existentiel. Après la mort de son meilleur ami, il choisit de se réorienter et d’abandonner la carrière de musicien à laquelle il se préparait pour entreprendre des études de médecine, puis de psychiatrie. Il dépose une thèse sur le suicide à l’université de Genève en 1929. Il continue à voyager en Autriche, en France, aux États-Unis, en Suisse et en Pologne. Il y fondera un institut d’hygiène mentale en 1935. Ce dernier sera fermé par l’occupant allemand, mais il continuera ses activités clandestinement, tout en protégeant de nombreuses personnes, sous le couvert de travaux sur la tuberculose. Il sera emprisonné par les allemands, mais sa femme obtient sa libération. Les ennuis continueront pour lui avec l’occupation soviétique qui voit en lui un suspect. Il finira par être réhabilité et obtiendra à nouveau le droit d’enseigner et de voyager.  Il partira alors en Amérique du Nord où il rencontrera, entre autres Abraham Maslow et d’autres humanistes de l’époque et finira par s’installer à l’université d’Alberta. En 1964, Il traduit du polonais et publie en anglais «Positive disintegration». Une première édition de « Personality shaping through positive disintegration » suivra en 1967, toujours sur la base de ses travaux en langue polonaise. « Psychoneurosis Is Not an illness » suivra en 1970. Il continuera ses travaux en Alberta presque jusqu’à sa mort. En 1979, il rentre en Pologne. Il y meurt en 1980. Une bibliographie de ses publications est disponible sur internet [1].

Kasimierz Dabrowski a laissé une école très active en Amérique du Nord, qui a un impact significatif dans l’éducation des personnes surefficientes mentales, et dont nombre de publications sont disponibles auprès de l’éditeur Great Potential Press [2]. Même s’il avait été traduit en français à la fin des années 60 et au début des années 70, il n’a pas eu dans cette langue l’écho que ses travaux méritaient. En 2015, « Personality shaping through positive disintegration » a été réédité en langue anglaise [3] après un important travail de reprise des manuscrits de l’époque qui avait pour but de rendre lisible et compréhensible un texte écrit avec un vocabulaire qui n’a plus cours aujourd’hui.

Au début de l’année 2017, les éditions Pilule Rouge ont sorti la traduction française de cet ouvrage [4]. Il a été créé en partant de la traduction anglaise révisée plutôt que des documents de l’époque. Presque simultanément, la psychothérapeute Patricia Lamare a publié une introduction à ses travaux en langue française [5]. Voilà une belle synchronicité !

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Patricia Lamare; La théorie de la désintégration positive; CreateSpace Independent Publishing Platform 2017

C’est difficile de présenter en quelques mots la vision de Kasimierz Dabrowski sur le parcours de vie des personnes HP. Sa description est totalement atypique, riche, originale, féconde, complexe, dynamique, mais aussi enrobée dans un vocabulaire qui n’a plus cours et qui aurait gagné à être fluidifié. Vous en trouverez une belle description dans l’ouvrage de Mme Lamare.

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Kasimierz Dabrowski; La formation de la personnalité par la désintégration positive; Editions Pilule Rouge; 2016

Ce qu’il est possible de dire en résumé, c’est qu’il a mis le doigt sur un certain nombre d’éléments clefs dont je n’ai trouvé aucune description ailleurs (ou alors chez des personnes qui ont connaissance de ses travaux) et dont je ne peux que reconnaître la pertinence pour ma propre vie.

  • Il a décrit cinq formes de « surexcitabilités » que vivent les personnes surefficientes mentales, dans les domaines cognitif, émotif, imaginatif, moteur et sensoriel. Elles correspondent à des niveaux de sensibilité ou de capacité considérablement plus intenses que celles du reste des êtres humains dans ces mêmes domaines. Il ne se focalise pas sur la seule dimension cognitive, loin de là et met en valeur l’ensemble de ces dimensions. L’écrivain Ray Brabury peut être un bon exemple ce que c’est que d’être une personne avec, entre autres, une très grande surexcitabilité imaginative [6].
  • Le développement des personnes est « asymétrique », en ce sens que, dans de très nombreux cas, leurs capacités dans les domaines cognitif, imaginatif, émotionnel, moteur et sensoriel ne sont pas identiques. Par exemple, une personne peut avoir de fortes surexcitabilités cognitives, émotives et imaginatives, tout en ayant de moindres capacités dans les autres.
    • Les personnes perçoivent cette asymétrie, et leur moindre capacité dans certains domaines peut être une source de grande souffrance, qu’elles vont devoir intégrer.
    • En ce qui concerne les enfants, cette asymétrie touche aussi leur capacité de jugement. C’est ainsi qu’un enfant pourra à la fois faire preuve de grandes prouesses, par exemple, dans le domaine cognitif ou artistique, tout en faisant preuve d’une autonomie ou d’une capacité de jugement en retard sur celle des autres enfants du même âge. C’est une source de désarroi pour l’entourage (parents, proches, enseignants), mais aussi pour l’enfant lui-même qui la perçoit et qui peut se sentir en grande détresse.
  • Le potentiel de développement n’est pas identique chez tous les humains. L’environnement peut jouer un rôle stimulant ou au contraire inhibiteur. Les surexcitabilités des personnes vont les pousser à sortir des normes de leur environnement pour trouver un terrain d’expression approprié. Mais il y a aussi une dimension plus mystérieuse (que Dabrowski a baptisé du nom peu parlant de « troisième facteur ») qui pousse certaines personnes à « grandir encore et toujours » (quel que soit le nom qu’elles mettent dessus) alors que d’autres ressentent moins ce besoin. Les humanistes y verraient peut-être le potentiel d’actualisation cher à Maslow et à Rogers. D’autres y verront d’autres choses encore. Mais l’essentiel est que le fait demeure.
  • Que ce soit dans la continuité de leurs parents ou dans la promotion sociale, les sociétés humaines programment leurs enfants à s’insérer en leur sein en respectant les règles existantes sans les remettre en cause. Or les personnes surefficientes mentales sont incapables de ce conformisme. Leurs surexcitabilités, leur conscience de l’écart entre là où elles en sont à un moment donné avec là où elles aspirent à être, leur conscience de ce qu’est la société qui les entoure par rapport à ce qu’elle devrait être et leur potentiel de développement atypique vont inexorablement les pousser à sortir des rails qui sont prévus pour elles.
  • Les premières crises de remise en question ont le plus souvent des causes extérieures. La mort est un facteur déclenchant fréquent, mais il peut y en avoir bien d’autres. Naître et grandir dans une famille abusive peut en être un, tout comme naître et grandir gay, lesbienne, bi, trans ou intersexe dans un environnement familial qui nie l’existence de ces manières d’être au monde. Et il y en a tant d’autres. Ces événements vont précipiter les personnes dans des crises existentielles extrêmement profondes, qui peuvent les amener au bord de la mort. Mais, dans la mesure où elles sont capables de les traverser avec succès, elles en sortent grandies. Si tel n’est pas le cas, elles peuvent se retrouver dans des parcours de vie très lourds, dans lequel leur part d’ombre va s’exprimer de nombreuses manières.
  • Dans la vie des personnes surefficientes, les crises de croissance vont se succéder. Le moins que l’on puisse dire est que c’est rude à vivre. Mais elles vont passer d’une situation dans laquelle, elles faisaient face comme elles pouvaient à une situation qui les dépassait, un peu comme une personne qui se retrouve à l’eau sans savoir nager, à une autre dans laquelle elles sont conscientes de ce qui se passe, dans laquelle elles peuvent agir délibérément, prendre en main leur chemin et avancer résolument. Certaines arrivent à un moment où elles sont capables de percevoir d’elles-mêmes les pistes de croissance et où elles sont assez solides pour prendre le risque de se mettre délibérément en déséquilibre pour en profiter et continuer leur chemin. Camille Lamarre symbolise ce chemin comme un parcours dans une chaîne de montagnes, ce qui me paraît assez juste.
  • Chemin faisant, les personnes vont être de plus en plus conscientes de qui elles sont, de ce qu’elles ressentent, de ce qui est juste et désirable à leurs yeux. Elles auront développé une éthique personnelle, elles seront en mesure de l’assumer et de l’affirmer, ceci quitte à devoir s’opposer à la société qui les entoure.
  • Ceci signifie qu’il existe des mal-adaptations à une société qui, contrairement à la vue habituelle, sont en fait des signes de santé mentale, de lucidité, d’intégrité et de justesse. Le savoir ne rend pas la vie plus facile, mais en avoir conscience peut néanmoins mettre du baume au cœur pour les personnes surefficientes qui se trouvent dans cette situation.
  • Une autre conséquence est que, toujours contrairement à la vue habituelle, la santé mentale n’est pas l’absence de trouble ou de souffrance. Bien au contraire, certaines crises sont indispensables et elles doivent être traversées pour grandir, et ceci même si elles mettent la personne dans un état de très grande détresse. En fait, un état de trop grande adaptation peut simplement être le signe que la personne est incapable d’entreprendre ce chemin, et qu’elle reste l’objet des déterminismes de son entourage. Ou pire encore, il s’agit d’un-e sociopathe ou d’une autre forme de personne incapable d’empathie dont l’humanité souffre tant, mais que les sociétés humaines révèrent et favorisent.
  • Dabrowski rythme le parcours des personnes en décrivant cinq étapes de développement, cinq niveaux de personnalité, en partant du premier (sous le nom « d’intégration primaire ») qui décrit une personne qui se contente d’être le jouet des déterminismes sociaux qui l’entoure jusqu’au niveau cinq (sous le nom « d’intégration secondaire ») qui décrit une personne complètement dégagée de ces déterminismes, qui a fait le chemin nécessaire pour se déployer pleinement en tant qu’être humain dans toutes ses dimensions, à commencer par l’empathie, le souci et le soin des autres et de la Terre Mère. Ce chemin de développement est tout sauf égotique.
  • Très clairement, Dabrowski hiérarchise ces niveaux. Pour lui, être au cinquième niveau est bien mieux que d’être au premier, décrit comme « beaucoup plus bas ». Ceci peut heurter le sens démocratique de nombreuses personnes, dont je suis. Ceci dit, le fait de décrire des parcours de vie à l’aide de niveaux, d’en mettre trois, cinq, sept ou onze, relève finalement de l’arbitraire. Mais, quelle que soit la description choisie, cela peut aider certaines personnes à prendre mieux conscience du chemin qu’elles ont fait et des fruits que ce dernier porte déjà dans leur vie.

 

Certaines personnes, en particulier les professionnel-le-s de la relation d’aide qui accompagnent des personnes surefficientes mentales vont prendre le temps de lire Dabrowski et ses élèves en profondeur. D’autres vont peut-être se contenter de la présentation en français de Mme Lamare et d’une autre très bonne présentation en langue anglaise [7]. L’essentiel est, comme toujours, d’en prendre ce qui est pertinent pour soi et pour son parcours de vie à un moment donné, «to eat the meat and spit the bones» [8], comme on dit en anglais. Quoi qu’il en soit, il me semble qu’être capable de mettre le doigt sur ses propres surexcitabilités, de prendre conscience de son potentiel de développement, de où nous en sommes sur notre chemin, du fait que certaines de nos inadaptations à la société qui nous entoure nous honorent et que certaines de nos détresses sont essentielles pour grandir sont propres à nous rasséréner et à nous aider à trouver notre chemin dans le labyrinthe que peut parfois être notre vie.

 

[1] Voir : https://positivedisintegration.com/DRIBiblio.htm#d-f

[2] Voir : http://www.greatpotentialpress.com

[3] Kasimierz Dabrowski ; Personnality shaping through positive disintegration ; Red Pill Press, 2015

[4] Kasimierz Dabrowski ; La formation de la personnalité par la désintégration positive ; Editions Pilule Rouge ; 2016

[5] Patricia Lamare ; La théorie de la désintégration positive de Dabrowski – Un autre regard sur la surdouance, la santé mentale et les crises existentielles ; CreateSpace Independent Publishing Platform ;  2017

[6] Voir : https://labyrinthedelavie.net/2017/03/12/sous-le-zen-la-passion/

[7] Sal Mendaglio, Ed ; Dabrowski’s theory of positive disintegration ; Great Potential Press ; 2008

[8] Littéralement «manger la chair et recracher les os». J’ai trouvé cette expression que je trouve très parlante dans :

James T. Webb ; Searching for meaning – Idealism, bright minds, disillusionment and hope ; Great Potential press ; 2013

 

 

Sous le zen, la passion

Ray Bradbury Le Zen dans l'art de l'écriture Antigone 14 Editions, 2016
Ray Bradbury Le Zen dans l’art de l’écriture Antigone 14 Editions, 2016

 

De nombreux écrivains ont, à un moment ou un autre, pris la plume pour partager leur expérience en matière d’écriture. Une recherche sur votre librairie en ligne préférée avec les mots clefs « art » et « écrire » retourne plusieurs dizaines d’ouvrages. L’un des écrivains qui a sacrifié à ce rite est Ray Bradbury.

Sous le titre « Le Zen dans l’art de l’écriture » ([1], [2]) il a publié un recueil de 19 textes écrits à différentes époques de sa vie. Ce livre a ceci d’atypique que Ray Bradbury a essentiellement traité de ce qui l’a inspiré et de comment le matériau s’est transformé avant qu’il ne soit prêt à écrire.

Une chose qui est frappante dans tous ces textes, c’est combien les épisodes de son enfance l’ont inspiré et comment ils l’ont fait vibrer, avant d’entrer en gestation parfois dans des décennies, pour qu’il ne se sente un jour prêt à écrire, parfois en un après-midi.

Même en anglais, le titre de l’ouvrage de Ray Bradbury mentionne le zen. Ce terme implique la paix, la sérénité et une certaine égalité d’humeur. Mais, dans ces textes, ce qui émane de l’auteur, c’est l’intensité de ses ressentis et, en fait, la passion qui ne l’a pas quitté tout au long de ces années.

Une des choses qui me fascine le plus, c’est comment, depuis sa plus tendre enfance, il vibre aux éléments apparemment les plus anodins de sa vie, avec quelle vivacité son imagination s’en empare et comment les éléments se transforment et se combinent pour former des histoires à la fois complètement nouvelles et enracinées dans sa propre vie.

Dans un de ces textes, daté de 1964 et intitulé « un aperçu de Byzance : le vin de pissenlit », il est question de la ville dans laquelle l’auteur a vécu une partie de son enfance et de comment elle est transformée et transposée dans ses récits. Il mentionne qu’un critique s’est un jour étonné de comment il avait transformé cette ville portuaire à ses yeux absolument sinistre en quelque chose de mystérieux et enchanteur. Ray Bradbury répond qu’il avait, bien sûr aussi vu cet aspect des choses, mais il n’empêche que son regard d’enfant avait vu autre chose :

« En réalité, bien sûr que je l’avais remarqué, mais de tout cela, enchanteur que j’étais jusqu’au plus profond de mes gênes, c’était la beauté qui me fascinait. Les trains, les wagons de marchandise, l’odeur du charbon, celle du feu, rien de tout cela n’est laid aux yeux d’un enfant. La laideur est un concept qui nous tombe dessus plus tard, et qui fait de nos des êtres complexés.  […] Sans compter que c’était dans cette même zone ferroviaire, à la laideur supposée, qu’à cinq heures du matin, dans l’obscurité de la nuit finissante, les fêtes foraines et les cirques débarquaient, avec leurs éléphants, dont les puissantes et acides cataractes, lessivaient en fumant le sol pavé de briques […] Pour le dire autrement, si votre garçon est un poète, parlez-lui fumier de cheval et il pensera à des fleurs; c’est à dire, bien entendu, la seule chose qu’ait jamais pu évoquer le fumier de cheval ».

Dans ce processus que nous décrit Ray Bradbury, je ne peux m’empêcher de voir un exemple particulièrement vivant et frappant d’un être surefficient doté d’une « surexcitabilité » imaginative et émotionnelle des plus marquées, pour reprendre la terminologie de Kasimierz Dabrowski ([3], [4], [5]), sans aucun doute l’auteur dont la vision de ce que c’est que d’être un-e surefficient-e est la plus profonde et la plus féconde.

Une autre caractéristique importante de son témoignage est que Ray Bradbury ressentait un besoin impératif d’écrire jour après jour, comme un pianiste fait ses gammes. Contrairement à d’autres pour qui l’écriture est quelque chose de beaucoup plus douloureux, c’était quelque chose qui, pour lui, relevait de la passion la plus pure et qui ne s’est pas éteint avec le temps.

Lire ce texte m’émerveille et me fascine. Il contribue aussi à m’interroger sur ce à quoi je passe mon temps et ce qui guide mes engagements dans ma vie. Peut-être en sera-t-il de même pour vous.

 

[1] Ray Bradbury, Le zen dans l’art de l’écriture, Antigone 14 éditions, 2016

[2] Ray Bradbury, Zen in the Art of Writing : Releasing the Creative Genius Within You Mass Market Paperback – 1992

[3] Sal Mendaglio, Ph. D, Editor; Dabrowski’s theroy of Positive disintegration; Great potential press; 2008

[4] Kazimierz Dabrowski; Personality-Shaping Through Positive Disintegration;   Red Pill Press; 2015; réédition complètement revue du texte de 1967

[5] Kasimierz Dabrowski; Positive Disintegration; Maurice Bassett; 2017; réédition revue du texte de 1964

 

 

Grandir et vivre avec le ressenti et le parcours particulièrement intense des personnes surefficientes, zèbres, HP, et autres

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Susan Daniels, Ph. D. and Michael M. Piechowski, Ph. D. editors; Living with Intensity; Great Potential Press; 2009

 

Cela peut paraître paradoxal aux personnes qui ne sont pas dans cette dynamique de vie, mais grandir et vivre quand on est une personne surefficiente (ou un zèbre pour reprendre le mot de Jeanne Siaud-Facchin) n’est pas tout simple.

Pour commencer, être une personne surefficiente ne signifie pas nécessairement être un-e premier-ère de classe qui va tout digérer facilement et sans affect particulier. Au contraire, certaines de ces personnes souffrent le martyre dans un système scolaire extrêmement normatif, et cela peut avoir des conséquences funestes.

Le développement d’une personne HP a aussi ceci de particulier qu’il est « asymétrique ». En d’autres termes, à un moment donné, un enfant peut avoir un développement cognitif extrêmement avancé, mais une capacité de jugement qui est dans la moyenne, voire légèrement en retard. Cela peut être très compliqué à gérer pour l’entourage et cela peut être à l’origine d’une énorme souffrance pour l’enfant qui en a conscience. Cette souffrance et ses manifestations peuvent être telles qu’elle induit des consultations et des diagnostics psychiatriques erronés de la part de praticiens qui ne sont pas au fait des spécificités du développement des zèbres.

Le fait d’être surefficient peut se manifester dans plusieurs dimensions. Le domaine cognitif n’est que l’une d’entre elles. La sensibilité, l’empathie et les émotions en constituent une seconde. La capacité d’imagination et de créativité une troisième. Les sensations physiques et esthétiques une quatrième. Le domaine psychomoteur la cinquième. L’asymétrie de leur développement signifie aussi que, même adultes, certaines personnes sont surefficientes dans une ou deux de ces dimensions, d’autres dans les cinq à la fois.

J’ai déjà eu l’occasion de dire que la littérature en langue française ne présente de loin pas toute la complexité du développement des personnes surefficientes. Les auteur-e-s sont au mieux conscient-e-s des surefficiences dans les domaines cognitifs et émotionnels. Les autres domaines ne sont pas considérés. Pire encore, le processus de développement intérieur des personnes n’est pas décrit. C’est d’autant plus ennuyeux que ce processus passe par des crises importantes, on pourrait presque dire des phases de « mort puis renaissance » qui sont très marquées et qui, quand elles ne sont pas comprises peuvent amener à des réactions inadéquates de la part de l’entourage ou de professionnel-le-s de la relation d’aide non formés aux spécificités des personnes HP.

Publié en 2009 par Great Potential Press, Living with Intensity [1] est un ouvrage collectif qui vient combler ce vide, en tout cas pour toutes les personnes qui maitrisent la langue anglaise. Les autres ont une motivation de plus de s’y mettre, en attendant que les éditeurs de langue française daignent rattraper leur retard dans ce domaine également.

Il est composé de 15 chapitres rédigés par des auteur-e-s différent-e-s mais avec néanmoins une forte unité entre eux.

Les deux premiers décrivent synthétiquement ce que c’est que d’être une personne surefficiente et le processus de développement intérieur de ces dernières, ce que le psychologue Casimierz Dabrowski avait appelé le processus de « désintégration positive ».

Les sept chapitres qui suivent traitent de ce que c’est que d’être un enfant HP, à l’intention des parents, des enseignant-e-s et des professionnel-le-s de la relation d’aide. Ces chapitres traitent de la bonne manière de stimuler un enfant qui en a absolument besoin, des spécificités de l’adolescence, de l’impact que la lucidité d’un enfant HP peut avoir sur sa vie et sur celle de son entourage, des risques et des conséquences de diagnostics erronés en cas de crise particulièrement intense, des spécificités de l’accompagnement de ces enfants, de l’impact de la particularité des enfants HP sur la dynamique de leur environnement familial et, pour finir, de celui du perfectionnisme dans leur vie.

La partie suivante consacre quatre chapitres aux personnes devenues adultes, en abordant ce que cela signifie d’être une personne HP dans un parcours d’adulte, d’un exemple d’un parcours de vie d’une personne particulière et qui a eu un très grand impact, de l’intégration de la dimension spirituelle dans l’accompagnement de ces personnes et de ce que le travail de Dabrowski apporte aux adultes.

La dernière partie consacre deux chapitres aux travaux de recherche actuels et à venir.

Great Potential Press présente cet ouvrage comme une introduction à l’apport de Casimierz Dabrowski dont la richesse et la complexité sont à la hauteur de celles des personnes surefficientes. Et c’est un fait qu’il constitue une bonne introduction qui permet d’intégrer petit à petit les différents éléments de son regard sur le parcours de vie des personnes HP. Il montre aussi comment cela aide les personnes à devenir autonomes, à traverser et à ressortir grandies de crises de vie qui peuvent être de véritables tempêtes et comment ce processus de croissance se poursuit depuis la petite enfance jusqu’à un âge très avancé.

La deuxième partie dédiée aux enfants me semble être le cœur de cet ouvrage. Les auteur-e-s y donnent des myriades de pistes et de suggestions pour un suivi adapté qui sont susceptibles de fortement aider l’entourage de ces enfants. Il montre aussi qu’il existe au moins des ilots de personnes qui déploient des trésors d’énergie, d’attention, de tendresse et d’intelligence pour aider ces enfants à bien grandir. Cela me touche d’autant plus que, dans mon propre parcours de vie, je n’ai pas du tout bénéficié d’un tel environnement ou de quoi que ce soit qui s’en approche, même de loin.

La partie dédiée aux adultes contient également quelques perles. Tout d’abord, elle intègre la dimension spirituelle de la vie des personnes HP, qui est tellement importante pour un très grand nombre d’entre elles, ceci quel que soit la forme que prenne cette dimension. Ensuite ce même chapitre est le seul qui décrive l’accompagnement de personnes ayant subi des abus très graves, ce qui arrive très souvent et qui ne peut qu’avoir des conséquences dévastatrices chez des personnes particulièrement sensibles. C’est d’autant plus étonnant que les auteur-e-s des autres chapitres sont très conscient-e-s des conséquences des maltraitances et qu’ils citent à plusieurs reprises les ouvrages d’Alice Miller à ce sujet.

Même très bien écrit, la lecture de cet ouvrage demande un peu de temps. Celui-ci est nécessaire pour digérer intérieurement les apports des différents chapitres et éviter que cette lecture ne fasse que compléter ce que nous savons, mais sans rien changer à notre vie et/ou à notre pratique. Prendre ce temps en vaut la peine, c’est un ouvrage fondamental à la fois solide et abordable, qui contiendra des pistes pour de nombreuses personnes.

Mon seul vrai regret, c’est qu’il existe différentes manières d’être unique. On peut être un-e surefficient-e. On peut faire partie de la mouvance LGBTIQ. On peut avoir un parcours de vie très particulier. Et certaines personnes surefficientes les cumulent. Cette thématique-là n’est pas abordée, et, pour moi, elle manque.

[1] Susan Daniels, Ph. D. and Michael M. Piechowski, Ph. D. Editors; Living with intensity, Great Potential Press, 2009

http://www.greatpotentialpress.com/living-with-intensity

 

L’idéalisme, les désillusions et la quête de sens des personnes HP

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Grâce à quelques auteures compétentes, expérimentées, sensibles et respectueuses comme Christel Petitcollin, Jeanne Siaud-Facchin et quelques autres, les personnes « hp » de langue française ont à leur service quelques ouvrages qui peuvent les aider à trouver plus facilement un chemin dans la vie (1). En tant que tel c’est très précieux. Ceci dit, la littérature francophone sur les parcours de vie de ces personnes reste limitée. Il n’y a pas de quoi remplir un rayon de bibliothèque d’ouvrages significatifs, de qualité et aidants.

De ce fait, ces mêmes personnes peuvent être intéressées par l’existence d’une autre source d’informations de qualité, à savoir l’éditeur spécialisé de langue anglaise Great Potential Press Inc. (2).

Un des ouvrages de son catalogue est en particulier susceptible d’attirer ce public, car il traite des questions et des crises existentielles quasi permanentes que vivent nombre de personnes hp. Il a pour titre « Searching for Meaning – Idealism, Bright Minds, Disillusionment and Hope » (3).

L’auteur y aborde de nombreuses thématiques, dont l’origine des quêtes de sens particulièrement intenses des personnes hp, des idéaux le plus souvent très élevés de ces mêmes personnes, des désillusions auxquelles les sociétés humaines et leurs propres limites les confrontent, des manières de faire face à ces crises permanentes (certaines étant plus saines ou plus utiles que d’autres), de l’art et de la manière d’arriver à une plus grande sérénité.

Malgré un certain nombre de limites sérieuses, cet ouvrage comporte des remarques et des apports qui me semblent importants et très utiles.

En ce qui concerne les limites, celles qui me semblent les plus problématiques sont les suivantes:

  • Quand il traite de l’origine des valeurs qu’une personne acquiert au cours de son enfance, l’auteur ne prend en compte que l’entourage et les influences sociales sur cette dernière. Il passe complètement sous silence la référence intérieure de la personne, pourtant particulièrement développée chez les personnes hp, au point de contribuer à les faire se sentir très différentes, voire étrangère à leur environnement et ceci des un très jeune âge. C’est d’autant plus étonnant que l’existence de cette référence intérieure est reconnue par les psychologues humanistes au moins depuis le début des années 60 (4).
  • La deuxième limite est que cet ouvrage est écrit d’un point de vue totalement matérialiste. Les dimensions de « plus grand que soi » ou d’expériences spirituelles que peuvent vivre les personnes hp n’y ont aucune place. Chacun est, bien sûr, libre de ses (non-)croyances, mais les crises auxquelles font face les personnes hp, la difficulté pour elles de trouver un chemin satisfaisant, celle de faire face à leurs désillusions, la difficulté de choisir une voie parmi toutes leurs potentialités (tout en faisant en sorte que le fait de devoir en laisser de côté un grand nombre soit supportable) me font dire que l’expérience spirituelle des personnes hp est pour elle un guide encore plus essentiel que pour les autres personnes (et, ceci, quelle que soit la forme qu’elle prenne).
  • La question de la survie sur la place de travail n’est pas non plus abordée alors même qu’elle peut s’avérer extrêmement difficile pour les personnes hp. Dans la plupart des univers professionnels, l’exigence de conformité est encore bien plus forte qu’à l’école. Les personnes sont aussi confrontées particulièrement durement a des comportements humains qui sont à des années-lumière de leurs idéaux. Survivre dans un milieu qui peut être extrêmement toxique est d’autant plus difficile qu’on ne choisit pas toujours son job. Il arrive très fréquemment qu’on doive se contenter du peu qu’on trouve et cela peut être extrêmement risqué d’abandonner un poste dans la conjoncture actuelle. Arriver à faire face dans un pareil univers aurait largement mérité un chapitre.
  • Dans ce texte, il est beaucoup question de la très grande sensibilité et des ressentis très intenses des personnes hp. Par contre, la justesse et la lucidité de nombre des constats faits par ces mêmes personnes ne sont pas reconnues. Or il s’agit d’une dimension du problème. C’est particulièrement douloureux de vivre en constatant de nombreux dysfonctionnements autour de nous, d’avertir de leur existence, de proposer des solutions, de se faire violemment rejeter pour ce faire, puis de constater que tout ce que nous avons vu et prédit se confirme (le tout sans la moindre reconnaissance, bien sûr) !
  • Au chapitre 6, l’auteur insiste sur l’importance de se connaitre soi-même. Ce constat est essentiel. A être purement cognitifs, les systèmes scolaires coupent d’eux-mêmes les enfants. Les entreprises vont exactement dans le même sens. Des jeunes très doués qui ont un mental puissant et qui se sont particulièrement investis sur le plan cognitif se voient de ce fait encore plus complètement coupés de qui ils sont profondément. Par contre, l’auteur se garde bien de donner des outils efficaces pour se reconnecter aux personnes qui en manqueraient ! c’est ainsi qu’un outil aussi essentiel (et éprouvé) pour retrouver le lien a ses ressentis qu’est le focusing (5) n’est même pas mentionné ! Bref ce chapitre est tronqué de nombreuses pages essentielles pour qu’il puisse vraiment atteindre son but.

 

A mes yeux, ces limites sont importantes. Mais elles sont contrebalancées par une série d’éléments importants qui font que cet ouvrage vaut la peine :

  • Dans le même chapitre ou l’auteur insiste sur l’importance de se connaitre moi-même, il finit par suggérer aux personnes de se faire aider. Il ne s’agit pas tant de psychothérapie (être hp n’est pas un trouble, mais une manière d’être au monde) que de trouver un mentor qui comprenne en profondeur ce que c’est que d’être hp et qui puisse aider une personne a se reconnecter avec elle-même, à lire et à faire le tri dans ses ressentis corporels (pour reprendre le terme du focusing), à découvrir les arcanes des relations humaines, à apprendre à faire face à ses désillusions et ses crises existentielles et à trouver un chemin dans son existence alors qu’on s’est bien gardé de lui en donner le mode d’emploi!
  • L’auteur insiste sur le fait que c’est une problématique essentielle et inhérente au fait d’être hp que d’avoir un haut degré d’idéal, de très douloureuses désillusions quand la société ou la personne elle-même ne correspond pas à ses exigences, et de vivre des dépressions existentielles à répétition. Tout l’enjeu pour la personne est d’arriver à vivre dans une société qui ne répond pas à ses exigences, de faire avec le fait qu’elle-même n’y arrive pas, de trouver quelque chose qui fasse qu’elle sente malgré tout que son existence a du sens, et qu’elle trouve une satisfaction alors même qu’elle ne pourra déployer qu’une petite partie de ses potentialités. C’est l’enjeu d’une vie et c’est là ou certaines manières de « faire avec » sont plus fructueuses que d’autres.
  • Il fait référence à la notion de « sur-stimulabilité » issue des travaux de Kasimierz Dabrowski. Cette notion dénote les réactions particulièrement intenses des personnes hp, aux manières dont elles se manifestent (Dabrowski définit 5 catégories) aux forces et aux faiblesses que cela peut induire. Ces catégories me semblent intéressantes et pertinentes et elles peuvent aider les personnes à mieux comprendre leurs réactions.
  • Il liste 12 manières de « faire avec » qui peuvent s’avérer problématiques si on en dépend trop. Ces manières comprennent des comportements comme « avoir une attitude totalement rigide et exiger des autres qu’ils s’y conforment », « se retirer dans sa tour d’ivoire », « s’en foutre complètement », « étourdir son cerveau en particulier via un usage de substances diverses », « être sans cesse dans la colère et la révolte », etc. Si nous recourons toutes et tous à ces techniques à des degrés divers, elles ont l’inconvénient très grave de nous couper de nous-mêmes et des autres. Nous devons donc prendre grand soin de ne pas nous y enfermer.
  • La partie la plus précieuse et potentiellement la plus utile de cet ouvrage est le chapitre qui traite des techniques pour faire avec, qui sont fructueuses et même fécondes. L’auteur en liste treize. Il y a des pratiques comme « se choisir UNE cause et s’y investir vraiment », « ne jamais oublier son sens de l’humour », « avoir des activités qui permettent d’être en contact physique avec d’autres », « développer des relations authentiques », « profiter du moment présent », « garder à l’esprit les conséquences positives à plus long terme ainsi que les conséquences positives indirectes de ses actes », etc. Sans représenter une panacée, ces recommandations me semblent constituer un tout sensé, susceptible de notablement améliorer la qualité de vie des personnes hp.
  • Le dernier chapitre traite, entre autres, des recommandations de base de la psychologie du bonheur. A l’exception de l’une d’entre elles qui peut poser de gros problèmes aux personnes qui ont subi des abus et/ou des traumatismes (6) elles me semblent constituer un paquet d’autant plus utile que les personnes hp sont particulièrement peu douées en la matière et que, de ce fait, nous devons tout particulièrement cultiver notre jardin.

 

En conclusion, cet ouvrage me parait solide et utile et c’est pourquoi je me permets de le signaler. J’espère que sa lecture pourra aider d’autres personnes à trouver leur chemin quitte à, pour reprendre les propos de l’auteur, à « avaler la chair et à en recracher les os” !

 

(1) Voir, par exemple :

  • Christel Petitcollin, Je pense trop, Guy Trédaniel, 2010
  • Christel Petitcollin, Je pense mieux, Guy Trédaniel, 2015
  • Jeanne-Siaud Facchin, Trop inteligent pour etre heureux? – L’adulte surdoué, Odile Jacob, 2008
  • Arielle Adda & Thierry Brunel, Adultes sensibles et doués – Trouver sa place au travail et s’épanouir, Odile Jacob, 2015

(2) Great Potential Press Inc (www.greatpotentialpress.com)

(3) James T. Webb, Ph. D., Searching for meaning – Idealism, bright minds, disillusionment and hope, Great Potential Press Inc, 2013

(4) Voir, par exemple, Rogers, Carl. (1961). On Becoming a Person: A Therapist’s View of Psychotherapy. London: Constable (pour l’édition originale), partiellement traduit en français (il manque toujours 5 chapitres dans la version française)

(5) Eugene Gendlin, Focusing, Rider, 2003 (traduit en français)

(6) Dabrowski, K., With Kzwczack, A. Piechowski M. M. (1970) Mental growth through positive disintegration. London Gryf.

(7) La question est celle du pardon. Alice Miller fait, à très juste titre, remarquer que le pardon est utilisé par les systèmes religieux et éducatifs pour protéger les adultes maltraitants qui commettent des actes graves sur les enfants. Le pardon, érigé en vertu, voire en obligation morale, coupe encore plus les victimes de ce qui leur reste de ressenti, contribue à cacher et à renforcer encore leur traumatisme et est une des formes de ce qu’elle appelle le « 11ème commandement : tu ne t’apperçevras de rien ».

 

 

 

C’est l’histoire d’une zèbre…

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Tiana, Je suis un zèbre, Payot 2015

 

…. comme aurait pu le dire Coluche. Sauf que cette histoire est vraie. Ca n’est pas une blague. Le témoignage de Tiana n’est pas là pour faire rire et elle a déjà assez subi de moqueries comme cela!

Le parcours de vie de Tiana est unique et tous les zèbres ne s’y reconnaitront pas. Au delà des spécificités de sa propre histoire, ce qui m’a frappée, c’est combien son parcours de vie est difficile et semé d’embûches, alors même qu’elle semble ne pas avoir subi les maltraitances familiales très lourdes et de tous ordres qui ont été le boulet des zèbres des générations précédentes.

Dans ce qu’elle décrit, il n’y a ni traumatisme de guerre, ni secret de famille, ni transmission intergénérationnelle horrible ni toutes les autres horreurs qui entravent tant d’autres personnes.

Pourtant, le seul fait d’être une surefficiente mentale rend sa vie, en particularité sa scolarité et sa socialisation de jeune ado extrêmement difficile, au point d’être insupportable et de la faire craquer. Il est vrai que les symptômes de son mal être sont spectaculaires et très visibles. Ils en sont d’autant plus difficiles à porter qu’ils sont sous le regard de l’autre. Et le regard de l’autre est insupportable quand on est une ado et qui plus est une zèbre.

A la fin de son témoignage elle partage qu’elle a pu trouver un début d’insertion sociale, de stabilité intérieure, un peu de confiance. Elle fait aussi l’expérience que certaines fragilités ne disparaissent pas aussi vite qu’elle le souhaite, qu’elle doit avoir l’humilité d’apprendre à vivre avec, de reconnaître leur présence quand elles se réveillent et d’oser alors demander de l’aide. C’est une forme de sagesse précieuse.

Elle est loin d’être la seule jeune zèbre dont le parcours de vie est très difficile. Si sont témoignage peut aider d’autres ados à faire quelques pas, il aura été précieux. S’il peut éclairer des personnes de leur entourage, les aider à être de meilleurs proches aidants, sans pour autant se perdre dans les difficultés de la personne qu’ils accompagnent, il aura rendu un autre service précieux.

Je connais des zèbres pour qui éviter de se suicider est en soi un défi majeur tant leur existence est douloureuse et tant trouver une place qui leur convienne est difficile. Tiana a fait un bout de ce chemin. elle a souhaité partager son expérience de vie. Je souhaite à son témoignage qu’il puisse atteindre les personnes auxquelles il est destiné.

Accueillir et goûter les fruits de son chemin

Lotus Flower photo taken at GSS College Garden( Belgaum, Karnataka , India),5 October 2006,Nivedita Patil, Wikimedia Commons
Lotus Flower photo taken at GSS College Garden( Belgaum, Karnataka , India),5 October 2006,Nivedita Patil, Wikimedia Commons

 

Pour de très nombreuses personnes, la vie est tout sauf un long fleuve tranquille. Trouver sa place, faire son chemin est souvent difficile et prend du temps. Les enfants doués doivent en plus faire face aux obstacles liés à leur différence qui sont à la mesure de leurs ressources.

Avec les décennies de nombreuses personnes finissent heureusement par faire leur chemin, par se libérer de leurs entraves et de leurs traumatismes, et par trouver une place au moins acceptable pour elles. Il est alors nécessaire et légitime d’accueillir et de goûter les fruits de son propre chemin. Cela n’est pas toujours simple pour des personnes qui doivent lutter et investir énormément d’énergie pour arriver justement à se tracer un chemin dans une jungle d’obstacles et d’entraves. A force d’être perpétuellement dans la lutte, il est facile de minimiser ce qu’on a déjà atteint et de négliger d’en goûter consciemment les fruits. Et les enfants doués aimeraient pouvoir en faire tellement plus que, quoi q’ils aient réussi, ils ont toutes les chances de « ne se sentir ‘que‘ là sur leur chemin »…

Certaines étapes sont plus marquantes que d’autres et elles méritent encore plus d’être appréciées. Avec le temps, au fur et à mesure que la personne trouve sa place et se situe moins dans une dynamique de lutte permanente, cela devient aussi plus facile.

Arriver à nouer une relation amoureuse durable, saine, respectueuse, féconde (pour l’un-e et pour l’autre) et de qualité avec un-e partenaire est certainement l’une d’entre elles.

Arriver à trouver une place qui soit satisfaisante et qui corresponde à notre besoin de sens dans une société humaine qui reste ce qu’elle est avec ses absurdités, ses injustices et ses horreurs en est une autre.

De même, arriver à trouver un équilibre professionnel satisfaisant dans un environnement qui est devenu très difficile pour tout le monde en est encore une autre.

Avoir fait assez de chemin, être devenu-e assez vivant-e pour pouvoir se libérer progressivement du plus gros des traumatismes qui nous ont entravé pendant des décennies et pouvoir « laisser partir » les auteurs de ces traumas est aussi une étape essentielle.

Avoir pu mettre des mots sur sa propre dimension spirituelle, avoir pu trouver comment en prendre soin et la laisser grandir est une autre expérience très précieuse, digne d’être accueillie et célébrée.

Avoir trouvé un équilibre entre le soin des autres et celui de soi (que les enfants doués ont tellement tendances à négliger) est également précieux.

Avoir trouvé comment satisfaire sa soif de beauté et nourrir son expression créative est un autre point important qui contribue à l’équilibre, à la qualité et au sens de la vie des enfants doués.

Avoir continué son chemin et continué de grandir au point de pouvoir se vivre en confiance profonde avec soi-même, en paix avec soi-même et avec la société qui nous entoure (qui, une fois encore, reste ce qu’elle est) est aussi une étape très marquante.

Nombre de jeunes enfants doués et d’ados surefficients sont très inquiets face à leur avenir. Ils et elles apréhendent ce que l’avenir leur réserve, quelle place ils vont bien pouvoir trouver dans ce monde étrange et incompréhensible qui les entoure. Ils sont d’autant plus inquiets que ce qui se passera dans trois mois, c’est déjà très loin. Alors un chemin qui prend des années, voire des décennies, c’est désespérant!

Malgré tout, savoir que d’autres arrivent avec le temps à faire leur chemin, c’est infiniment mieux que rien et cela peut aider certains d’entre eux à trouver l’énergie nécessaire pour faire, un pas après l’autre, le chemin qui leur permettra progressivement de trouver eux aussi leur place dans cet univers étrange qu’on appelle la société humaine.

Je pense mieux, une pépite pour les enfants doués

Christel Petitcollin,Je pense mieux : Vivre heureux avec un cerveau bouillonnant, c'est possible !, Guy Trépaniel, 2015
Christel Petitcollin,Je pense mieux : Vivre heureux avec un cerveau bouillonnant, c’est possible !, Guy Trédaniel, 2015

 

Dévorer un livre en quelques heures, cela faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé!…

Comment décrire le sentiment d’excitation qui m’a habitée du début à la fin? Une sonate pour piano de Mozart pour la fluidité de l’écriture? Un toast au caviar pour goût de la nourriture? Un paysage qui s’ouvre devant soi au fur et à mesure qu’on avance et que je découvre de nouvelles perspectives? Tout cela et bien plus encore.

J’avais énormément apprécié de lire «je pense trop». Les propos de Mme Petitcollin «collaient», pour l’essentiel, avec mon expérience et mon parcours de vie. A défaut de piste vraiment concrète pour mieux vivre, c’était précieux pour moi de me retrouver dans ses paroles. C’est certainement l’ouvrage en langue française qui me correspondait le plus. Pour une fois, je ne suis absolument pas sûre de trouver mieux en langue anglaise, même s’il existe au moins un éditeur spécialisé dans le domaine (1). Ca colle tellement bien que, à mes yeux, cela va au-delà du «s’efforcer de comprendre l’autre comme il se comprend lui-même» cher à Carl Rogers. Je ressentais et je ressens toujours «je pense trop» comme un livre écrit de l’intérieur, par une personne surefficiente et pour d’autres personnes surefficientes. Peut-être est-ce pour cela qu’il a eu tant de succès auprès des enfants doués et qu’il est resté étranger auprès des normo-pensants, comme le révèle Mme Petitcollin dans son nouvel ouvrage.

Ce nouveau livre est stimulé et inspiré des correspondances et des interactions que l’auteure a eu depuis le premier livre. Il est écrit avec beaucoup de fluidité sur le ton d’une conversation. Elle s’adresse directement aux personnes surefficientes. Elle aborde une succession de thèmes (au moins un par chapitre), de manière brève et très vivante.

La multiplicité des thématiques abordées doit permettre à de nombreuses personnes d’y trouver leur compte, dans toute la variété des parcours de vie et des manières d’être au monde des personnes concernées. Là encore, ces thèmes sont beaucoup centrée autour de «mettre en mots», «faire du sens», «ouvrir de nouvelles perspectives», «aider à voir ou lire autrement certains aspects de sa vie», et j’ai été fascinée par l’ouverture et les perspectives ouvertes par cet ouvrage. J’ai été tout particulièrement intéressée par le chapitre sur les résonances ou les correspondances entre ce que c’est que d’être une personne surefficiente, asperger ou autiste.

Après, en lisant un texte avec une telle intensité, il y a bien sûr les nombreux moments où j’ai senti le fameux «Ah, mais c’est plus compliqué!». Mais c’est relativement facile de pouvoir trouver plein de nuances et de complexités additionnelles à partir d’un texte pareil! En voici quelques unes qui me semblent particulièrement importantes, en tout cas pour moi.

Mme Petitcollin utilise le terme de «balancier» (2) pour désigner tout groupe humain qui a pour but de regrouper un maximum de membres et de se nourrir de leur énergie. Dans son développement, elle mentionne que de lutter «contre» ou de lutter «pour» est stérile et que les engouements, comme les indignations sont souvent de courte durée, que seul l’engagement à long terme paie. C’est peut-être du au fait que j’ai vu de près quelques luttes pour la défense de droits humains, mais je constate que les organisations qui sont engagées dans ce genre de thématique se doivent de lutter «pour» ou «contre» quelque chose et que c’est une partie inhérente de leur engagement à long terme. Qu’il s’agisse des violences faites aux femmes, des droits des personnes trans, du mariage pour tous, etc., il y a une part non négligeable de recours à la pression de l’opinion publique et de rapports de force dans la défense de toutes les causes qui méritent d’être défendues. Par contre, il faut savoir choisir ses luttes et doser les différents moyens.

Un chapitre entier est consacré au manque d’égo des personnes surefficientes et à ses conséquences dans leurs relations. Ce chapitre contient de nombreuses remarques fort judicieuses, mais il me semble qu’il y manque une clef. Cette dernière est que la sécurité intérieure, fondement d’une bonne image de soi et d’un égo normalement développé est normalement le fruit d’une expérience incarnée, corporelle, que fait le tout petit enfant quand il est accueilli et aimé de ses parents et que ces derniers le lui signifient adéquatement, par un contact corporel respectueux et pleinement habité. Quand cette sécurité intérieure n’est pas là, il n’y a pas moyen de construire quoi que ce soit de solide. Pour se remettre sur pied, il faut faire cette expérience, toujours de manière incarnée et ceci quel que soit son âge. C’est ce qu’affirme, entre autres, l’haptonomie (3) et je dois constater que cela correspond à mon expérience. Dans la mesure où Mme Petitcollin confirme que, dans sa pratique, une grande proportion de personnes surefficientes ont subi de solides traumatismes dans leur parcours de vie, il me semble que ce point est susceptible d’en aider un certain nombre.

L’auteure consacre une section à la pathologisation des états d’âme. Elle fait remarquer, à très juste titre, la surinflation des codes diagnostiques dans les éditions successives du DSM (4), que sa toute dernière édition, le DSM-V, a dépassé toutes les bornes en la matière (par exemple, en pathologisant tout deuil au-delà de quinze jours). C’est littéralement à se demander qui est vraiment dément dans cette affaire et il y a encore bien pire dans ce document!

Mais, si tout code diagnostique peut être très mal utilisé, cela peut être dangereux de jeter le bébé avec l’eau du bain. J’ai vu de près des ados et des adultes hyperactifs et des personnes souffrant de troubles bipolaires. J’ai vu de près la souffrance d’ados tellement mal dans leur peau qu’elles allaient jusqu’à s’automutiler et dont la scolarité, en cendres, les privait de toute perspective. Je les ai aussi vu «rassembler leur vie», «se retrouver» une fois sous ritaline, pouvoir mener une vie bien bien plus satisfaisante à leurs yeux et choisir de conserver cette médication. J’ai aussi vu des adultes hyperactifs, avec leur propre vie et leur famille en petits morceaux. Je les ai aussi vu pouvoir se rassembler et retrouver une vie bien plus satisfaisante et harmonieuse (pour eux-mêmes et pour leurs proches) avec ce même médicament qu’on stigmatise tant. Et j’ai toujours autant de mal à comprendre comment on pourrait risquer «d’assommer une classe entière» avec une molécule qui est un stimulant du système nerveux central (c’est une amphétamine), qui a été prescrit contre la narcolepsie avant qu’on trouve mieux!

L’auteure consacre une section au monde «2.0» qui est pour elle une grande source d’espoir. J’avoue être infiniment plus réservée à ce sujet. Nombre de communautés qui apparaissent sur internet souffrent exactement des mêmes maux que nos sociétés: andro-centrées, centrées sur des personnes de couleur blanche, misogynes, homophobes, transphobes, etc. Les personnes dominantes de ces groupes sont presque exclusivement des hommes et ce sont les plus pugnaces, les plus narcissiques et les plus à même à vivre dans une atmosphère de conflit perpétuel qui l’emportent (5). Dans cet univers, pour citer Mme Petitcollin, les crimes ne sont pas nécessairement punis, bien au contraire, ce sont souvent ceux qui les dénoncent qui sont attaqués. Par exemple, dans le cas de certaines des femmes qui ont dénoncé la misogynies des jeux informatiques, le harcèlement est allé jusqu’à des menaces de mort et des menaces d’attentat lors de leurs apparitions publiques (6). Leurs harceleurs courent toujours et le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne sont pas condamnés unanimement. Certaines communautés Open Source tentent de mettre en œuvre des mécanismes de modération, mais elles en sont aux balbutiements (7).

Il y a aussi plusieurs chapitres sur la vie en société et sur le monde professionnel qui me laissent un peu réservée. Peut-être que c’est juste une question de l’ordre des mots, mais il me manque une phrase qui dirait en substance «même en faisant de votre mieux, attendez-vous à ce que cela ne soit pas simple et à ce que cela reste problématique». Pour reprendre un exemple de l’auteure, j’ai appris à être (plus ou moins) sage dans ma vie professionnelle et à faire attention de savoir auprès de qui je peux m’exprimer et dire certaines vérités, ou pas. Mais je suis au regret de constater que cela ne fait que déplacer le problème. Quand j’arrive à repérer que ma parole n’est pas bienvenue et à me taire, j’évite en effet des rejets et des agressions. Par contre, c’est une véritable souffrance pour moi que de voir des gens aller à toute vitesse droit dans un mur, et ne rien pouvoir faire, et je me sens souvent emmurée vivante! Après, il me faut digérer.

En ce qui concerne le monde du travail, je suis très pessimiste. A mes yeux, l’indépendance, la voie proposée par Christel Petitcollin, n’est une piste que pour un petit nombre de personnes et j’ai vu bien trop d’indépendant-e-s incapables de tourner et avoir toutes les peines du monde à réintégrer le marché du travail «classique» pour la recommander à qui que ce soit. Par ailleurs, ce dernier est devenu tellement dur et tellement incompatible avec la manière d’être des personnes surefficentes que le seul fait de survivre plus ou moins sur le plan psychique est déjà une réussite majeure. Quant aux entreprises à visage humain dont parle l’auteure et qui seraient compatibles avec les personnes surefficientes, je n’en connais pas une seule.

Il me semble que quand on est une personne surefficiente, il est nécessaire d’apprendre à vivre «en terre étrangère», comme l’écrivait Robert Heinlein (8). Et, comme dans son roman, c’est d’autant plus difficile que, même si nous sommes des aliens, notre différence ne se voit pas. Une autre référence qui me vient est celle de la communauté imaginaire, la Sororité de l’Epée, inventée par l’écrivaine Marion Zimmer Bradley (9). Ce ne sont pas les modèles les plus riants que je connaisse, mais ils correspondent à mon expérience de vie, ils me parlent de la vie de mes amies surefficientes et ils me parlent de la survie dans une société qui n’est à tout le moins pas inclusive quand il n’est pas franchement excluante.

Bref, il s’agit de quelques bémols, de quelques nuances ou de quelques accents mis un peu différemment sur un texte que je ne peux que recommander chaudement à tous les enfants doués, à toutes les personnes surefficientes qui cherchent leur chemin.

(1) http://www.greatpotentialpress.com

(2) Vadim Zeland, Transurfing, Exergue, 2010

(3) Frans Veldman, Haptonomie science de l’affectivité : redécouvrir l’humain, PUF, 2007

(4) Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, American Psychiatric Association, http://www.dsm5.org/Pages/Default.aspx

(5) Voir, par exemple :

http://www.theguardian.com/commentisfree/2014/may/08/misogyny-worse-than-before-internet

http://www.theguardian.com/commentisfree/2014/aug/08/women-misogyny-internet-mary-beard-female-troll

http://motherboard.vice.com/read/the-chilling-effect-of-misogynistic-trolls

(6) J’ai mis quelques références à ce sujet dans l’article suivant :

https://labyrinthedelavie.net/2014/11/02/les-dupont-lajoie-de-la-mysogynie/

(7) Voir, par exemple:

http://www.zdnet.fr/actualites/conflit-linux-adopte-un-code-de-bonne-conduite-39816070.htm

(8) Robert Heinlein, En terre Etrangère, Robert Laffont, 2014, pour l’édition actuelle

(9) Marion Zimmer Bradley, The Saga of the Renunciates, Mass Market Paperback, 2002

Notre relation à la nature, peut-être plus compliquée qu’imaginé

Ficus Benghalensis, un figuier étrangleur, photo de Forest & Kim Starr, Wikimedia Commons http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Starr_010420-0095_Ficus_benghalensis.jpg)
Ficus Benghalensis, un figuier étrangleur, photo de Forest & Kim Starr, Wikimedia Commons http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Starr_010420-0095_Ficus_benghalensis.jpg)

 

Pour moi comme pour de très nombreuses personnes, me ressourcer en pleine nature, en particulier en forêt, est essentiel. Les temps que j’y passe me changent. Le seul fait de sentir l’espace, l’air, la lumière, les arbres et les plantes autour de moi, écouter les oiseaux, être juste là, prendre le temps, fait que je me recentre, que je m’ancre. J’ouvre mes perceptions, je me sens en lien avec la nature qui m’entoure. Cela me donne envie d’y rester plus longtemps, d’y revenir, d’y passer bien plus de temps que ce que je peux faire. Le retour au quotidien, en particulier professionnel, est peu agréable même si je me sens revivifiée. Je ne peux que constater le contraste entre cet espace si précieux et mon quotidien si différent.

Pour autant, j’ai du mal quand j’entends des personnes autour de moi, qui vont presque jusqu’à diviniser la nature, tout en diabolisant les êtres humains. Au fond de moi, cela ne sonne pas juste. Nous venons de la nature, nous en sommes une partie. Comment pouvons-nous être si mauvais en venant d’une nature quasi parfaite, ou inversément?

En fait, les êtres qui nous fascinent le plus sont loin d’être toujours des saints selon nos critères moraux, et de loin s’en faut.

Les chimpanzés qui sont si proches de nous peuvent aussi s’entretuer ou tuer un des leurs (pour des raisons qui souvent nous échappent). Il leur arrive régulièrement de chasser d’autres singes et de s’en prendre tout particulièrement à leurs petits, plus faciles à attraper. Même vu à distance dans un reportage, pour moi c’est particulièrement remuant (1).

Nous savons qu’un lion peut dévorer les petits d’une portée qu’il n’a pas produit, mais après tout, c’est un «grand méchant prédateur» dans notre représentation. En fait, certains des animaux que nous trouvons les plus adorables sont autant des prédateurs que les lions et ils peuvent avoir des pratiques tout aussi terribles. En cas de famine, les loutres de mer mâles n’hésitent pas à kidnapper des petits pour obtenir de la nourriture de leur mère (2). Ils ne rechignent pas non plus à abuser sexuellement de bébés phoques jusqu’à les noyer, et à continuer au-delà de leur mort (3). Les dauphins ont les mêmes pratiques entre eux, ils tuent les petits des femelles pour les pousser à redevenir fécondes. Il leur arrive également de tuer des marsoins sans les manger ni faire quoi que ce soit de leurs cadavres (4). Quant un banc de dauphins arrive, même les requins qui nous font frémir se cachent. Des phoques sont également connus pour abuser sexuellement de manchots (5). Je suis sûre qu’on peut trouver bien d’autres cas encore. En passant, les végétaux aussi ont leurs histoires fratricides. Intéressez-vous, par exemple, aux figuiers étrangleurs.

D’aucuns diront qu’il s’agit des lois de la nature, que nous ne devons pas lui appliquer nos critères moraux et qu’elle vit selon des règles qui lui sont propres. Mais cet argument est problématique pour au moins deux raisons:

Sur le plan des faits, cette affirmation ne tient pas la route. Les éthologues ont montré que les grands primates sont extrêmement proches des êtres humains sur le plan de leurs capacités affectives et relationnelles ((6), (7), (8), (9)). Ils sont parfaitement capables d’empathie, de solidarité, de se mettre délibérément en danger pour sauver l’un des leurs, de tenir compte de de l’autre et de sa réaction probable pour moduler leurs propres actions, etc. Les chimpanzés qui peuvent être extrêmement violents sont aussi très doués en matière de réconciliation. Quant à leurs mœurs politiques, elles ressemblent étrangement aux nôtres! Par ailleurs, un certain nombre d’autres mammifères manifestent clairement de l’empathie au moins dans certaines situations.

Ceci signifie qu’on ne peut pas affirmer que la nature et les humains sont deux univers différents régis par des lois différentes. En fait, nous sommes des grands primates très proches des autres, un très grand nombre de nos réactions et de nos actions ressemblent de si près aux leurs qu’on peut dire que nous sommes infiniment plus animaux que nous voulons l’admettre, tout comme les autres animaux, en particulier les mammifères, sont infiniment plus proches de nous que nous ne voulons l’admettre. En d’autres termes, nature et culture ne sont pas complètement disjointes et cela rend les choses très compliquées.

L’autre point est que, si la nature nous est si précieuse comme lieu de ressourcement et de recentrement, c’est qu’elle a pour nous une connotation morale, voire spirituelle. Les peuples premiers parlent de la Terre Mère et cette dernière est infiniment précieuse. Ils nous voient au service de sa préservation, en contraste avec la vision occidentale qui est une vision d’asservissement de cette dernière. Alors il n’est pas indifférent d’y constater des choses qui ressemblent à nos pires turpitudes. Et comment concilier ces dernières avec la valeur spirituelle que représente pour nous la nature?

Pour moi, la pire des choses est le déni de ce problème. Nous sommes des animaux comme les autres, ces derniers sont bien plus proches de nous que nous ne voulons l’admettre et il arrive même à ceux qui nous fascinent le plus d’agir d’une manière qui nous révulse tout autant que nos pires actions. Pour autant, le contact avec la nature et les autres être vivants nous est infiniment précieux, il a pour nous une dimension spirituelle. Dont acte.

Il me semble tout aussi essentiel d’éviter d’utiliser les actes des uns pour justifier ceux des autres et réciproquement. Constater des comportements terribles dans la nature ne justifie en rien la barbarie de certaines de nos actions.

Il y a en moi et en de très nombreuses personnes le souci de préserver la vie et la nature, d’en prendre soin, de l’aider à grandir et à s’accomplir. Cela ne signifie pas approuver ce qui s’y passe de pire, d’où que cela provienne. Mais c’est cette attention intérieure à la vie qui vibre quand je suis au contact de la nature. En prendre soin de manière respectueuse me fait grandir intérieurement. A nous et à nos descendant-e-s d’observer les fruits de nos actes. Sommes-nous capables de prendre soin de nous et d’elle «jusqu’à la 7ème génération» comme le souhaitent les peuples premiers?

(1) David Attenborough, the life collection: http://www.amazon.co.uk/The-Life-Collection-David-Attenborough/dp/B000B3MJ1E

(2) Animals can be giant jerks: http://www.iflscience.com/plants-and-animals/animals-can-be-giant-jerks

(3) The other side of otters: http://news.discovery.com/animals/the-other-side-of-otters.htm

(4) ‘Porpicide’: Bottlenose dolphins killing porpoises: http://www.sfgate.com/news/article/Porpicide-Bottlenose-dolphins-killing-porpoises-2309298.php

(5) Seals accused of sexually attacking penguins: http://www.huffingtonpost.com/2014/11/17/seals-sex-penguins_n_6170770.html

(6) Frans De Waal, Our Inner Ape: The Best and Worst of Human Nature, Granta Books; New edition edition (4 Sept. 2006)

(7) Frans De Waal,The Age of Empathy: Nature’s Lessons for a Kinder Society, Souvenir Press Ltd (1 Oct. 2010)

(8) Frans De Waal, Chimpanzee Politics: Power and Sex among Apes, ohns Hopkins University Press; 25th anniversary edition edition (30 Aug. 2007)

(9) Frans De Waal, The Bonobo and the Atheist: in Search of Humanism Among the Primates, W. W. Norton & Company; Reprint edition (8 April 2014)

Quelle insertion dans le monde professionnel quand on est un être sensible?

Panneau de signalisation, à la croisée du chemin des Laines et du chemin de la Liquière à Ournèze, Daniel Villafruella, Wikimedia Commons
Panneau de signalisation, à la croisée du chemin des Laines et du chemin de la Liquière à Ournèze, Daniel Villafruella, Wikimedia Commons

Faire des études peut être enthousiasmant et de nombreux jeunes, quand ils s’apprêtent à entrer dans le monde du travail ont l’espoir de pouvoir apporter quelque chose. La suite ne leur donne pas toujours raison. C’est difficile de garder espoir quand on se retrouve un petit numéro parmi d’autres et quand on est témoin de relations humaines dans lesquelles le respect mutuel, l’écoute, laisser la personne développer son potentiel sont vu comme des extraterrestres. Quant on est un être particulièrement sensible, c’est l’assurance d’en prendre plein la figure. Christel Petitcollin mentionne que les personnes hyperefficientes «doivent avoir une gestion du stress de premier ordre» (*). Mais cela peut ne pas suffire ou ne pas marcher.

En regardant mon propre parcours de vie à la lumière de celui de personnes de mon entourage, je vois plusieurs manières de faire face à cette situation. Mais je ne suis pas sûre que l’une soit préférable à l’autre.

Une possibilité est d’avoir un job «normal» (ne me demandez pas ce que cela signifie) qui apporte une sécurité matérielle et financière. Si cela permet d’éviter certaines galères (celles qui sont liées au manque d’argent), c’est aussi la quasi assurance d’en prendre plein la figure jour après jour dans un univers professionnel non respectueux. Arriver à digérer et à maintenir son équilibre dans un univers aussi toxique devient une épreuve de chaque jour et consomme une énergie énorme. C’est vrai qu’à l’occasion, on peut avoir quelques actions dans lesquelles nous nous sentons avoir un sens. Mais est-ce que le prix payé en vaut la peine ?

Un autre parcours possible est de prendre un chemin d’indépendant-e, de faire ce qui nous intéresse, d’essayer d’en vivre ou de compléter l’ordinaire par des travaux alimentaires. Les personnes que je connais qui ont entrepris ce parcours ont évité de subir le monde de l’entreprise, son inhumanité et sa perversité. Par contre, elles sont dans une sérieuse insécurité matérielle, ce qui limite leur capacité de créer qu’elle voulaient privilégier. Est-ce que cela en vaut la peine ? Est-ce vraiment mieux?

Il est des personnes pour qui le monde du travail actuel est proprement insupportable. Elles se retrouvent régulièrement sans emploi et c’est très difficile pour elle d’en garder un plus de quelques mois. Les périodes sans emploi les protègent de ce qui leur est insupportable, mais leur insécurité matérielle est encore plus grande.

Christel Petitcollin parle des professions libérales comme d’une piste de choix pour les surefficient-e-s mentaux. Je n’en connais pas qui aient suivi ce chemin. Mais il est vrai que cela peut marcher.

Ce qui me touche et me révolte est que la difficulté des personnes douées à trouver une place dans le monde professionnel est un drame pour tout le monde. C’en est un pour elles, qui aspirent tellement à pouvoir se donner et qui se trouvent rejetées, parfois très violemment, justement en raison de leurs dons et de leurs capacités. C’en est un pour la société qui se prive d’un capital d’innovation, de changement, de modération, d’apaisement qui est très précieux.

(*) Je pense trop, comment canaliser ce mental envahissant, Christel Petitcollin, 2010, Guy Trédaniel

Bonne année 2015

A red sunrise over the Black Sea.,18 February 2008, by Moise Nicu, Creative Commons Attribution 3.0 licence
A red sunrise over the Black Sea.,18 February 2008, by Moise Nicu, Creative Commons Attribution 3.0 licence

 

Bonjour

A l’aube de cette nouvelle année c’est à mon tour de vous présenter mes voeux.

Je vous souhaite non seulement une très belle année 2015, mais, en pensant tout particulièrement à tous les enfants doués, je vous souhaite une année sereine, paisible, durant laquelle vous puissiez vivre avec beaucoup de distance les aléas de la vie et dans laquelle vous puissiez trouver ou faire grandir une vie dans laquelle vous vous sentiez profondément bien.