Archives du mot-clé ressourcement

Se réveiller au milieu d’un champ de bataille

CnXobaHW8AAJYiG
Image créée par une lectrice du Monde et diffusée sur les réseaux sociaux. Source: http://start.lesechos.fr/actu-entreprises/technologie-digital/attentat-a-nice-solidarite-et-hommages-sur-facebook-et-twitter-5274.php

 

7 juin 2016, Istanbul, 11 morts.

9 juin 2016, Tel-Aviv, 4 morts.

12 juin 2016, Orlando, 49 morts et 53 blessés.

13 juin 2016, Magnanville, 2 mort.

27 juin 2016, Al-Qaa, Liban, 5 morts et 28 blessés.

28 juin 2016, Istanbul, 45 morts et 239 blessés.

30 juin 2016, Djakan, Cameroun, plus de 10 morts.

2 juillet 2016, Dacca, Bangladesh, 20 morts.

3 juillet 2016, Bagdad, 292 morts et plus de 200 blessés.

4 juillet 2016, Médine,  4 morts et 4 blessés.

5 juillet 2016, Hassaké, Syrie, au moins 16 morts et 40 blessés.

14 juillet 2016, Nice, plus de 84 morts.

12 massacres en un mois et demi.

Source: https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_d%27attaques_terroristes_islamistes#2016

 

Que nous le voulions ou non, nous nous réveillons sur un champ de bataille. Pire encore, nombre des criminels qui ont commis ces horreurs sont natifs du lieu où elles ont été commises.

Nous pensions vivre en paix, et nous nous retrouvons, très vulnérables, dans monde devenu terriblement fragile. Même si je n’ai pas été directement victime de ces horreurs, je me sens touchée et concernée, comme des dizaines de millions d’autres personnes qui aspirent avant tout à vivre paisiblement.

 

Après l’attentat de Nice, le psychiatre Boris Cyrulnik a considéré que nous sommes confrontés à une situation dans laquelle nous sommes sommés de faire preuve de résistance [1].

Un autre apport qui me semble pertinent est un article de Rebecca Traisler qui fait remarquer que, en tout cas pour ce qui concerne les massacres commis en Europe et aux États-Unis, les criminels qui les ont commis ont ceci en commun qu’ils ont tous commencé par pratiquer abondamment les violences domestiques avant d’aller plus loin [2]. J’espère de tout mon cœur que les états et les services de sécurité entendront le message et cesseront de traiter ce genre de violence avec la légèreté et la négligence dont ils font preuve actuellement.

Dans une situation de résistance telle que la nôtre, il ne fait aussi guère de doute que les états vont continuer à renforcer les mesures de contrôle et de prévention, en espérant que ces dernières portent leurs fruits. Certaines personnes exigent qu’on arme les populations. Qu’on l’espère où qu’on le craigne, c’est probablement juste une question de temps, et de l’attentat de trop. L’appel d’un ministre français à ses concitoyens « pour qu’ils rejoignent les réserves stratégiques » [3] va dans ce sens.

Et que faisons-nous individuellement ? En Suisse, il semblerait que le nombre de permis d’achat d’armes ait augmenté de 20% et que ce soit plus ou moins directement lié à la situation en Europe, même si la Suisse n’a pas été victime d’attentats [4].

Quoi que nous fassions, ou ne fassions pas, il me semble essentiel de tout faire pour éviter de « tomber du côté obscur de la force » et pour ne éviter de perdre ce qui nous est essentiel. En des temps aussi troublés, c’est plus facile à dire qu’à faire.

Il y a quelques mois, je suis tombée par hasard sur un texte de la nonne zen Joshin Bachoux qui a été confrontée directement à cette situation dans le quartier où elle vit à Paris. Que faire pour nous qui ne sommes ni policiers, ni juges, ni agents de renseignements, ni soldats?

Sa réponse à elle n’est pas d’agir ou de ne pas agir.  Elle est d’un tout autre ordre, elle parle de « Tourner sa lumière vers l’intérieur et voir clairement sa véritable nature » [5]. En d’autres termes, il est question de prendre le temps de revenir régulièrement en son centre, de rester présent-e-s à nous-mêmes, de nous nourrir de ce qui nous est essentiel, de tout faire pour préserver et faire grandir notre propre lumière, qui nous sommes au plus profond de nous-mêmes. Pour Joshin Bachoux, cela passe par la méditation et par Zazen. Pour d’autres, le chemin sera tout autre. Ne pas oublier de rire, l’expression créative et artistique, la contemplation de la beauté peut être particulièrement important pour de nombreuses personnes.

Si nous arrivons à faire en sorte que notre manière d’être et ce que nous faisons soient teintés de cette lumière qui émane du plus profond d’entre nous, l’essentiel pourra être préservé.

 

[1] http://www.rts.ch/la-1ere/programmes/tout-un-monde/7865307-tout-un-monde-du-15-07-2016.html#7865306

[2] http://nymag.com/thecut/2016/07/mass-killers-terrorism-domestic-violence.html

[3] http://www.liberation.fr/france/2016/07/16/appel-de-bernard-cazeneuve-a-rejoindre-la-reserve-operationnelle_1466624

[4] http://www.rts.ch/info/suisse/7375099-hausse-des-demandes-de-permis-d-achat-d-armes-dans-douze-cantons.html

[5] http://www.larbredeleveil.org/lademeure/spip.php?article58 . Pour sa rédaction, elle s’est elle-même aidée de : http://www.lionsroar.com/koans-for-troubled-times/

 

Vous reprendrez bien un peu de dessin?

Hokusai. Le fou de dessin Nouvelle édition 2014 Henri-Alexis Baatsch Editions Hazan, 2014 Collection : Beaux Arts
Hokusai. Le fou de dessin Nouvelle édition 2014
Henri-Alexis Baatsch
Editions Hazan, 2014
Collection : Beaux Arts

Le dessin est un art qui m’a toujours émerveillée. Sans éducation artistique, je ressens les dessins avec mon intuition, mon regard et mon corps. Je suis fascinée par le papier et l’effet qu’un-e artiste peut y créer avec parfois juste quelques traits au fusain, à la sanguine ou à l’encre de chine. D’aucuns considèrent cet art comme «mineur» par rapport à d’autres, pas moi. Je cherche et je cultive les livres de dessin ou les livres illustrés par un dessinateur.

Je ne peux surtout pas prétendre connaître la culture japonaise, mais les créations de certains de leurs artistes me touchent tout particulièrement. Non seulement je les ressens comme spécialement vivantes et sensibles, mais elles me paraissent beaucoup plus proches en tout cas dans leur style, malgré l’éloignement dans le temps et dans l’espace des cultures de leurs créateurs.

Je suis récemment tombée sur cet ouvrage traitant de Hokusaï et de son oeuvre. De par son format, son épaisseur et son poids il est facile à prendre en main. De par la texture soyeuse de sa couverture, il est agréable à manipuler. De par sa fermeture à rubans, et son recours au papier double asiatique, je le trouve très agréable à manipuler, à feuilleter, à parcourir. Et puis, il y a …. les dessins ! Les centaines de dessins, les couleurs, les personnages, les multiples esquisses, les portraits, les illustrations, les estampes, tout le foisonnement de ses œuvre ! Quelle créativité ! Quelle fidélité à son art durant toute sa vie ! Quelle beauté !

Je ne peux que recommander à tous les enfants doués en quête d’art dans leur vie de s’y perdre un moment … aussi long qu’il leur plaira ! Ce sera un moment de qualité et d’émerveillement.

Notre relation à la nature, peut-être plus compliquée qu’imaginé

Ficus Benghalensis, un figuier étrangleur, photo de Forest & Kim Starr, Wikimedia Commons http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Starr_010420-0095_Ficus_benghalensis.jpg)
Ficus Benghalensis, un figuier étrangleur, photo de Forest & Kim Starr, Wikimedia Commons http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Starr_010420-0095_Ficus_benghalensis.jpg)

 

Pour moi comme pour de très nombreuses personnes, me ressourcer en pleine nature, en particulier en forêt, est essentiel. Les temps que j’y passe me changent. Le seul fait de sentir l’espace, l’air, la lumière, les arbres et les plantes autour de moi, écouter les oiseaux, être juste là, prendre le temps, fait que je me recentre, que je m’ancre. J’ouvre mes perceptions, je me sens en lien avec la nature qui m’entoure. Cela me donne envie d’y rester plus longtemps, d’y revenir, d’y passer bien plus de temps que ce que je peux faire. Le retour au quotidien, en particulier professionnel, est peu agréable même si je me sens revivifiée. Je ne peux que constater le contraste entre cet espace si précieux et mon quotidien si différent.

Pour autant, j’ai du mal quand j’entends des personnes autour de moi, qui vont presque jusqu’à diviniser la nature, tout en diabolisant les êtres humains. Au fond de moi, cela ne sonne pas juste. Nous venons de la nature, nous en sommes une partie. Comment pouvons-nous être si mauvais en venant d’une nature quasi parfaite, ou inversément?

En fait, les êtres qui nous fascinent le plus sont loin d’être toujours des saints selon nos critères moraux, et de loin s’en faut.

Les chimpanzés qui sont si proches de nous peuvent aussi s’entretuer ou tuer un des leurs (pour des raisons qui souvent nous échappent). Il leur arrive régulièrement de chasser d’autres singes et de s’en prendre tout particulièrement à leurs petits, plus faciles à attraper. Même vu à distance dans un reportage, pour moi c’est particulièrement remuant (1).

Nous savons qu’un lion peut dévorer les petits d’une portée qu’il n’a pas produit, mais après tout, c’est un «grand méchant prédateur» dans notre représentation. En fait, certains des animaux que nous trouvons les plus adorables sont autant des prédateurs que les lions et ils peuvent avoir des pratiques tout aussi terribles. En cas de famine, les loutres de mer mâles n’hésitent pas à kidnapper des petits pour obtenir de la nourriture de leur mère (2). Ils ne rechignent pas non plus à abuser sexuellement de bébés phoques jusqu’à les noyer, et à continuer au-delà de leur mort (3). Les dauphins ont les mêmes pratiques entre eux, ils tuent les petits des femelles pour les pousser à redevenir fécondes. Il leur arrive également de tuer des marsoins sans les manger ni faire quoi que ce soit de leurs cadavres (4). Quant un banc de dauphins arrive, même les requins qui nous font frémir se cachent. Des phoques sont également connus pour abuser sexuellement de manchots (5). Je suis sûre qu’on peut trouver bien d’autres cas encore. En passant, les végétaux aussi ont leurs histoires fratricides. Intéressez-vous, par exemple, aux figuiers étrangleurs.

D’aucuns diront qu’il s’agit des lois de la nature, que nous ne devons pas lui appliquer nos critères moraux et qu’elle vit selon des règles qui lui sont propres. Mais cet argument est problématique pour au moins deux raisons:

Sur le plan des faits, cette affirmation ne tient pas la route. Les éthologues ont montré que les grands primates sont extrêmement proches des êtres humains sur le plan de leurs capacités affectives et relationnelles ((6), (7), (8), (9)). Ils sont parfaitement capables d’empathie, de solidarité, de se mettre délibérément en danger pour sauver l’un des leurs, de tenir compte de de l’autre et de sa réaction probable pour moduler leurs propres actions, etc. Les chimpanzés qui peuvent être extrêmement violents sont aussi très doués en matière de réconciliation. Quant à leurs mœurs politiques, elles ressemblent étrangement aux nôtres! Par ailleurs, un certain nombre d’autres mammifères manifestent clairement de l’empathie au moins dans certaines situations.

Ceci signifie qu’on ne peut pas affirmer que la nature et les humains sont deux univers différents régis par des lois différentes. En fait, nous sommes des grands primates très proches des autres, un très grand nombre de nos réactions et de nos actions ressemblent de si près aux leurs qu’on peut dire que nous sommes infiniment plus animaux que nous voulons l’admettre, tout comme les autres animaux, en particulier les mammifères, sont infiniment plus proches de nous que nous ne voulons l’admettre. En d’autres termes, nature et culture ne sont pas complètement disjointes et cela rend les choses très compliquées.

L’autre point est que, si la nature nous est si précieuse comme lieu de ressourcement et de recentrement, c’est qu’elle a pour nous une connotation morale, voire spirituelle. Les peuples premiers parlent de la Terre Mère et cette dernière est infiniment précieuse. Ils nous voient au service de sa préservation, en contraste avec la vision occidentale qui est une vision d’asservissement de cette dernière. Alors il n’est pas indifférent d’y constater des choses qui ressemblent à nos pires turpitudes. Et comment concilier ces dernières avec la valeur spirituelle que représente pour nous la nature?

Pour moi, la pire des choses est le déni de ce problème. Nous sommes des animaux comme les autres, ces derniers sont bien plus proches de nous que nous ne voulons l’admettre et il arrive même à ceux qui nous fascinent le plus d’agir d’une manière qui nous révulse tout autant que nos pires actions. Pour autant, le contact avec la nature et les autres être vivants nous est infiniment précieux, il a pour nous une dimension spirituelle. Dont acte.

Il me semble tout aussi essentiel d’éviter d’utiliser les actes des uns pour justifier ceux des autres et réciproquement. Constater des comportements terribles dans la nature ne justifie en rien la barbarie de certaines de nos actions.

Il y a en moi et en de très nombreuses personnes le souci de préserver la vie et la nature, d’en prendre soin, de l’aider à grandir et à s’accomplir. Cela ne signifie pas approuver ce qui s’y passe de pire, d’où que cela provienne. Mais c’est cette attention intérieure à la vie qui vibre quand je suis au contact de la nature. En prendre soin de manière respectueuse me fait grandir intérieurement. A nous et à nos descendant-e-s d’observer les fruits de nos actes. Sommes-nous capables de prendre soin de nous et d’elle «jusqu’à la 7ème génération» comme le souhaitent les peuples premiers?

(1) David Attenborough, the life collection: http://www.amazon.co.uk/The-Life-Collection-David-Attenborough/dp/B000B3MJ1E

(2) Animals can be giant jerks: http://www.iflscience.com/plants-and-animals/animals-can-be-giant-jerks

(3) The other side of otters: http://news.discovery.com/animals/the-other-side-of-otters.htm

(4) ‘Porpicide’: Bottlenose dolphins killing porpoises: http://www.sfgate.com/news/article/Porpicide-Bottlenose-dolphins-killing-porpoises-2309298.php

(5) Seals accused of sexually attacking penguins: http://www.huffingtonpost.com/2014/11/17/seals-sex-penguins_n_6170770.html

(6) Frans De Waal, Our Inner Ape: The Best and Worst of Human Nature, Granta Books; New edition edition (4 Sept. 2006)

(7) Frans De Waal,The Age of Empathy: Nature’s Lessons for a Kinder Society, Souvenir Press Ltd (1 Oct. 2010)

(8) Frans De Waal, Chimpanzee Politics: Power and Sex among Apes, ohns Hopkins University Press; 25th anniversary edition edition (30 Aug. 2007)

(9) Frans De Waal, The Bonobo and the Atheist: in Search of Humanism Among the Primates, W. W. Norton & Company; Reprint edition (8 April 2014)

Ressourcement au quotidien

Tryon Marshall National forets, wikimedia commons
Tryon Marshall National forets, wikimedia commons

C’est une forêt d’Europe comme les autres, avec ses jeux de lumière, ses chemins, ses oiseaux, ses clairières, ses arbres, ses chevreuils et ses visiteurs. Mais c’est celle à laquelle j’aime rendre visite tous les jours durant la pause de midi.

Je marche lentement. Je regarde, j’écoute, je sens. Je me laisse sentir et remplir de ce que je vois. Je goûte la vue des arbres et de leurs frondaisons, les zones d’ombre et de lumière, le chant des oiseaux, leur vol quand, d’aventure, je les dérange. Par moments, j’aime marcher les yeux fermés, présente aux sensations de mon corps, au contact avec le sol, à ma respiration, aux bruits et aux chants de la forêt.

Au fur et à mesure, je me sens lâcher mes préoccupations, mes colères, mes soucis, ce qui me touche et me perturbe. Je suis simplement présente et attentive. Je me retrouve intacte, avec ma fraicheur, ma douceur et ma joie de vivre d’enfant. Je goûte ma paix intérieure, le silence, ma présence toute simple à moi-même et à ce qui m’entoure.

Il y a forcément un moment où le quotidien reprend le dessus, où je dois rejoindre la mine et un rôle qui s’apparente souvent à celui d’une guerrière. Mais je le rejoins pleine de cette fraicheur. Sans tout révolutionner, elle teinte ma manière d’être, ma manière de ressentir, de recevoir et d’agir. Elle me permet aussi de mieux vivre l’après-midi et de rentrer plus paisible, plus allégée.

C’est juste un rituel parmi tant d’autres, le mien. D’autres auront besoin de sport. D’autres encore de méditation ou de tout autre chose. L’essentiel est d’arriver à trouver le sien et de le vivre très régulièrement, au quotidien. Je vous souhaite d’avoir cette chance.