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Shinrin Yoku – Les bienfaits d’un bain de forêt confirmés par la médecine

Page de garde du livre "Shinrin youku" du Dr. Quing Li
Dr Qui Li Shinrin yoku – l’art et la science du bain de forêt First, 2018

Nombre de personnes apprécient un séjour en pleine nature et tout particulièrement en forêt. Le fait que ce soit une expérience non seulement agréable mais aussi régénérante est une affaire de bon sens. Il se trouve que des médecins japonais ont étudié scientifiquement cette question et ont confirmé l’importance de ces bienfaits. Loin d’être un caprice de scientifiques en recherche d’un sujet, ceci a un impact sur la manière dont nous devrions vivre nos vies, y compris professionnelles, sur l’importance de protéger nos forêts ainsi que sur la manière dont dont nous devrions aménager nos villes, nos maisons et nos lieux de travail.

L’ouvrage du Dr. Quing Li, médecin immunologiste, a été publié au début de l’année 2018 [1]. Au premier abord, il peut paraître étrange à l’européenne que je suis. Comment se fait-il que des médecins s’intéressent à un tel sujet ? Aussi intéressant et important soit-il, ce dernier est-il abordable par des études scientifiques ? N’est-ce pas étonnant qu’un tel ouvrage nous provienne du japon, pays qui nous semble être un des symboles de la modernité et de la vie urbaine ?

A y regarder de plus près, se préoccuper du bien-être d’une population de 127 millions d’habitants qui vit pour l’essentiel dans de gigantesques centres urbains est certainement un enjeu d’une énorme importance pour le Japon. Par ailleurs, nombre de japonais sont extrêmement attachés à leurs forêts. Quant à lui, l’auteur est resté connecté à ses propres perceptions et sensations, sans quoi ce savoir (et cet ouvrage) n’aurait pas pu voir le jour.

Ce livre de près de 300 pages est richement illustré. Il a clairement été écrit pour les non-japonais avec nombre de précisions sur des éléments de vocabulaire et de culture pertinents pour le sujet. Il a été écrit pour le grand public et il est très agréable à lire. Une petite bibliographie à la fin liste les principales études sur lesquelles il est basée, ce qui contribue à confirmer le sérieux de ce dernier.

L’auteur y présente l’art du bain de forêt à la japonaise, des séjours entre deux et quatre heures dans des lieux choisis, idéalement de belles forêts primaires (mais un parc doté de beaux bosquets d’arbres à feuilles persistantes et de conifères peut aussi faire l’affaire) et les bienfaits qu’il y a lui-même trouvé depuis son enfance. En nous présentant le contexte de cette pratique, il met en lumière le fait que, en même temps que les japonais sont totalement impliqués dans une vie urbaine trépidante, ils n’ont pas perdu leur connexion à la nature et cette dernipre imprègne très profondément leur culture.

Parmi plein d’éléments, les trois suivants m’ont particulièrement frappée :

« […] Yügen – la beauté et le mystère de l’univers, nous renvoie à ce monde, mais suggère quelque chose de situé bien au-delà.“

« […] Selon les deux religions officielles du japon, le shintoïsme et le bouddhisme, la forêt est le royaume du divin. Pour les bouddhistes zen, les textes sacrés sont écrits dans le paysage. Le monde naturel est le livre de Dieu. »

« […] Shizen, (qui se traduit par « nature » ou « naturel ») est l’un des sept principes de l’esthétique zen. Le shizen renvoie à l’idée que nous sommes tous connectés à la nature émotionnellement, spirituellement et physiquement et que plus une chose est proche de la nature plus elle est agréable. »

Ce qui est fascinant, c’est que non seulement un bain de forêt est quelque chose de très agréable, mais qu’il a des bienfaits qui sont essentiels important pour équilibrer notre vie actuelle, et il est possible de les décrire et de confirmer scientifiquement leur existence :

  • Facilitation du retour à l’instant présent

  • Diminution du stress et détente

  • Diminution de la pression artérielle

  • Amélioration des fonctions cardiovasculaire et du métabolisme

  • Diminution du taux de glycémie

  • Amélioration de la concentration et de la mémoire

  • Réduction de la dépression

  • Abaissement du seuil de la douleur

  • accroissement de d’énergie de la personne

  • Renforcement du système immunitaire

  • Accroissement de la production de protéines contre le cancer

  • Facilitation de la perte de poids

Et tout cela a été vérifié expérimentalement et mesuré…

De ce fait, le shinrin yoku est devenu une pratique encadrée par un programme sanitaire national, et nombre de forêts sont encore plus protégées qu’avant afin de la favoriser. Il en va de même de parcs urbains. D’autres pays, dont la Corée sont en train d’emprunter le même chemin.

L’auteur prend grand soin d’expliquer comment pratiquer le shinrin yoku, l’art du bain de forêt, comment y impliquer tous ses sens, quels chemins emprunter, comment prendre le temps d’être et de respirer tout simplement. Ses propos sont, par moments, très didactiques, mais je les sens aussi habités de beaucoup d’expérience.

Ce que l’auteur en déduit quant à l’aménagement de nos villes, de nos maisons et de nos bureaux me semble largement aussi important que tout ce qui précède. Nos villes doivent être vertes, elles doivent regorger d’arbres, les grands parcs y sont essentiels et ces derniers ne doivent en aucune manière être sacrifiés à la « densification urbaine » qui est devenue le nouveau mantra à la mode. Nos maisons aussi doivent être pleines de bois et de plantes, pas n’importe lesquelles, certaines étant plus adaptées à certaines pièces que d’autres. Quand nous n’avons pas de vue sur la nature, nos décors (photos, posters, etc.) doivent y suppléer. Les sons de la nature sont aussi très importants et ils ont leur place dans nos lieux de vie. Tout cela est encore plus indispensable dans nos bureaux où nous passons une très grande partie de nos vies, et le plus souvent dans un stress certain!

Cet ouvrage m’a fascinée. En même temps que j’ai pris le temps de le découvrir, une fois que je l’ai ouvert je ne l’ai plus lâché. Ce dont il parle me paraît essentiel pour l’équilibre de nos vies. Il se trouve aussi que nos forêts sont contiennent une forte proportion d’arbres à feuilles persistantes, dont les conifères, qui émettent des substances, les phytoncides, qui ont une grande part dans les effets du shinrin yoku sur notre organisme. Autant en profiter !

Même si le terme de sylvothérapie a été créée en français comme un équivalent du terme japonais de shinrin yoku, je serais heureuse que ce dernier s’impose et devienne la marque de cette pratique. Cette dernière est multidimensionnelle et, pour moi, le terme japonais englobe ces différents aspects, ce que le terme français ne fait pas. C’est aussi une manière de rendre hommage aux êtres qui ont pris le temps de mettre des mots sur cette pratique, qui ont travaillé dur pour en faire quelque chose de reconnu et documenté et c’est aussi un hommage à la culture dont elle est issue.

Accessoirement, je constate que plusieurs ouvrages sont publiés sur cette même thématique presque en même temps que celui-ci et une petite bibliographie figure ci-dessous.

[1] Dr QING LI ; Shinrin Yoku – L’art et la science du bain de forêt – Comment la forêt nous soigne ; First ; 2018

[2] Yoshifumi Miyazaki ; Shinrin yoku : Les bains de forêt, le secret japonais pour apaiser son esprit et être en meilleure santé ; Guy Trédaniel ; 2018

[3] Jean-Marie Defossez ; Sylvothérapie : Le pouvoir énergétique des arbres ; JOUVENCE ; 2018

[4] Eric Brisbare ; Un bain de forêt Broché ; Marabout ;2018

[5] Laurence Monce ; Ces arbres qui nous veulent du bien – A la découverte des bienfaits de la sylvothérapie ; Dunod ; 2018

[6] Clemens G. Arvay ; L’effet guérisseur de l’arbre : Les bénéfices émotionnel, cognitif et physique de la biophilie ; Le Courrier du Livre ; 2016

[7] M-Amos Clifford ; Le guide des bains de forêt ; Guy Trédaniel ; 2018

On a toujours besoin d’un beaucoup plus petit que soi

Les ouvrages de vulgarisation ou de synthèse qui traitent des êtres vivants sont nombreux. Mais tous les domaines n’y figurent pas à parts égales. Les ouvrages sont d’autant plus abondants qu’ils traitent d’êtres qui nous sont proches.

La littérature concernant les mammifères et les oiseaux abonde. Celle qui concerne les autres animaux est déjà plus réduite. L’essentiel de la littérature concernant les plantes est constituée de guides d’identification. Peu d’ouvrages traitent de leur biologie. Ceux qui le font vont traiter essentiellement des plantes à fleurs [1]. Trouver des ouvrages qui abordent la biologie des mousses et des hépatiques relève du parcours du combattant. Les ouvrages qui traitent de l’évolution des plantes sont encore plus rares et il faut prendre pas mal de temps pour arriver à en trouver [2]. Le domaine le plus mal couvert est celui des organismes unicellulaires (bactéries, protozoaires, algues unicellulaires, etc.).  On peut encore trouver des ouvrages universitaires qui décrivent leurs mécanismes, mais les synthèses qui traitent de leur évolution, de leur place dans le vivant sont très difficiles à trouver, même en langue anglaise.

 

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Marc-André Selosse; Jamais seul; Actes Sud, 2017

En 2017, Marc-André Selosse, professeur de responsable de l’équipe « Interactions et évolution végétale et fongique » au sein du Muséum national d’histoire naturelle à Paris (et également actif dans un certain nombre d’autres université, cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Marc-André_Selosse ) a publié « Jamais seul » aux éditions Actes Sud [3].

Dans cet ouvrage, il nous parle des relations entre les êtres unicellulaires au sens large (il y inclut les champignons et les levures) avec le reste du vivant (végétaux, animaux en général, êtres humains en particulier). Il termine par les écosystèmes, le climat ainsi que nos propres pratiques culturelles et alimentaires. Il y montre combien nous vivons tous dans des symbioses avec des derniers, sans lesquelles, la plupart du temps, nous ne pourrions pas vivre (ou alors avec d’extrêmes difficultés). Il montre combien ces symbioses sont profondes, nous changent et combien elles ont aussi changé les êtres avec qui nous sommes en symbiose. Dans une postface, le célèbre botaniste Francis Hallé liste tout ce que lui-même y a appris et la liste est impressionnante !

Parmi une foule de choses, citons, par exemple :

  • Les plantes multicellulaires (descendantes d’algues vertes lacustres) n’ont pu conquérir l’air libre et les continents qu’après avoir conclu une association avec des champignons.
  • Dans une forêt un arbre est associé avec des centaines de champignons différents, qui peuvent eux-mêmes être associés avec de très nombreux arbres. C’est cela qui donne « l’internet des forêts » cher à Peter Wohlleben.
  • Les champignons et les bactéries qui sont en fusion avec un arbre ont une action à distance sur la capacité de ses feuilles à résister à toutes sortes d’agressions
  • L’élagage des branches mortes des arbres est dû à certains champignons
  • La dégradation des sols vient de ce que la fertilisation artificielle fait disparaître les champignons, levures et bactéries qui sont en symbiose avec les plantes. De ce fait, ces dernières ne trouvent plus naturellement ce dont elles ont besoin est c’est la fuite en avant !
  • L’hyper diversité des forêts tropicales est due au fait que l’arrivée d’un arbre d’une espèce favorise fortement ses pathogènes dans le sol, ce qui fait que, à proximité, les arbres des autres ont notablement plus de chances de pouvoir s’implanter.
  • Peut-être plus connu : si une vache mange beaucoup d’herbe, elle est en fait totalement incapable de s’en nourrir. Ce dont elle se nourrit, c’est des bactéries qui digèrent une partie des substances contenues dans ces dernières.
  • Ensiler du foin dans des balles en plastique induit une prédigestion par des bactéries qui facilite le travail du microbiote des vaches qui vont ensuite s’en nourrir.
  • Aucun animal herbivore n’est à 100% végétalien. Même une vache mangera le placenta de son petit après avoir mis bas. Les cervidés ne dédaignent pas compléter leur ordinaire avec un oisillon qui leur est accessible. Les très rares exceptions sont des « plantanimaux » de petite taille comme certaines hydres lacustres, qui vivent en fusion avec des algues et dont l’appareil digestif dégénère.
  • Le microbiote digestif avec lequel les animaux vivent en symbiose a un impact sur notre humeur et nos réactions, et cela peut se démontrer expérimentalement.
  • Un nouveau-né humain met à peu près trois ans à avoir un microbiote stable et efficace. Autrement dit, cela nous prend plus de temps que la marche.
  • Notre propre microbiote digestif, sans lequel nous aurions toutes les peines du monde à vivre est celui d’un omnivore. En tant que tel, il est significativement moins riche que celui des herbivores et aussi significativement plus riche que celui des purs carnivores. Nous partageons cette caractéristique avec les chimpanzés et les bonobos.
  • Certaines maladies, dont le diabète et le surpoids, sont associées à un microbiote particulièrement appauvri. Dans le cas du surpoids, ce dernier a également pour effet de changer les signaux envoyés au cerveau. La sensation de satiété est estompée ou disparaît, et est remplacée par un signal qui induit une faim permanente, ainsi qu’une attirance vers des nourritures qui tendent à entretenir le surpoids et à favoriser le microbiote qui s’est installé.
  • Lors du passage de la chasse cueillette aux premières formes d’agriculture, les humains ont perdu plus de 15 centimètres de hauteur et ont vu leurs problèmes de santé exploser.
  • À l’état sauvage, la plupart des plantes dont nous nous nourrissons aujourd’hui comportent des toxines très puissantes qui les rendent difficilement mangeables et qui expliquent les problèmes de santé dont ont souffert nos ancêtres.
  • Il a fallu des millénaires pour sélectionner à partir de ces variétés sauvages de nouvelles variétés qui ne comportent plus ou presque les toxines qui les rendaient si dangereuses auparavant. Nos ancêtres ont réussi ce tour de force sans rien connaître à la microbiologie, par une approche purement empirique.
  • Le problème de la conservation tout au long de l’année des produits de l’agriculture était tout aussi vital. La fermentation a joué un rôle particulièrement important dans ce domaine. Là encore, il a fallu des millénaires pour arriver à notre niveau actuel de maitrise, et l’essentiel de ce travail s’est fait sans que nos ancêtres connaissent quoi que ce soit à la microbiologie. Empiriquement, ils ont sélectionné des souches de germes et de levures qui ont évolué avec nous et, en retour, nous avons évolué avec elles.
    • Par exemple, la fabrication de fromages était une manière de réduire drastiquement la proportion de lactose dans le lait et de le rendre digeste pour nos ancêtres (qui ne pouvaient pas le métaboliser).
    • La production de bière ou de vin était une des manières de s’assurer d’avoir à portée de main une boisson sans danger, avant que l’on comprenne que faire bouillir de l’eau avait le même effet.
    • La fabrication de pain au levain assurait de pouvoir conserver et consommer le blé pendant une certaine période tout en évitant que d’autres germes beaucoup moins sympathiques ne s’y installent.
  • L’alimentation humaine a des points communs avec celle des fourmis Atta et celle de termites qui cultivent d’énormes souches de champignons dont elles se nourrissent collectivement. Nous faisons de même avec tous nos produits fermentés. Dans les trois cas, cela revient à sortir de soi une partie du microbiote utilisé pour la digestion et à l’utiliser collectivement.

Et il y en a encore de nombreuses autres choses passionnantes, dans cet ouvrage. Par exemple l’influence de certains cycles impliquant les unicellulaires sur le climat et l’apparition de périodes glaciaires.

C’est peut-être aussi parce qu’il traite d’un sujet très rarement abordé, mais lire cet ouvrage a pour moi été une source constante d’étonnement et d’émerveillement. J’ai un peu mieux mesuré à quel point les êtres vivants multicellulaires, nous y compris, sommes si profondément en symbiose avec les bactéries, champignons et levures que nous accueillons que nous aurions toutes les peines du monde à vivre sans ces derniers.

Ceci dit, cet ouvrage met également en lumière des enjeux beaucoup plus concrets qui ont un impact direct sur notre vie d’aujourd’hui :

  • L’agriculture industrielle a des effets catastrophiques sur les sols et nous avons tout intérêt à y mettre le holà dans les meilleurs délais, sans quoi nos sols ne pourront plus rien produire.
  • Nous sommes devenus extrêmement dépendants de variétés de plantes que nous avons adaptées à notre biologie. Si, pour quelque raison que ce soit, la culture de ces variétés ne fonctionnait plus, l’humanité serait face à un problème majeur.
  • L’ultra-hygiénisme dans lequel nous vivons actuellement a des conséquences très négatives sur notre système immunitaire et sur le microbiote avec lequel nous vivons. Nous devons rétablir une forme de « saleté propre » qui rétablit l’équilibre dont nous avons besoin pour vivre en bonne santé.
  • Il est nécessaire de prendre en compte l’influence de notre microbiote dans un certain nombre de problèmes de santé, point qui est souvent oublié par des professionnels.
  • L’être humain n’est pas un « herbivore dévoyé », contrairement à ce que prétendent certains. Nous sommes biologiquement des omnivores et notre corps a besoin d’une petite proportion de substances qui, dans la nature, sont d’origine animale. Le régime crétois fonctionne très bien. Un régime végétarien bien étudié peut aussi bien fonctionner. Mais un régime végétalien implique nécessairement le recours à des compléments. À ce titre, il ne peut pas se pratiquer simplement en changeant de livres de recettes et en imaginant que tout va bien se passer. Il impose d’étudier en profondeur la nutrition et de comprendre comment il faut compléter un tel régime. Le recours à un médecin nutritionniste spécialisé est plus que recommandé.

La lecture de cet ouvrage m’a appris d’innombrables choses et m’a ouvert les yeux sur de nombreux « mécanismes » fascinants des écosystèmes et des êtres vivants, nous y compris. Je ne peux que vous la recommander vivement.

 

[1] Un bon exemple est : S. Meyer, C. Reeb, R. Bosdeveix, Botanique, biologie et physiologie végétale ; Maloine ; 2013

[2] Voir, par exemple :

Jospeh E. Armstrong ; How the earth turned green – A brief 3.8 billion-year history of plants ; University of Chicago Press ; 2014

J. Willis, J. C. McElwain ; The evolution of plants (second edition) ; Oxford University Press ; 2014

[3] Marc-André Selosse ; Jamais seul : ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations ; Actes Sud ; 2017

 

 

Sous le zen, la passion

Ray Bradbury Le Zen dans l'art de l'écriture Antigone 14 Editions, 2016
Ray Bradbury Le Zen dans l’art de l’écriture Antigone 14 Editions, 2016

 

De nombreux écrivains ont, à un moment ou un autre, pris la plume pour partager leur expérience en matière d’écriture. Une recherche sur votre librairie en ligne préférée avec les mots clefs « art » et « écrire » retourne plusieurs dizaines d’ouvrages. L’un des écrivains qui a sacrifié à ce rite est Ray Bradbury.

Sous le titre « Le Zen dans l’art de l’écriture » ([1], [2]) il a publié un recueil de 19 textes écrits à différentes époques de sa vie. Ce livre a ceci d’atypique que Ray Bradbury a essentiellement traité de ce qui l’a inspiré et de comment le matériau s’est transformé avant qu’il ne soit prêt à écrire.

Une chose qui est frappante dans tous ces textes, c’est combien les épisodes de son enfance l’ont inspiré et comment ils l’ont fait vibrer, avant d’entrer en gestation parfois dans des décennies, pour qu’il ne se sente un jour prêt à écrire, parfois en un après-midi.

Même en anglais, le titre de l’ouvrage de Ray Bradbury mentionne le zen. Ce terme implique la paix, la sérénité et une certaine égalité d’humeur. Mais, dans ces textes, ce qui émane de l’auteur, c’est l’intensité de ses ressentis et, en fait, la passion qui ne l’a pas quitté tout au long de ces années.

Une des choses qui me fascine le plus, c’est comment, depuis sa plus tendre enfance, il vibre aux éléments apparemment les plus anodins de sa vie, avec quelle vivacité son imagination s’en empare et comment les éléments se transforment et se combinent pour former des histoires à la fois complètement nouvelles et enracinées dans sa propre vie.

Dans un de ces textes, daté de 1964 et intitulé « un aperçu de Byzance : le vin de pissenlit », il est question de la ville dans laquelle l’auteur a vécu une partie de son enfance et de comment elle est transformée et transposée dans ses récits. Il mentionne qu’un critique s’est un jour étonné de comment il avait transformé cette ville portuaire à ses yeux absolument sinistre en quelque chose de mystérieux et enchanteur. Ray Bradbury répond qu’il avait, bien sûr aussi vu cet aspect des choses, mais il n’empêche que son regard d’enfant avait vu autre chose :

« En réalité, bien sûr que je l’avais remarqué, mais de tout cela, enchanteur que j’étais jusqu’au plus profond de mes gênes, c’était la beauté qui me fascinait. Les trains, les wagons de marchandise, l’odeur du charbon, celle du feu, rien de tout cela n’est laid aux yeux d’un enfant. La laideur est un concept qui nous tombe dessus plus tard, et qui fait de nos des êtres complexés.  […] Sans compter que c’était dans cette même zone ferroviaire, à la laideur supposée, qu’à cinq heures du matin, dans l’obscurité de la nuit finissante, les fêtes foraines et les cirques débarquaient, avec leurs éléphants, dont les puissantes et acides cataractes, lessivaient en fumant le sol pavé de briques […] Pour le dire autrement, si votre garçon est un poète, parlez-lui fumier de cheval et il pensera à des fleurs; c’est à dire, bien entendu, la seule chose qu’ait jamais pu évoquer le fumier de cheval ».

Dans ce processus que nous décrit Ray Bradbury, je ne peux m’empêcher de voir un exemple particulièrement vivant et frappant d’un être surefficient doté d’une « surexcitabilité » imaginative et émotionnelle des plus marquées, pour reprendre la terminologie de Kasimierz Dabrowski ([3], [4], [5]), sans aucun doute l’auteur dont la vision de ce que c’est que d’être un-e surefficient-e est la plus profonde et la plus féconde.

Une autre caractéristique importante de son témoignage est que Ray Bradbury ressentait un besoin impératif d’écrire jour après jour, comme un pianiste fait ses gammes. Contrairement à d’autres pour qui l’écriture est quelque chose de beaucoup plus douloureux, c’était quelque chose qui, pour lui, relevait de la passion la plus pure et qui ne s’est pas éteint avec le temps.

Lire ce texte m’émerveille et me fascine. Il contribue aussi à m’interroger sur ce à quoi je passe mon temps et ce qui guide mes engagements dans ma vie. Peut-être en sera-t-il de même pour vous.

 

[1] Ray Bradbury, Le zen dans l’art de l’écriture, Antigone 14 éditions, 2016

[2] Ray Bradbury, Zen in the Art of Writing : Releasing the Creative Genius Within You Mass Market Paperback – 1992

[3] Sal Mendaglio, Ph. D, Editor; Dabrowski’s theroy of Positive disintegration; Great potential press; 2008

[4] Kazimierz Dabrowski; Personality-Shaping Through Positive Disintegration;   Red Pill Press; 2015; réédition complètement revue du texte de 1967

[5] Kasimierz Dabrowski; Positive Disintegration; Maurice Bassett; 2017; réédition revue du texte de 1964

 

 

Pour que nos images ne dorment plus dans nos tiroirs ou nos disques durs!

L’été est souvent l’occasion de faire du tourisme et, de nombreuses photos dont nous espérons toutes et tous qu’elles sauront réveiller notre émerveillement au moment où nous les regarderons à nouveau. Il se trouve que cet objectif n’est pas toujours atteint et que nos images s’accumulent et dorment dans nos disques durs sans que nous ne les regardions plus qu’une ou deux fois après qu’elles aient été prises.

Prendre des photos qui savent nous toucher et nous émouvoir est un art et un métier, celui du photographe. Cet art est largement décrit dans de nombreux ouvrages qui ont pour but de nous aider à faire de meilleures images. S’ils sont bien faits, ils sont aussi agréables à lire et à regarder pou eux-mêmes, ce qui les rend d’autant plus précieux.

Voici un petit choix d’ouvrages que j’ai croisé au hasard de mes pérégrinations. Il est totalement subjectif et personnel. Mais j’espère qu’il puisse profiter à d’autres, qu’il saura vous émerveiller et vous inspirer dans vos propres créations.

 

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Michael Freeman, The Photographer’s Eye: Composition and Design for Better Digital Photographs, EIlex, juin 2007

Cet ouvrage couvre toutes les bases de la composition d’images appliquées à la photographie

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Bryan Peterson, Bryan Peterson’s Understanding Composition Field Guide: How to See and Photograph Images with Impact, Amphoto Books, 2012

Cet ouvrage est plus pratique et plus « instinctif » que le premier, ce qui en fait un bon complément.

 

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Bryan Peterson, Understanding Exposure, Fourth Edition: How to Shoot Great Photographs with Any Camera, Amphoto Books, 2016

Ouvrage superbement illustré qui complète les précédents en abordant le sujet tout aussi important du réglage de l’exposition lorsque nous prenons une photo. Bryan Peterson a été formé « à l’ancienne » sur des appareils argentiques et il s’efforce de tout faire, en mode manuel, au moment de prendre une image. Ceci nécessite des boitiers qui permettent au photographe de jongler très rapidement entre vitesse, diaphragme, sensibilité et balance des blancs. Si cela ne pose pas de problème avec des boitiers faits pour les professionnels, les personnes qui disposent de matériel plus « grand public », plus abordable financièrement, devront faire leurs expériences et peut-être conserver certains automatismes quitte à « jouer » un peu plus avec leurs images au moment de leur traitement sur ordinateur.

 

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Denis Dubesset, Les secrets de la macro créative, Techniques – Composition – Esthétique, Eyrolles, 2016.

La macrophotographie nous permet de porter notre attention sur ce qui nous entoure et de nous émerveiller de « petites » choses que nous voyons à peine dans nos quotidiens trop pressés. Cela en fait un pratique précieuse et cet ouvrage est très bon.

 

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Gildas Lepetit-Castel, Les secrets de la photo de rue, Approche – Pratique – Editing, Eyrolles, 2015.

Voici une autre pratique fascinante qui peut se faire depuis notre pas de porte et nous permettre de porter un regard neuf sur l’environnement que nous croyons connaître. C’est aussi un art qu’il est possible de pratiquer sans dépenser des dizaines de milliers d’euros (ou de francs).

 

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Bernard Duc, L’Art de la composition et du cadrage : Peinture, photographie, bandes dessinées, publicité, 1992 (épuisé, à chercher sur internet ou chez les marchands de livres de seconde main)

Ouvrage très connu, plus général (il ne couvre pas que la photo), très agréable à lire et fort bien fait, mais plus difficile à trouver

 

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Marco Bussagli, Comment regarder le dessin – histoire évolutions et techniques, Hazan, 2012

Là, on revient aux bases, le dessin. Ouvrage très visuel et fort bien fait.

J’espère que ces ouvrage sauront vous émerveiller, nourrir votre besoin de beauté, et, qui sait, vous aider à créer des images que vous aurez plaisir à partager largement autour de vous.

 

Faire avec les obstacles qui restent

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Atlanterhavsveien « Storseisundbrua » is one of the most spectacular parts of the Antlantic ocean road (atlanterhavsveien). Source: flickr.com

Après de nombreuses années d’un solide travail sur soi de développement et de thérapie, les personnes peuvent cueillir les fruits issus des graines qu’elles ont semées et jouir d’une vie considérablement plus agréable, paisible, heureuse et sensée que ce qu’elles ont vécu de par le passé. C’est infiniment précieux et c’est une rencontre bien méritée !

Dans cette vie apaisée, il peut néanmoins arriver que certaines difficultés résistent. Par exemple, une personne surefficiente mentale (ou un-e zèbre pour reprendre le langage de Jeanne Siaud – Facchin) peut avoir toujours du mal à s’affirmer et à faire face aux conflits et éprouver durablement un besoin de se protéger de situations qui sont trop lourdes pour elle. Elle aura beau continuer à travailler dessus, elle ne progresse plus vraiment. Cela peut être frustrant.

Peut-être que certaines de ces difficultés sont le revers de nos propres forces. Être une personne surefficiente signifie aussi avoir un égo particulièrement faible, une confiance en soi réduite et donc plus de difficultés à s’affirmer. Peut-être aussi que la personne a traversé des événements dont les conséquences sont irréversibles et qu’il lui faut vivre avec. Il se trouve que, quand ces conséquences sont physiques (par exemple dans le cas où une personne a développé un diabète de type 1), ce caractère irréversible est plus aisément accepté par l’entourage que quand lesdites conséquences sont psychiques (et qu’on parle, par exemple, de fragilités qui nécessitent que la personne prenne soin de soi et évite durablement des facteurs déclenchants (par exemple la foule)).

Quand ces difficultés mettent la personne en porte-à-faux avec des éléments incontournables de la société dans laquelle elle vit (par exemple la dureté des rapports de travail dans le monde occidental), cela devient encore plus difficile.

Et que faire, comment gérer de telles situations ?

Dans la mesure où ces difficultés résistent, il est peut-être nécessaire d’admettre qu’elles sont là et que la personne va devoir apprendre à vivre avec, en tout cas pour un temps. Cela peut nécessiter de faire le deuil de l’espoir d’être un jour complètement libéré-e de ses difficultés et de pouvoir enfin vivre la vie dont la personne rêve depuis tant d’années. Aménager son quotidien pour tenir compte de ces difficultés persistantes peut aussi nécessiter d’autres deuils. Une personne pourtant très compétente, mais pour qui les situations de conflits perpétuels sont trop pesantes va peut-être devoir abandonner le rêve de faire un jour de l’encadrement ou elle devra abandonner le poste de cadre dans lequel elle se trouve actuellement. Son confort de vie sera peut-être bien plus grand après, mais c’est un deuil (et aussi un saut de plus dans l’inconnu d’une nouvelle situation de travail). Faire tous ces deuils, accepter que ce soit ainsi en tout cas pour aujourd’hui demande du courage.

Bien sûr que les techniques établies d’aide au lâcher-prise et à l’acceptation de ce qui est peuvent aider (*). Mais ces outils ont leurs limites. Les personnes les plus aguerries ont lutté pendant des décennies, et sans jamais avoir abandonné, pour pouvoir se libérer de leurs difficultés. Ayant fait une grande part de chemin, ça n’est pas un blocage apparent de plus qui va les retenir. Il faut autre chose de considérablement plus solide et, surtout de plus convaincant. Certaines aspirations sont l’expression d’élans de vie. Quand une personne sent au plus profond d’elle-même une aspiration à vivre en pleine lumière « sur le devant de la scène », devoir accepter qu’elle a besoin d’une place plus discrète, qui ne permet pas la même plénitude d’expression d’elle-même et de don aux autres, mais qui est nettement est plus protégée, faire le deuil de ses aspirations ne va pas nécessairement de soi.

Il existe une chose qui peut beaucoup aider les personnes à faire ce pas, mais elle ne se commande pas. Elle consiste à recevoir de l’intérieur le message que, « avec mes qualités et mes fêlures, je suis assez bien comme cela pour vivre ma vie ». Une telle expérience est extrêmement précieuse. Elle peut être vécue comme une validation de tout le chemin parcouru par la personne. Il ne s’agit pas pour autant de s’arrêter, mais de prendre acte de qui nous sommes dans toutes nos dimensions, et de prendre acte d’une part de ce que nous ne pourrons pas changer et avec laquelle nous allons devoir apprendre à vivre aussi confortablement que possible.

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Zen Garden designed by Nagao Samurai, source Flickr.com

Sans faire de grandes théories, il y a une forme d’esthétique issue du Japon et fortement apparentée au bouddhisme zen qui peut exprimer cela, c’est le wabi sabi. Issue d’une très longue tradition et d’une culture séculaires (**). À l’inverse de l’esthétique occidentale, elle valorise l’impermanence, l’imperfection, les objets créés sans ostentation, la simplicité voire la frugalité, les matériaux naturels, les textures rugueuses, les tons unis.  Les objets, ou des lieux qui sont mis en scène selon cette forme d’esthétique met en valeur leur beauté d’une manière qui intègre leur fêlures, leurs imperfections, leurs cassures et leurs réparation. Elle devient, de ce fait, une illustration artistique et vivante du « tu es assez bien comme cela ».

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Contemporary wabi sabi tea bowl. Source Flickr.com

 

(*) Voir, par exemple:

John Kabat-Zinn  (auteur), Joan Borysenko (préface), Thich Nhat Hanh (introduction); Full Catastrophe Living: Using the Wisdom of Your Body and Mind to Face Stress, Pain, and Illness; Bantam Books; 2013

NB: une traduction française existe, mais selon de trés nombreux échos elle est au mieux calamiteuse

Ray owen, Facing the storm, Routledge, 2011

Ray owen, Living with the ennemy, Routledge, 2013

Ann Weiser Cornell  (auteure), Barbara McGavin (illustratrice); The Radical Acceptance of Everything: Living a Focusing Life; Calluna Press 2005

 

(**) voir, par exemple:

Andrew Juniper; Wabi Sabi: The Japanese Art of Impermanence; Tuttle Pub;  2003

Leonard Koren; Wabi-Sabi for Artists, Designers, Poets & Philosophers; Imperfect Publishing; 2008

 

 

Comment se fait-il que notre planète soit si verte?

 

How the earth turned green - a brief 3.8 billion-year history of plants- Joseph E. Armstrong, The University of Chicago Press, 2014
How the earth turned green – a brief 3.8 billion-year history of plants- Joseph E. Armstrong, The University of Chicago Press, 2014

Car elle aurait pu être brun-vert, ou rouge, si d’autres algues que les algues vertes avaient conquis les mers puis les terres.

C’est une histoire fascinante que nous raconte l’auteur de cet ouvrage, celle des végétaux, des plus anciens, depuis les bactéries, jusqu’aux plus récents. Et cette histoire est très rarement racontée. La plupart des ouvrages qui traitent de l’histoire de la vie (*) traitent essentiellement de la vie des animaux. Les végétaux sont, au mieux, un décor. Les ouvrages qui incluent ou qui traitent de l’histoire des plantes et de leur évolution sont beaucoup plus rares. Cet ouvrage est l’un d’entre eux.

Et les obstacles qu’ont franchis les végétaux tout au cours de leur évolution sont largement aussi importants que ceux franchis par les animaux. Qui plus est, l’auteur commence cette histoire par la partie la moins racontée (tout au moins dans les ouvrages accessibles au grand public), à savoir celles des bactéries.

Comment et quand est-ce que la vie est apparue? Quels étaient les premiers mécanismes de la vie? Quelles sont les traces les plus anciennes que nous avons d’êtres vivants?  Quand est-ce que les bactéries eurent tellement pollué la planète (déjà à l’époque, mais le GIEC n’existait pas encore!) par leurs rejets d’oxygène qu’elles ont dû passer à une vie basée sur la respiration de ce gaz qui était un déchet? Comment se sont-elles débrouillées? Qu’est-ce qui a induit l’arrivée de cellules beaucoup plus grosses avec un noyau et des organites? Là encore, comment est-ce que cela s’est passé? Qu’est-ce qui a poussé certaines de ces cellules à grandir au point d’être visibles à l’oeil nu et d’autres à constituer les premières créatures multicellulaires? Quel a été le défi de la conquête des milieux côtiers? En quoi est-ce que des algues sont nettement mieux adaptées à ce milieu que des unicellulaires ou des colonies libres d’un petit nombre de cellules? Que sait-on de l’arrivée des végétaux sur terre ferme? Comment est-ce que cela s’est passé? Quelles sont les adaptations aux milieux côtiers en eaux douces qui ont aidé l’arrivée des premiers végétaux sur terre? Il y a encore bien d’autres épisodes fascinants dans cette histoire!

Dans tout ce parcours, la nature a sans cesse fait preuve de ses « bricolages géniaux ». Par exemple, la respiration aérobie (avec oxygène) est dérivée de la respiration anaérobie (sans oxygène) avec juste une étape de plus. Autre exemple, le renversement de chaînes métaboliques existantes a été essentiel pour l’apparition de la photosynthèse. Troisième exemple, comment s’est développé le cycle reproductif des végétaux terrestres (qui constitue un cycle entre une génération « haploïde » (i.e. dont les chromosomes ne sont pas dédoublés) et une génération « diploïde » (dont les chromosomes sont dédoublés)) a pu se développer à partir du cycle de reproduction des algues d’eau douce dont ils sont issus. Une fois encore, les exemples abondent.

Pour la petite et la grande histoire, les pigments verts des végétaux terrestres sont hérités des algues vertes qui ont conquis les littoraux. Ils sont optimaux sous quelques mètres d’eau quand une partie des composantes de la lumière sont déjà filtrées. Mais si les végétaux terrestres avaient développé leurs propres pigments photosynthétiques (au lieu d’hériter de ceux des algues vertes), ils auraient de fortes chances d’être noirs, pour bénéficier de toutes les composantes de la lumière qui arrivent jusqu’au sol. Est-ce que nous verrions cela comme tout aussi beau, je ne sais le dire.

L’auteur prend aussi grand soin d’expliquer « comment on sait ce qu’on sait ». Nous n’avons pas des traces fossiles de toutes ces étapes de la vie donc nous devons compléter ces derniers par d’autres outils. Aujourd’hui, l’analyse des codes génétiques des êtres vivants nous aide considérablement à définir les parentés. Mais cet outil n’est pas suffisant lui non plus. C’est là qu’entre en jeu une autre méthode éprouvée de la science: bâtir une hypothèse, examiner quelles sont ces conséquences et voir si ce qu’on observe correspond à ce qui devrait se passer si cette hypothèse était vérifiée. Dans le lot, d’innombrables hypothèses sombrent corps et bien. Mais elles ont pu être utiles à un moment donné pour en formuler d’autres qui tiennent mieux la route. Avec le temps, d’hypothèse en hypothèse, de vérification en vérification, ne subsistent que celles qui tiennent vraiment la route et qu’on finit par admettre comme étant établies. Mais si la plupart des ouvrages présentent ces derniers comme des faits, ils omettent de présenter ce qui a amené parfois plusieurs générations de scientifiques à cette conclusion. Quand on ne connaît pas cette part-là de l’histoire, le tout peut avoir une apparence un peu dogmatique. L’auteur s’efforce d’éviter cet écueil et c’est tout à son honneur.

En plus de tous ces niveaux de lecture, cet ouvrage en a un de plus, à mes yeux, à savoir celui de la contemplation et de l’émerveillement. Je suis profondément admirative de la richesse et de l’inventivité des mécanismes de la vie, y compris dans leur aspect de « bricolage » à partir de briques existantes. Cela me rend admirative de ce que sont les plantes et m’incite à poser sur elles un regard qui perçoit toute autre chose qu’un élément de décor dont on peut disposer comme d’une chose. En lieu et place, je perçois des êtres vivants extrêmement sophistiqués et dignes de mon plus grand respect. Cela m’attache à elles et m’incite à en prendre soin et à les protéger. C’est vrai que certaines plantes sont extrêmement précieuses pour nous, soit qu’elles nous nourrissent, qu’elles nous soignent, qu’elles nous émerveillent et nous accompagnent dans nos maisons et nos jardins ou encore qu’elles stimulent notre dimension spirituelle. Mais elles existent aussi pour et par elles-mêmes et cela aussi c’est important. Les accueillir pour cela aussi contribue à nous faire grandir intérieurement.

Présentation de l’ouvrage sur le site de l’éditeur: http://www.press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/H/bo16465693.html

Page web de l’auteur: http://biology.illinoisstate.edu/jearmst/armstr.htm

Publications scientifiques de l’auteur: https://scholar.google.com/citations?user=0vBTIB4AAAAJ&hl=en

(*) En voici un excellent exemple:

Le Livre de la vie,

Stephen Jay Gould, Peter Andrews et al.

Seuil, 1993

De l’altérité et de la magnificence des arbres

LivreFrançois Hallé, Plaidoyer Pour l'arbre
François Hallé, Plaidoyer Pour l’arbre

Quand la vie devient plus légère et fluide, il y a aussi plus de temps pour goûter les bonnes choses de la vie. Ca commence, bien sûr, par les toutes petites, comme un magnifique lever de soleil dans un paysage de montagne, ou des fleurs tardives qui s’ouvrent en fin de saison. Cela inclut aussi le bonheur de goûter la joie de vivre et d’être qui monte du tréfond de nous-même et c’est infiniment précieux. Cela inclut aussi du temps pour l’ouverture, le yin, la réceptivité, l’accueil, la contemplation, l’émerveillement. Cela aussi est infiniment précieux.

Il est parfois des livres dont la lecture correspond à cette qualité d’être au monde. Je fais cette expérience avec deux ouvrages du botaniste Francis Hallé, à savoir « Plaidoyer pour l’arbre »(1) et « Plaidoyer pour la forêt tropicale »(2).

Dans « Like a tree » (3), Jean Shinoda Bolen avait abordé la valeur psychologique et spirituelle des arbres pour nous. En botaniste, Françis Hallé met toute son énergie à nous faire découvrir les arbres dans leur altérité, et s’efforçant de les décrire tels qu’ils sont, et aussi en diffusant et en « vulgarisant » les progrès que nous avons fait dans leur compréhension depuis les dernières années.

LivreFrançois Hallé, Plaidoyer pour la forêt tropicale, Actes Sud
François Hallé, Plaidoyer pour la forêt tropicale, Actes Sud

Francis Hallé est un être humble qui aime profondément les arbres depuis sa plus petite enfance et qui le dit clairement (4). C’est aussi un être passionné qui s’efforce de faire connaître, aimer et respecter les arbres par un maximum de personnes.

L’écriture fine dont il fait preuve résonne en moi à plusieurs niveaux simultanément. Il y a certainement le niveau cognitif. Il décrit les arbres et certaines de leurs caractéristiques exceptionnelles en botaniste. Mais son texte éveille aussi en moi de l’émerveillement et du respect pour ces êtres si différents de nous, si anciens, si complexes et sophistiqués. C’est tout au fond de moi que je me sens touchée et que je vibre. Face à des êtres aussi magnifiques, je sens que la place juste de l’être humain dans ce monde, c’est de se mettre à l’écoute et au service de la nature et non de la mettre en esclavage et en coupe réglée. Alors même qu’il s’agit de l’ouvrage (magnifiquement vulgarisé) d’un scientifique, sa force est de pouvoir toucher à une dimension existentielle et spirituelle en nous. Pour moi, c’est très précieux.

NB : Françis Hallé s’est fait connaître du grand public en participant à un film (5) et à un livre (6) qui ont eu un certain impact.

(1) Francis Hallé, Plaidoyer pour l’arbre, Actes Sud, 2005

(2) Francis Hallé, Plaidoyer pour la forêt tropicale, Actes Sud, 2014

(3) Jean Shinoda Bolen, Like a Tree: How Trees, Women, and Tree People Can Save the Planet, Conari Press, 2011

(4) Voir le début de la conférence filmée de Françis Hallé au sujet de « Plaidoyer pour l’arbre » :

http://www.dailymotion.com/video/x14z488_conference-de-francis-halle-plaidoyer-pour-l-arbre-1-2_news

http://www.dailymotion.com/video/x14z3es_conference-de-francis-halle-plaidoyer-pour-l-arbre-2-2_news

(5) Luc Jacquet, Il était une forêt, Frenetic F, 2014

(6) Françis Hallé, Luc Jaquet, Il était une forêt, Actes Sud, 2013

Goûter la joie de vivre au quotidien

Upper Loch Torridon, west coast Scotland. Panorama, from 7 pictures. Source: Wikimedia commons
Upper Loch Torridon, west coast Scotland. Panorama, from 7 pictures.
Source: Wikimedia commons

Un auteur bouddhiste, Jack Kornfield, a écrit sur le retour au quotidien après avoir connu l’extase (1). Je ne sais pas ce qu’est l’extase et je ne suis pas du tout sûre que de l’atteindre soit un objectif pour moi. Mais il est une autre expérience très concrète, enraciné dans mon quotidien, c’est de goûter la joie de vivre qui monte du plus profond de moi-même. Elle ne fait pas fi des difficultés de la vie, mais elle me permet d’entrer en vibration avec toutes les bonnes choses qu’elles me permet de vivre et elle me rend heureuse de vivre, tout simplement, comme une enfant qui danse ou qui joue à la marelle, même toute seule.
C’est difficile pour moi de mettre des mots très élaborés sur cette expérience. Ce que je peux dire, c’est qu’elle préserve la fraicheur de mon regard, qu’elle fait vibrer doucement les cellules de mon corps, qu’elle va de pair avec une respiration pleine et profonde, ainsi qu’avec avec la sensation de m’habiter pleinement.
Les analogies qui me viennent sont musicales. Je vous les propose en espérant qu’elles vous parleront à vous aussi.
A mes yeux, cette expérience est d’autant plus précieuse qu’elle est enracinée dans mon quotidien tel qu’il est au lieu d’un quotidien de contes de féées et irréel. Il se trouve aussi que, à condition d’y mettre les moyens et de chercher son chemin de toute son âme, de tout son cœur et de toutes ses forces, elle est accessible même à des personnes ayant vécu des traumatismes et des maltraitances très graves. Et elle change la vie.

Katie Melua – Better than a dream

Enya – Flora’s secret

Loreena McKennitt – Marrakesh night market

(1) Jack Kornfield, Après l’exase la lessive, Pocket, 2010

Un peu d’art-tisanat dans nos loisirs

Bryan Peterson's understanding composition - field guide, Amphoto Books, 2012
Bryan Peterson’s understanding composition – field guide, Amphoto Books, 2012

Pour de nombreuses personnes, l’été est le temps du repos, des lectures un peu plus légères et des photos souvenirs de vacances. Quelques mois après avoir vécu ces dernières, nous sommes souvent déçu-e-s de constater que ces images ne réveillent pas notre émerveillement, notre excitation ou notre plaisir. Elles nous semblent plates et ne plus correspondre à notre expérience. Année après année, elles s’entassent sur nos disques d’ordinateur sans plus que nous les consultions.

Il est fréquent que ces photos aient été mal construites, c’est à dire mal composées et que de ce fait elles ne peuvent pas avoir le relief que nos attendons et correspondre à notre attente.

Très agréable à lire, d’un format pratique et avec de superbes images, le livre de Bryan Peterson se propose de nous apprendre les bases de la composition d’images en abordant 14 thèmes au travers photos qui montrent concrètement comment s’y prendre et ce qui se passe suivant qu’on prend en compte ces consignes ou pas. Le « prix » à payer est que, d’une activité annexe qu’on fait en passant, la photographie devient une activité pour elle-même. Mais c’est une activité créative qui peut être extrêmement agréable et nous fournir de nombreux moments de plaisir. Ce livre peut nous y aider et nous faciliter la tâche de devenir de meilleurs artisans des images que nous fabriquons.

L’être humain, un grand primate comme les autres

Frans de Waal Chimpanzee Politics
Frans de Waal
Chimpanzee Politics
Frans de Waal, peacemaking among primates
Frans de Waal, peacemaking among primates
Frans de Waal & Frans Lanting, Bonobo, the forgotten ape
Frans de Waal & Frans Lanting, Bonobo, the forgotten ape

Dans le monde occidental, la controverse autour de la place de l’être humain dans la nature et du rôle de cette dernière face à nous est de plus en plus forte. Elle a toujours existé. Mais, au moins depuis l’antiquité grecque, la vision prévalente (au point d’être quasiment hégémonique) était que la nature n’avait d’autre but que de servir les êtres humains et que ces derniers avaient pour mission de la « mettre en valeur », autrement dit de l’asservir à leur propre soif de confort, de biens et de pouvoir. Elle a été soutenue à bouts de bras par les dogmes des monothéismes.

La genèse va jusqu’à proclamer que: « Et Dieu les bénit, et Il leur dit: Croissez et multipliez-vous, remplissez la terre, et assujettissez-la, et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tous les animaux qui se remuent sur la terre » (Gn 1:28). Pour parler d’asservissement, c’est difficile de faire plus explicite.

Un des éléments clefs qui assure cette hégémonie, est l’affirmation selon laquelle l’être humain est un être totalement à part de la nature, qu’il lui est supérieur et que cette supériorité justifie l’asservissement de cette dernière. Elle en fait presque un devoir moral.

Cet argument a aussi été utilisé pour instituer une hiérarchie entre les êtres humains et pour affirmer que les autorités en place dans le monde chrétien étaient légitimes, qu’elles relevaient du droit divin et que les gens « du commun » lui devaient une obéissance absolue.

Ce systèmes est combattu pied à pied, en tout cas en occident, depuis au moins 5 siècles. Il y a eu des progrès. Les personnes qui osent proclamer en public la supériorité de leur race sur une autre sont devenues une petite minorité. Mais elle peut être très agissante lors de la survenue de poussées de racisme en occident, particulièrement en temps de crise, comme maintenant. Les femmes luttent pour leurs droits depuis des siècles et ont obtenu, toujours en occident, des améliorations. Mais l’actualité nous rappelle régulièrement que ces améliorations restent fragiles et qu’il reste de nombreux groupes qui attendent la première occasion pour les contester. La lutte des femmes pour défendre le droit à l’avortement en Espagne, suite à l’arrivée d’un gouvernement conservateur, a été particulièrement vive. D’autres groupes ont encore bien du mal à faire respecter leurs droits les plus élémentaires. La controverse en France sur les mariage pour tous l’a illustré vivement. En Suisse, le PACS a fait l’objet d’un référendum mené par les mêmes milieux. La possibilité pour les couples gays et lesbiens d’adopter l’enfant de leur partenaire (quand celui-ci n’a qu’un parent) va également faire l’objet d’un référendum, toujours lancé par les mêmes milieux.

Mais l’affirmation selon laquelle l’être humain serait un être à part et que cela lui donne tous les droits sur la nature est encore partagée par une très large majorité de la population occidentale. Les problèmes environnementaux, ses conséquences pour tous (y compris pour nous), mettent cette croyance sous une pression de plus en plus forte. Mais elle est encore loin d’avoir craqué.

Entre en scène le primatologue Frans de Waal. Avec d’autres, il s’est mis à étudier avec un regard neuf les grands primates, en particulier les chimpanzés et les bonobos. Il a commencé ses travaux en 1975, en observant la colonie de chimpanzés du zoo d’Anrhem, alors que d’autres les observaient en pleine nature. Leurs observations ont convergé et sont venues comme en écho les unes des autres. Elles dont dressé des grands primates une image fondamentalement plus riche et complexe que celle qui prévalait par le passé. Elles ont mis en évidence que les capacités relationnelles, affectives et sociales des grands primates sont d’une telle richesse et d’une telle complexité que la différence avec nos propres capacités s’estompe.

Frans de Waal a particulièrement mis en lumière les jeux de pouvoir et les comportements politiques des chimpanzés (1), tout comme la grande capacité de réconciliation des primates (2). En fait, les chimpanzés dont les mœurs sont parfois très conflictuelles sont aussi les champions de la réconciliation. Il a aussi décrit la vie et les relations des bonobos (3). Ce faisant et sans le vouloir au début, il a mis en lumière combien nos propres comportements dans ces mêmes domaines ressemblent à ceux des autres grands primates (4) et combien ces derniers sont capables de se projeter dans la peau de l’autre et de faire preuve d’empathie et de sacrifice (5).

Frans de Waal, Our inner ape
Frans de Waal, Our inner ape
Frans de Waal, the age of empathy
Frans de Waal, the age of empathy

Pour moi, le lire est passionnant. Il écrit bien. Le lire est aisé et agréable. Surtout, cela fait sens pour moi et cela me fait chaud au coeur de lire que nos capacités ne sont pas nées de rien en quelques instants (à l’échelle de l’évolution), mais combien nous sommes des grands primates comme les autres, combien nous vivons et nous nous comportons comme eux et, in fine, combien nous ne sommes pas seuls au monde. Tant ma raison que mon coeur sont éclairés.

Ce constat n’est pas sans inconvénient. Les grands primates peuvent se faire la guerre, ils peuvent s’entretuer (entre clans et au sein du clan), ils chassent et mangent d’autres singes, les mœurs au sein des clans sont particulièrement rudes, tout comme les rapports entre sexes.

Mais, au regard de ces observations, on ne peut plus décemment affirmer que l’être humain résulte d’une « création spéciale » (et il est toujours question de cela, même après deux siècles de darwinisme), qui fait qu’il est d’une nature particulière et supérieure aux autres animaux. Surtout, ces observations font plus qu’affirmer le contraire. Elles montrent concrètement comment cela se passe et comment on peut en conclure que les grands primates sont si proches de nous et réciproquement.

Alors même que nombre de ces travaux datent des années 70 et 80, le message passe lentement. La résistance est forte. La lecture des critiques sur ces ouvrages dans les grands sites de vente de livre sur internet montrent combien certaines personnes ne peuvent pas entendre ce constat même quand on le leur met sous le nez, combien elles le nient, se ferment et résistent de toutes leurs forces.

Il reste à espérer qu’un nombre croissant de personnes entendront ce message. Il reste aussi à espérer que leur nombre croitra assez vite pour que nous puissions préserver les singes et les grands primates avant qu’ils aient complètement disparu, et pour que nous puissions enfin remettre sérieusement en cause le dogme du rôle de l’être humain dans la nature avant qu’il ne soit trop tard.

(1) Frans de Waal

Chimpanzee Politics: Power and Sex among Apes

Johns Hopkins University Press; 25th anniversary edition (August 30, 2007)

(2) Frans de Waal

Peacemaking among Primates

Harvard University Press; Reprint edition (September 1, 1990)

(3) Frans de Waal & Frans Lanting

Bonobo: The Forgotten Ape

University of California Press; 1 edition (October 27, 1998)

(4) Frans de Waal

Our Inner Ape: A Leading Primatologist Explains Why We Are Who We Are

Riverhead Books; Reprint edition (August 1, 2006)

(5) Frans de Waal

The Age of Empathy: Nature’s Lessons for a Kinder Society

Broadway Books; 1 edition (September 7, 2010)