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Comment se fait-il que notre planète soit si verte?

 

How the earth turned green - a brief 3.8 billion-year history of plants- Joseph E. Armstrong, The University of Chicago Press, 2014
How the earth turned green – a brief 3.8 billion-year history of plants- Joseph E. Armstrong, The University of Chicago Press, 2014

Car elle aurait pu être brun-vert, ou rouge, si d’autres algues que les algues vertes avaient conquis les mers puis les terres.

C’est une histoire fascinante que nous raconte l’auteur de cet ouvrage, celle des végétaux, des plus anciens, depuis les bactéries, jusqu’aux plus récents. Et cette histoire est très rarement racontée. La plupart des ouvrages qui traitent de l’histoire de la vie (*) traitent essentiellement de la vie des animaux. Les végétaux sont, au mieux, un décor. Les ouvrages qui incluent ou qui traitent de l’histoire des plantes et de leur évolution sont beaucoup plus rares. Cet ouvrage est l’un d’entre eux.

Et les obstacles qu’ont franchis les végétaux tout au cours de leur évolution sont largement aussi importants que ceux franchis par les animaux. Qui plus est, l’auteur commence cette histoire par la partie la moins racontée (tout au moins dans les ouvrages accessibles au grand public), à savoir celles des bactéries.

Comment et quand est-ce que la vie est apparue? Quels étaient les premiers mécanismes de la vie? Quelles sont les traces les plus anciennes que nous avons d’êtres vivants?  Quand est-ce que les bactéries eurent tellement pollué la planète (déjà à l’époque, mais le GIEC n’existait pas encore!) par leurs rejets d’oxygène qu’elles ont dû passer à une vie basée sur la respiration de ce gaz qui était un déchet? Comment se sont-elles débrouillées? Qu’est-ce qui a induit l’arrivée de cellules beaucoup plus grosses avec un noyau et des organites? Là encore, comment est-ce que cela s’est passé? Qu’est-ce qui a poussé certaines de ces cellules à grandir au point d’être visibles à l’oeil nu et d’autres à constituer les premières créatures multicellulaires? Quel a été le défi de la conquête des milieux côtiers? En quoi est-ce que des algues sont nettement mieux adaptées à ce milieu que des unicellulaires ou des colonies libres d’un petit nombre de cellules? Que sait-on de l’arrivée des végétaux sur terre ferme? Comment est-ce que cela s’est passé? Quelles sont les adaptations aux milieux côtiers en eaux douces qui ont aidé l’arrivée des premiers végétaux sur terre? Il y a encore bien d’autres épisodes fascinants dans cette histoire!

Dans tout ce parcours, la nature a sans cesse fait preuve de ses « bricolages géniaux ». Par exemple, la respiration aérobie (avec oxygène) est dérivée de la respiration anaérobie (sans oxygène) avec juste une étape de plus. Autre exemple, le renversement de chaînes métaboliques existantes a été essentiel pour l’apparition de la photosynthèse. Troisième exemple, comment s’est développé le cycle reproductif des végétaux terrestres (qui constitue un cycle entre une génération « haploïde » (i.e. dont les chromosomes ne sont pas dédoublés) et une génération « diploïde » (dont les chromosomes sont dédoublés)) a pu se développer à partir du cycle de reproduction des algues d’eau douce dont ils sont issus. Une fois encore, les exemples abondent.

Pour la petite et la grande histoire, les pigments verts des végétaux terrestres sont hérités des algues vertes qui ont conquis les littoraux. Ils sont optimaux sous quelques mètres d’eau quand une partie des composantes de la lumière sont déjà filtrées. Mais si les végétaux terrestres avaient développé leurs propres pigments photosynthétiques (au lieu d’hériter de ceux des algues vertes), ils auraient de fortes chances d’être noirs, pour bénéficier de toutes les composantes de la lumière qui arrivent jusqu’au sol. Est-ce que nous verrions cela comme tout aussi beau, je ne sais le dire.

L’auteur prend aussi grand soin d’expliquer « comment on sait ce qu’on sait ». Nous n’avons pas des traces fossiles de toutes ces étapes de la vie donc nous devons compléter ces derniers par d’autres outils. Aujourd’hui, l’analyse des codes génétiques des êtres vivants nous aide considérablement à définir les parentés. Mais cet outil n’est pas suffisant lui non plus. C’est là qu’entre en jeu une autre méthode éprouvée de la science: bâtir une hypothèse, examiner quelles sont ces conséquences et voir si ce qu’on observe correspond à ce qui devrait se passer si cette hypothèse était vérifiée. Dans le lot, d’innombrables hypothèses sombrent corps et bien. Mais elles ont pu être utiles à un moment donné pour en formuler d’autres qui tiennent mieux la route. Avec le temps, d’hypothèse en hypothèse, de vérification en vérification, ne subsistent que celles qui tiennent vraiment la route et qu’on finit par admettre comme étant établies. Mais si la plupart des ouvrages présentent ces derniers comme des faits, ils omettent de présenter ce qui a amené parfois plusieurs générations de scientifiques à cette conclusion. Quand on ne connaît pas cette part-là de l’histoire, le tout peut avoir une apparence un peu dogmatique. L’auteur s’efforce d’éviter cet écueil et c’est tout à son honneur.

En plus de tous ces niveaux de lecture, cet ouvrage en a un de plus, à mes yeux, à savoir celui de la contemplation et de l’émerveillement. Je suis profondément admirative de la richesse et de l’inventivité des mécanismes de la vie, y compris dans leur aspect de « bricolage » à partir de briques existantes. Cela me rend admirative de ce que sont les plantes et m’incite à poser sur elles un regard qui perçoit toute autre chose qu’un élément de décor dont on peut disposer comme d’une chose. En lieu et place, je perçois des êtres vivants extrêmement sophistiqués et dignes de mon plus grand respect. Cela m’attache à elles et m’incite à en prendre soin et à les protéger. C’est vrai que certaines plantes sont extrêmement précieuses pour nous, soit qu’elles nous nourrissent, qu’elles nous soignent, qu’elles nous émerveillent et nous accompagnent dans nos maisons et nos jardins ou encore qu’elles stimulent notre dimension spirituelle. Mais elles existent aussi pour et par elles-mêmes et cela aussi c’est important. Les accueillir pour cela aussi contribue à nous faire grandir intérieurement.

Présentation de l’ouvrage sur le site de l’éditeur: http://www.press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/H/bo16465693.html

Page web de l’auteur: http://biology.illinoisstate.edu/jearmst/armstr.htm

Publications scientifiques de l’auteur: https://scholar.google.com/citations?user=0vBTIB4AAAAJ&hl=en

(*) En voici un excellent exemple:

Le Livre de la vie,

Stephen Jay Gould, Peter Andrews et al.

Seuil, 1993

Découvrir l’altérité des plantes

Françis Hallé, Eloge de la plante : Pour une nouvelle biologie, Seuil, Points sciences, 2014
Françis Hallé, Eloge de la plante : Pour une nouvelle biologie, Seuil, Points sciences, 2014

Ca n’est pas exactement une lecture de vacances, mais c’est pourtant en vacances, sous deux cocotiers et face à au magnifique récif de corail de l’île fihaalhohi des Maldives que j’ai lu ce livre.

Ce livre n’a rien d’un « best seller » léger et facile à lire, qu’on emporte souvent pour les vacances. Sans être un ouvrage académique, c’est clairement un ouvrage de vulgarisation scientifique, et d’un excellent niveau.

Ce livre demande à être digéré. On ne peut pas, en tout cas, je ne peux pas le lire de bout en bout sans m’arrêter. Il faut le lire bout par bout, et prendre le temps d’intégrer avant de pouvoir continuer.

C’est un livre de science. l’auteur décrit les plantes en soulignant, sujet par sujet, les différences qu’il y a entre les plantes et les animaux. Le lire à, pour moi, été fascinant et une très belle découverte. J’ai découvert en quoi les plantes sont si différentes de nous, et tout ce que j’avais appris en biologie en a été bouleversé. Quel plaisir!

C’est aussi un livre pleinement humain. Françis Hallé est une personne qui parle de science mais qui inclut son humanité dans ses écrits. Il parle de ses affects, de la beauté des plantes, du plaisir que les parfums suscitent, de son émerveillement, etc. A mes yeux, c’est l’ouvrage d’un scientifique qui se rapproche de ce que Carl Rogers voulait dire par une « personne fonctionnant pleinement » (*)

En nous faisant découvrir l’altérité et l’originalité des plantes, Françis Hallé fait aussi passer le message que les plantes et les forêts sont également des êtres très précieux qui méritent d’être prises en compte, respectées, protégées et pas juste traitées comme du matériau de base. Et cela est pour moi extrêmement précieux.

Pour finir, que les plantes soient elles aussi dignes de respect a plusieurs implications éthiques. Cela concerne notre utilisation de ces dernières. Il y a des aspects plus ou moins évidents, comme le caractère scandaleux et les impacts catastrophiques du massacre des forêts (et de la réduction de ces dernières à une plantation d’arbres jugés utiles). Plus indirectement, cela concerne aussi notre alimentation. Si les plantes méritent elles aussi le respect, qu’est-ce qu’il est éthique pour nous de manger?
(*) Carl Rogers, On becoming a person, Houghton Miffin, 1961, 1989, 1995
chapter 6: A therapist view of the good life: the fully functionning person

Eloge de la plante, une belle présentation des thèmes de l’ouvrage: https://www.youtube.com/watch?v=CYsf4SDpg6o

De l’altérité et de la magnificence des arbres

LivreFrançois Hallé, Plaidoyer Pour l'arbre
François Hallé, Plaidoyer Pour l’arbre

Quand la vie devient plus légère et fluide, il y a aussi plus de temps pour goûter les bonnes choses de la vie. Ca commence, bien sûr, par les toutes petites, comme un magnifique lever de soleil dans un paysage de montagne, ou des fleurs tardives qui s’ouvrent en fin de saison. Cela inclut aussi le bonheur de goûter la joie de vivre et d’être qui monte du tréfond de nous-même et c’est infiniment précieux. Cela inclut aussi du temps pour l’ouverture, le yin, la réceptivité, l’accueil, la contemplation, l’émerveillement. Cela aussi est infiniment précieux.

Il est parfois des livres dont la lecture correspond à cette qualité d’être au monde. Je fais cette expérience avec deux ouvrages du botaniste Francis Hallé, à savoir « Plaidoyer pour l’arbre »(1) et « Plaidoyer pour la forêt tropicale »(2).

Dans « Like a tree » (3), Jean Shinoda Bolen avait abordé la valeur psychologique et spirituelle des arbres pour nous. En botaniste, Françis Hallé met toute son énergie à nous faire découvrir les arbres dans leur altérité, et s’efforçant de les décrire tels qu’ils sont, et aussi en diffusant et en « vulgarisant » les progrès que nous avons fait dans leur compréhension depuis les dernières années.

LivreFrançois Hallé, Plaidoyer pour la forêt tropicale, Actes Sud
François Hallé, Plaidoyer pour la forêt tropicale, Actes Sud

Francis Hallé est un être humble qui aime profondément les arbres depuis sa plus petite enfance et qui le dit clairement (4). C’est aussi un être passionné qui s’efforce de faire connaître, aimer et respecter les arbres par un maximum de personnes.

L’écriture fine dont il fait preuve résonne en moi à plusieurs niveaux simultanément. Il y a certainement le niveau cognitif. Il décrit les arbres et certaines de leurs caractéristiques exceptionnelles en botaniste. Mais son texte éveille aussi en moi de l’émerveillement et du respect pour ces êtres si différents de nous, si anciens, si complexes et sophistiqués. C’est tout au fond de moi que je me sens touchée et que je vibre. Face à des êtres aussi magnifiques, je sens que la place juste de l’être humain dans ce monde, c’est de se mettre à l’écoute et au service de la nature et non de la mettre en esclavage et en coupe réglée. Alors même qu’il s’agit de l’ouvrage (magnifiquement vulgarisé) d’un scientifique, sa force est de pouvoir toucher à une dimension existentielle et spirituelle en nous. Pour moi, c’est très précieux.

NB : Françis Hallé s’est fait connaître du grand public en participant à un film (5) et à un livre (6) qui ont eu un certain impact.

(1) Francis Hallé, Plaidoyer pour l’arbre, Actes Sud, 2005

(2) Francis Hallé, Plaidoyer pour la forêt tropicale, Actes Sud, 2014

(3) Jean Shinoda Bolen, Like a Tree: How Trees, Women, and Tree People Can Save the Planet, Conari Press, 2011

(4) Voir le début de la conférence filmée de Françis Hallé au sujet de « Plaidoyer pour l’arbre » :

http://www.dailymotion.com/video/x14z488_conference-de-francis-halle-plaidoyer-pour-l-arbre-1-2_news

http://www.dailymotion.com/video/x14z3es_conference-de-francis-halle-plaidoyer-pour-l-arbre-2-2_news

(5) Luc Jacquet, Il était une forêt, Frenetic F, 2014

(6) Françis Hallé, Luc Jaquet, Il était une forêt, Actes Sud, 2013

La nature redécouverte

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La botanique redécouverte, Aline Raynal Roques, Belin 1999 (pour l’édition actuelle).

A l’époque où la biologie moléculaire est devenue une discipline reine, d’autres disciplines plus traditionnelles, comme les sciences naturelles ou la botanique n’ont plus la cote. C’est pour défendre et faire redécouvrir sa discipline que l’auteure, Aline Raynal Roques a écrit cet ouvrage.

Je suis d’autant plus fascinée par cette lecture que l’auteure a réussi à mettre en lumière de nombreux aspects de sa discipline et aussi différents niveaux de lecture.

En utilisant le dessin, le plus souvent en noir et blanc, en explicitant l’étymologie des termes botaniques et en recourant à la notion « d’herbier de référence » (qui restent les sources de référence de par le monde), elle donne à voir la dimension humaine et historique de sa discipline.

En introduisant les différentes catégories de plantes (cryptogrammes, gymnospermes, angiospermes), en décrivant leurs caractéristiques, leur mode de vie, leurs adaptations, leur variété, elle décrit superbement les plantes elles-mêmes.

En montrant comment on les classe, comment on les nomme, comment on les a découvertes et référencées, elle donne une belle introduction à la botanique en tant que science.

Mais elle laisse aussi transparaitre un niveau sous-jacent à tous ceux là. Elle montre, et avec talent, à quel point les plantes sont des être raffinés, sophistiqués, complexes, créatifs, qui vivent en communauté et sont tous sauf passifs et inanimés. Bref, ce sont des êtres dignes d’émerveillement et de respect. Et je suis émerveillée par cette lecture. Elle change aussi la manière dont je vis mes moments de nature. Elle me permet de contempler les plantes avec un regard plus attentif aux détails, à leurs spécificités, à leur originalité, à leurs rythmes de vie, à d’autres facettes moins évidentes de leur beauté. Je trouve cela très précieux.

Si ce texte scientifique permet à certaines personnes de redécouvrir les plantes et la botanique et aussi d’ouvrir leur coeur et de laisser grandir un lien plus fort, plus vivant, plus profond, à la nature et aux plantes, ce sera une très belle réussite!