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De la difficulté d’accorder à l’expression créative toute la place qu’elle mérite dans nos vies

 

Cette petite vidéo montre à quel point le fait de jouer de la musique nous fait du bien. Elle le montre avec tout le poids et le caractère d’autorité de certains travaux scientifiques. Mais il nous suffit de regarder autour de nous pour constater parmi nos proches que le fait de jouer de la musique a plutôt tendance à bien les conserver.

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Anthony Marks, le piano facile,http://www.lire-les-notes.com/livre-le-piano-facile-par-anthony-marks.html

La musique n’est que l’une des formes d’expression créative, mais cette petite séquence nous rappelle combien l’expression créative nous est essentielle et combien elle contribue à notre bien-être.

Pour autant, tout le monde n’accorde pas autant d’importance à ce genre d’activité que ce qu’il faudrait, toujours si j’en crois cette vidéo.

Pour pouvoir exprimer sa créativité, il faut pouvoir en ressentir l’élan, le désir, l’aspiration. Or nombre de personnes ne ressentent pas cet élan. C’est ainsi et ces personnes prennent un autre parcours de vie dans lequel elles mettent l’accent sur d’autres dimensions de la vie.

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La vie faite à la main, Quête de sens et créativité, Anne-Marie Jobin, 2006, Editions du Roseau, Montréal

L’expression créative demande le plus souvent une motricité fine. Qu’il s’agisse de musique, de dessin, de collages, de sculpture, de patchworks, de cahiers créatifs ou autre, les personnes qui vivent avec une dyspraxie ont de ce fait, de sérieuses déficiences en ce qui concerne leur motricité fine, leur insertion dans l’espace et dans bien d’autres domaines encore. Elles voient leurs élans fortement entravés et elles risquent fort d’aller d’échec en échec, dans un domaine de la vie où ils sont tout particulièrement douloureux. Je ne suis pas sure non plus que les outils informatiques tels qu’ils sont conçus actuellement puissent vraiment les aider. Avec, par exemple, une tablette à digitaliser, on peut faire des merveilles, mais à condition de bien savoir dessiner. Si votre vision et votre coordination motrice sont déficientes, elle a de grandes chances de n’être qu’un obstacle de plus.

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Bryan Peterson, understanding exposure, Amphoto Press, 2016

Il faut aussi avoir le temps et la disponibilité intérieure pour pouvoir exprimer sa créativité comme on le souhaite. Nos vies professionnelles ne nous le permettent pas toujours, tant elles nous consomment du temps et tant elles nous épuisent.  Nos familles, nos proches, ceux pour qui nous jouons peut-être le rôle de « proche aidant » sont aussi susceptibles de réduire très fortement la disponibilité dont nous avons besoin pour pouvoir exprimer notre créativité.

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Stephen King, Ecriture, mémoires d’un métier, Livre de Poche, 2003 

Il est peut-être des moments où nous sommes en manque d’inspiration. Ou alors les circonstances extérieures sont telles que nous devons renoncer provisoirement à prendre ce temps-là. Le poids des échecs passés peut être très difficile à digérer et nous peinons à rebondir d’une manière qui nous convienne. Tout cela peut se produire dans une vie. Mais, en tout cas pour les personnes pour qui l’expression créative est un besoin très profondément ancré, voire existentiel, il vient un moment où retrouver le temps et la disponibilité nécessaires pour pouvoir se livrer à cette activité devient juste vital.

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Christophe Berg, Le grand livre de la cuisine crue, La Plage, 2014

Je ne peux que vous inviter à respecter ce besoin, souvent essentiel, quitte à devoir apprendre à vous affirmer face aux autres afin de faire respecter l’espace dont vous avez besoin.

 

Faire avec les obstacles qui restent

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Atlanterhavsveien « Storseisundbrua » is one of the most spectacular parts of the Antlantic ocean road (atlanterhavsveien). Source: flickr.com

Après de nombreuses années d’un solide travail sur soi de développement et de thérapie, les personnes peuvent cueillir les fruits issus des graines qu’elles ont semées et jouir d’une vie considérablement plus agréable, paisible, heureuse et sensée que ce qu’elles ont vécu de par le passé. C’est infiniment précieux et c’est une rencontre bien méritée !

Dans cette vie apaisée, il peut néanmoins arriver que certaines difficultés résistent. Par exemple, une personne surefficiente mentale (ou un-e zèbre pour reprendre le langage de Jeanne Siaud – Facchin) peut avoir toujours du mal à s’affirmer et à faire face aux conflits et éprouver durablement un besoin de se protéger de situations qui sont trop lourdes pour elle. Elle aura beau continuer à travailler dessus, elle ne progresse plus vraiment. Cela peut être frustrant.

Peut-être que certaines de ces difficultés sont le revers de nos propres forces. Être une personne surefficiente signifie aussi avoir un égo particulièrement faible, une confiance en soi réduite et donc plus de difficultés à s’affirmer. Peut-être aussi que la personne a traversé des événements dont les conséquences sont irréversibles et qu’il lui faut vivre avec. Il se trouve que, quand ces conséquences sont physiques (par exemple dans le cas où une personne a développé un diabète de type 1), ce caractère irréversible est plus aisément accepté par l’entourage que quand lesdites conséquences sont psychiques (et qu’on parle, par exemple, de fragilités qui nécessitent que la personne prenne soin de soi et évite durablement des facteurs déclenchants (par exemple la foule)).

Quand ces difficultés mettent la personne en porte-à-faux avec des éléments incontournables de la société dans laquelle elle vit (par exemple la dureté des rapports de travail dans le monde occidental), cela devient encore plus difficile.

Et que faire, comment gérer de telles situations ?

Dans la mesure où ces difficultés résistent, il est peut-être nécessaire d’admettre qu’elles sont là et que la personne va devoir apprendre à vivre avec, en tout cas pour un temps. Cela peut nécessiter de faire le deuil de l’espoir d’être un jour complètement libéré-e de ses difficultés et de pouvoir enfin vivre la vie dont la personne rêve depuis tant d’années. Aménager son quotidien pour tenir compte de ces difficultés persistantes peut aussi nécessiter d’autres deuils. Une personne pourtant très compétente, mais pour qui les situations de conflits perpétuels sont trop pesantes va peut-être devoir abandonner le rêve de faire un jour de l’encadrement ou elle devra abandonner le poste de cadre dans lequel elle se trouve actuellement. Son confort de vie sera peut-être bien plus grand après, mais c’est un deuil (et aussi un saut de plus dans l’inconnu d’une nouvelle situation de travail). Faire tous ces deuils, accepter que ce soit ainsi en tout cas pour aujourd’hui demande du courage.

Bien sûr que les techniques établies d’aide au lâcher-prise et à l’acceptation de ce qui est peuvent aider (*). Mais ces outils ont leurs limites. Les personnes les plus aguerries ont lutté pendant des décennies, et sans jamais avoir abandonné, pour pouvoir se libérer de leurs difficultés. Ayant fait une grande part de chemin, ça n’est pas un blocage apparent de plus qui va les retenir. Il faut autre chose de considérablement plus solide et, surtout de plus convaincant. Certaines aspirations sont l’expression d’élans de vie. Quand une personne sent au plus profond d’elle-même une aspiration à vivre en pleine lumière « sur le devant de la scène », devoir accepter qu’elle a besoin d’une place plus discrète, qui ne permet pas la même plénitude d’expression d’elle-même et de don aux autres, mais qui est nettement est plus protégée, faire le deuil de ses aspirations ne va pas nécessairement de soi.

Il existe une chose qui peut beaucoup aider les personnes à faire ce pas, mais elle ne se commande pas. Elle consiste à recevoir de l’intérieur le message que, « avec mes qualités et mes fêlures, je suis assez bien comme cela pour vivre ma vie ». Une telle expérience est extrêmement précieuse. Elle peut être vécue comme une validation de tout le chemin parcouru par la personne. Il ne s’agit pas pour autant de s’arrêter, mais de prendre acte de qui nous sommes dans toutes nos dimensions, et de prendre acte d’une part de ce que nous ne pourrons pas changer et avec laquelle nous allons devoir apprendre à vivre aussi confortablement que possible.

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Zen Garden designed by Nagao Samurai, source Flickr.com

Sans faire de grandes théories, il y a une forme d’esthétique issue du Japon et fortement apparentée au bouddhisme zen qui peut exprimer cela, c’est le wabi sabi. Issue d’une très longue tradition et d’une culture séculaires (**). À l’inverse de l’esthétique occidentale, elle valorise l’impermanence, l’imperfection, les objets créés sans ostentation, la simplicité voire la frugalité, les matériaux naturels, les textures rugueuses, les tons unis.  Les objets, ou des lieux qui sont mis en scène selon cette forme d’esthétique met en valeur leur beauté d’une manière qui intègre leur fêlures, leurs imperfections, leurs cassures et leurs réparation. Elle devient, de ce fait, une illustration artistique et vivante du « tu es assez bien comme cela ».

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Contemporary wabi sabi tea bowl. Source Flickr.com

 

(*) Voir, par exemple:

John Kabat-Zinn  (auteur), Joan Borysenko (préface), Thich Nhat Hanh (introduction); Full Catastrophe Living: Using the Wisdom of Your Body and Mind to Face Stress, Pain, and Illness; Bantam Books; 2013

NB: une traduction française existe, mais selon de trés nombreux échos elle est au mieux calamiteuse

Ray owen, Facing the storm, Routledge, 2011

Ray owen, Living with the ennemy, Routledge, 2013

Ann Weiser Cornell  (auteure), Barbara McGavin (illustratrice); The Radical Acceptance of Everything: Living a Focusing Life; Calluna Press 2005

 

(**) voir, par exemple:

Andrew Juniper; Wabi Sabi: The Japanese Art of Impermanence; Tuttle Pub;  2003

Leonard Koren; Wabi-Sabi for Artists, Designers, Poets & Philosophers; Imperfect Publishing; 2008

 

 

Comment contribuer au changement de société auquel nous aspirons?

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Kraeuterspirale

 

Je ne doute pas que des enfants doués peuvent opérer des changements importants dans des environnements familiaux un tant soit peu respectueux. Mais les changements sont tout aussi urgents sur le plan sociétaire. Comment pousser ces changements quand les leviers de nos sociétés sont aux mains de personnes qui sont parfaitement à l’aise dans des rapports de force? Comment faire face à des personnes qui n’ont pour but principal que l’acquisition et la conservation du pouvoir pour elles-mêmes et pour leur clan et qui sont prêtes aux actions les plus tordues pour y arriver? Comment faire son chemin dans un univers pareil, quand on est un être sensible, qu’on n’est pas là pour soi-même, mais pour construire avec d’autres? Comment agir en évitant de se faire manipuler et «avoir» par d’autres qui ne recherchent que leur propre réussite? Comment chercher des chemins d’évolution politiques, économiques, sociaux, ensemble avec d’autres quand ces autres n’ont pas du tout le même but?

Comment faire pour sortir d’un mode de vie basée sur la prédation (sur la nature, sur autrui) quand les dirigeants politiques et économiques sont les premiers à avoir intérêt à ce que rien ne change? Comment donner une vie, un travail, une dignité à chacun, comment construire une économie qui ne soit pas basée sur la croissance perpétuelle de l’exploitation des ressources de cette planète?

Dans «Like a tree» (*), Jean Shinoda Bolen fait référence à un conte de Shel Silverstein, «the giving tree» (**), l’arbre généreux. Ce conte raconte l’histoire d’un enfant qui, pour satisfaire ses besoins, exploite un arbre en prenant ses fruits, puis ses feuilles, puis ses branches, puis son tronc, à différentes époques de sa vie, sans jamais rien lui donner en retour. Quand il est âgé, il ne reste plus qu’une souche d’un arbre qui était magnifique. Le conte parle de générosité. Mais, sans le vouloir,il traduit aussi l’attitude infantile des humains, qui exploitent la nature comme une chose, sans la respecter ni rien lui donner en retour. Tous nos caprices sont légitimes. Nous détruisons la beauté autour de nous, chez les humains et dans la nature, nous transformons notre propre monde en dépotoir. Tous les êtres sensibles qui s’insurgent contre cet état de fait sont ridiculisés, dévalorisés et méprisés par ceux qui profitent le plus de ce système de prédation. Comment faire pour changer cela? Comment faire pour empêcher les sociopathes, les narcissiques et les manipulateurs pervers d’arriver aux leviers de commande de nos sociétés et de notre économie?

C’est pour moi une question qui est encore sans réponse. Mais l’enjeu me semble très important. Peut-être que de nouvelles générations d’enfants moins blessés et démolis par leurs contextes familiaux que je ne l’ai été auront les ressources nécessaires pour remettre en route nos sociétés qui sont complètement bloquées face à cette question.

(*) Voir [Bolen, 2011] Jean Shinoda Bolen, Like a Tree: How Trees, Women, and Tree People Can Save the Planet, Conari Press, 2011

(**) Voir [Siverstein, 1964] Shel Silverstein, The giving tree, HarperCollins, 1964

Comment être signe d’espoir?

Phare du Petit Minou avant une tempête
Phare du Petit Minou avant une tempête

 

Quand je regarde autour de moi, je vois un monde en crise profonde. Nombre de symboles et d’institutions qui semblaient indestructibles s’effondrent. Ce en quoi les gens autour de moi ont cru pendant des décennies ne tient plus la route. Par certains aspects, la société est de plus en plus dure et fermée et l’extrême droite a retrouvé un poids digne des pires années du 20ème siècle. En 2012 le stress professionnel grave est devenu une plaie endémique dont souffre près d’un tiers de la population(*).

En Suisse, le chômage a été maintenu à un taux artificiellement bas grâce aux «pré-retraites» et à l’assurance invalidité. Mais, en plus d’être souvent très mal vécu par les personnes mises à l’écart, le poids financier de cet artifice devient trop lourd. En même temps, le modus vivendi dans les médias est le déni. Nous ne vivrions aucune crise et nous devrions être très heureux de notre sort! Pour nos difficultés? Surtout pas de réflexion! Pas de remise en cause! Pas de changement! Toujours plus des mêmes bonnes vieilles recettes! Toujours plus vite! En fait, c’est droit dans le mur que nous allons toujours plus vite!

Comment être signe d’espoir dans ce monde où chaque être humain est replié sur ses propres problèmes, persuadés qu’ils sont uniques, et préoccupé uniquement de sa propre survie à plus ou moins court terme? Comment une personne peut être signe d’espoir quand elle souffre tout autant que les autres, sinon plus, de cette situation? Mais si nous ne le sommes pas, qui le sera?

Alors, j’essaie d’apporter ma propre petite pierre. Mon parcours de vie témoigne de ce qu’il est possible de sortir grandie d’un parcours de vie extrêmement difficile. Il témoigne aussi du fait qu’un enfant particulièrement sensible, perceptif et doué peut survivre et grandir malgré tout dans une société fort peu accueillante. Il témoigne de quelques outils qui sont tout sauf des panacées, mais qui peuvent aider d’autres. Je crois que j’ai aussi assez d’espace en moi pour accueillir quelques autres et les accompagner sur leur propre route dans la vie (et je me suis formée pour).

Il n’y a rien là de spectaculaire ou d’universel. C’est juste une pierre parmi des millions d’autres, mais c’est la mienne.

(*) Selon une étude du secrétariat d’Etat à l’économie, publiée par le journal 24Heures : http://www.24heures.ch/vivre/societe/Le-stress-au-travail-coute-10-milliards-de-francs-par-an/story/13878117