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Accueillir et goûter les fruits de son chemin

Lotus Flower photo taken at GSS College Garden( Belgaum, Karnataka , India),5 October 2006,Nivedita Patil, Wikimedia Commons
Lotus Flower photo taken at GSS College Garden( Belgaum, Karnataka , India),5 October 2006,Nivedita Patil, Wikimedia Commons

 

Pour de très nombreuses personnes, la vie est tout sauf un long fleuve tranquille. Trouver sa place, faire son chemin est souvent difficile et prend du temps. Les enfants doués doivent en plus faire face aux obstacles liés à leur différence qui sont à la mesure de leurs ressources.

Avec les décennies de nombreuses personnes finissent heureusement par faire leur chemin, par se libérer de leurs entraves et de leurs traumatismes, et par trouver une place au moins acceptable pour elles. Il est alors nécessaire et légitime d’accueillir et de goûter les fruits de son propre chemin. Cela n’est pas toujours simple pour des personnes qui doivent lutter et investir énormément d’énergie pour arriver justement à se tracer un chemin dans une jungle d’obstacles et d’entraves. A force d’être perpétuellement dans la lutte, il est facile de minimiser ce qu’on a déjà atteint et de négliger d’en goûter consciemment les fruits. Et les enfants doués aimeraient pouvoir en faire tellement plus que, quoi q’ils aient réussi, ils ont toutes les chances de « ne se sentir ‘que‘ là sur leur chemin »…

Certaines étapes sont plus marquantes que d’autres et elles méritent encore plus d’être appréciées. Avec le temps, au fur et à mesure que la personne trouve sa place et se situe moins dans une dynamique de lutte permanente, cela devient aussi plus facile.

Arriver à nouer une relation amoureuse durable, saine, respectueuse, féconde (pour l’un-e et pour l’autre) et de qualité avec un-e partenaire est certainement l’une d’entre elles.

Arriver à trouver une place qui soit satisfaisante et qui corresponde à notre besoin de sens dans une société humaine qui reste ce qu’elle est avec ses absurdités, ses injustices et ses horreurs en est une autre.

De même, arriver à trouver un équilibre professionnel satisfaisant dans un environnement qui est devenu très difficile pour tout le monde en est encore une autre.

Avoir fait assez de chemin, être devenu-e assez vivant-e pour pouvoir se libérer progressivement du plus gros des traumatismes qui nous ont entravé pendant des décennies et pouvoir « laisser partir » les auteurs de ces traumas est aussi une étape essentielle.

Avoir pu mettre des mots sur sa propre dimension spirituelle, avoir pu trouver comment en prendre soin et la laisser grandir est une autre expérience très précieuse, digne d’être accueillie et célébrée.

Avoir trouvé un équilibre entre le soin des autres et celui de soi (que les enfants doués ont tellement tendances à négliger) est également précieux.

Avoir trouvé comment satisfaire sa soif de beauté et nourrir son expression créative est un autre point important qui contribue à l’équilibre, à la qualité et au sens de la vie des enfants doués.

Avoir continué son chemin et continué de grandir au point de pouvoir se vivre en confiance profonde avec soi-même, en paix avec soi-même et avec la société qui nous entoure (qui, une fois encore, reste ce qu’elle est) est aussi une étape très marquante.

Nombre de jeunes enfants doués et d’ados surefficients sont très inquiets face à leur avenir. Ils et elles apréhendent ce que l’avenir leur réserve, quelle place ils vont bien pouvoir trouver dans ce monde étrange et incompréhensible qui les entoure. Ils sont d’autant plus inquiets que ce qui se passera dans trois mois, c’est déjà très loin. Alors un chemin qui prend des années, voire des décennies, c’est désespérant!

Malgré tout, savoir que d’autres arrivent avec le temps à faire leur chemin, c’est infiniment mieux que rien et cela peut aider certains d’entre eux à trouver l’énergie nécessaire pour faire, un pas après l’autre, le chemin qui leur permettra progressivement de trouver eux aussi leur place dans cet univers étrange qu’on appelle la société humaine.

Quelle insertion dans le monde professionnel quand on est un être sensible?

Panneau de signalisation, à la croisée du chemin des Laines et du chemin de la Liquière à Ournèze, Daniel Villafruella, Wikimedia Commons
Panneau de signalisation, à la croisée du chemin des Laines et du chemin de la Liquière à Ournèze, Daniel Villafruella, Wikimedia Commons

Faire des études peut être enthousiasmant et de nombreux jeunes, quand ils s’apprêtent à entrer dans le monde du travail ont l’espoir de pouvoir apporter quelque chose. La suite ne leur donne pas toujours raison. C’est difficile de garder espoir quand on se retrouve un petit numéro parmi d’autres et quand on est témoin de relations humaines dans lesquelles le respect mutuel, l’écoute, laisser la personne développer son potentiel sont vu comme des extraterrestres. Quant on est un être particulièrement sensible, c’est l’assurance d’en prendre plein la figure. Christel Petitcollin mentionne que les personnes hyperefficientes «doivent avoir une gestion du stress de premier ordre» (*). Mais cela peut ne pas suffire ou ne pas marcher.

En regardant mon propre parcours de vie à la lumière de celui de personnes de mon entourage, je vois plusieurs manières de faire face à cette situation. Mais je ne suis pas sûre que l’une soit préférable à l’autre.

Une possibilité est d’avoir un job «normal» (ne me demandez pas ce que cela signifie) qui apporte une sécurité matérielle et financière. Si cela permet d’éviter certaines galères (celles qui sont liées au manque d’argent), c’est aussi la quasi assurance d’en prendre plein la figure jour après jour dans un univers professionnel non respectueux. Arriver à digérer et à maintenir son équilibre dans un univers aussi toxique devient une épreuve de chaque jour et consomme une énergie énorme. C’est vrai qu’à l’occasion, on peut avoir quelques actions dans lesquelles nous nous sentons avoir un sens. Mais est-ce que le prix payé en vaut la peine ?

Un autre parcours possible est de prendre un chemin d’indépendant-e, de faire ce qui nous intéresse, d’essayer d’en vivre ou de compléter l’ordinaire par des travaux alimentaires. Les personnes que je connais qui ont entrepris ce parcours ont évité de subir le monde de l’entreprise, son inhumanité et sa perversité. Par contre, elles sont dans une sérieuse insécurité matérielle, ce qui limite leur capacité de créer qu’elle voulaient privilégier. Est-ce que cela en vaut la peine ? Est-ce vraiment mieux?

Il est des personnes pour qui le monde du travail actuel est proprement insupportable. Elles se retrouvent régulièrement sans emploi et c’est très difficile pour elle d’en garder un plus de quelques mois. Les périodes sans emploi les protègent de ce qui leur est insupportable, mais leur insécurité matérielle est encore plus grande.

Christel Petitcollin parle des professions libérales comme d’une piste de choix pour les surefficient-e-s mentaux. Je n’en connais pas qui aient suivi ce chemin. Mais il est vrai que cela peut marcher.

Ce qui me touche et me révolte est que la difficulté des personnes douées à trouver une place dans le monde professionnel est un drame pour tout le monde. C’en est un pour elles, qui aspirent tellement à pouvoir se donner et qui se trouvent rejetées, parfois très violemment, justement en raison de leurs dons et de leurs capacités. C’en est un pour la société qui se prive d’un capital d’innovation, de changement, de modération, d’apaisement qui est très précieux.

(*) Je pense trop, comment canaliser ce mental envahissant, Christel Petitcollin, 2010, Guy Trédaniel