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L’éthique et le papillon

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Counselling service for women, source Wikimedia Commons

 

Déterminer quand nous devons aider un autre être et quand nous devons prendre soin de nous abstenir de toute intervention est une question éthique qui traverse toutes nos existences. Elle est fort joliment illustrée par une chronique de la nonne zen Joshin Luce Bachoux qui confronte un maitre bouddhiste a un papillon en train d’éclore (1). Alors qu’il assiste à la sortie de chrysalide d’un papillon, le maitre décide d’intervenir pour l’aider et lui faciliter la vie. Il fait un geste pour achever le mouvement en cours et contribue à le sortir de son cocon. Mais, quelle n’est pas sa déception quand le maitre constate avec dépit que le papillon est incapable de déployer et d’utiliser une de ses deux ailes, qui reste collée. Le maitre en déduit que son action a apporté beaucoup plus de mal que de bien.

Savoir quand il convient d’aider un autre être est une thématique qui a fait et qui continue à faire l’objet d’une abondante réflexion. En particulier, c’est un thème central du code éthique des professions qui se chargent de toutes formes d’assistance, de conseils, de soins, etc.

D’une manière ou d’une autre, la plupart de ces codes ont pour principe le respect de l’autonomie de la personne, de ne prêter assistance a l’autre que si ce dernier en fait explicitement la demande, et de ne répondre à cette dernière que si la demande est acceptable pour la personne qui reçoit la demande (2).

Malgré toutes ces belles intentions, le problème demeure et il est particulièrement aigu dans les cas, nombreux, qui se situent aux limites.

  • Que faire quand aucune demande n’est formulée, en particulier quand la personne n’est pas en mesure d’en formuler une ? Et qui juge que tel est le cas ? Sur quelle base?
  • Que faire quand les valeurs de la personne aidante et celles de la personne en demande sont en conflit ?

Que faire, par exemple, quand une personne est blessée, mais inconsciente et donc incapable de demander de l’aide ?

Que faire quand c’est un animal qui est blessé ?

Que faire face à une personne très âgée, qui est devenue complètement désorientée et dépendante de l’assistance qu’on lui fournit, qui néanmoins affirme aller très bien et qui refuse de quitter son domicile ? Que faire quand le proche aidant qui l’accompagne est complètement épuisé ?

Que faire face à cette même personne très âgée, si elle est en demande de suicide assisté, alors même qu’elle ne souffre d’aucune maladie incurable ? Et que faire de l’avis de son ou ses proches aidants s’ils divergent du sien ? Est-ce qu’un médecin est en droit de refuser une telle assistance si elle contrevient à sa vision (d’aucuns diront ses préjuges) religieuse?

A-t-on le droit de donner des cours de nutrition saine et d’éducation a la santé dans les écoles, quand ces derniers peuvent entrer directement en conflit avec les valeurs, les comportements et les commandements de certaines familles ?

Les cas sont innombrables et parfois très complexes. Ils font l’objet de nombreuses annexes aux codes éthiques, voire de codes spécialisés dans certaines thématiques. Les conflits pouvant être extrêmement vifs, il n’est pas rare que la justice et la jurisprudence s’en mêlent. Le cas de l’assistance au suicide illustre bien cette situation qui s’étend a de nombreuse es autres situations.

Qu’il s’agisse d’actes imposés ou refusés à une personne, les risques de comportements inappropriés, voire de maltraitance sont majeurs. Les risques de conflit (tout aussi vifs) au sujet de ces mêmes actes sont très importants.

C’est une thématique dans laquelle les sociétés humaines avancent à tâtons, avec beaucoup de difficultés, de manières souvent divergentes et en étant violemment confrontées aux préjugés et aux convictions des uns et des autres. Je n’ai pas plus de réponses définitives et universelles à ces questions que les autres personnes qui ont travaillé et travaillent sur ce sujet. J’ai moi aussi mes valeurs et mes choix éthiques qui font que j’ai une place bien précise sur cet échiquier. Tout ce que je peux proposer, c’est de prendre grand soin de rester ouverte et à l’écoute de l’autre, de son ressenti, de sa souffrance et des multiples niveaux de ce qu’il ou elle exprime, que ce soit verbalement ou pas.

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Jospin Luce Bachoux, Tout ce qui compte en cet instant

(1) Luce Joshin Bachoux, Regarder naitre un papillon, Tout ce qui compte en cet instant – le journal de mon jardin zen, Desclé de Brouwer, 2009

(2) Voir, par exemple:

 

 

 

 

De l’importance des doryphores en matière d’éthique

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Un doryphore, source Wikimedia Commons

Les préoccupations éthiques sont importantes pour de nombreuses personnes. Pour une majorité d’êtres humains, se conformer aux règles du groupe auquel ils appartiennent suffit (1). Certains n’ont même pas cette préoccupation. D’autres sont considérablement plus exigeants avec eux-mêmes.

Pour ces personnes, il est essentiel de tout faire pour ne pas faire de mal aux autres humains, voire aux autres êtres tout court. Ces personnes se préoccupent de stimuler la vie et d’accompagner son développement, chacune a sa façon.

Mais être fidèle à cette exigence intérieure est souvent plus difficile qu’il n’y parait. Nos actions ont des conséquences à moyen et à long terme qu’il n’est pas toujours aisé de discerner. Avec la meilleure volonté du monde, nous pouvons nous tromper et mal comprendre une situation et ses enjeux. Même les êtres qui ont les plus hautes exigences éthiques ont leurs limites, qu’il s’agisse de leurs aprioris culturels, de leurs valeurs, de leurs préconceptions, ou tout simplement de leur besoin de sécurité et de se protéger.

Les difficultés sont parfois plus cachées, ou faciles à ignorer pour des personnes qui ne sont pas sans cesse confrontées aux contraintes de leur environnement matériel. Dans l’une de ses chroniques (2), la nonne bouddhiste zen Joshin Luce Bachoux nous rappelle que la simple culture de notre nourriture nous demande de sacrifier d’autres êtres pour pouvoir nous nourrir.

Dans cette chronique, elle nous rappelle que, pour porter ses fruits, la culture d’un jardin potager implique l’élimination de nombreux insectes (voire des petits rongeurs) qui mangent voracement les plantes que nous entendons cultiver à notre profit. C’est ainsi que, pour avoir des pommes de terre, il faut commencer par tuer tous les doryphores qui s’y attaquent. Aller les acheter au magasin ne fait que déléguer cet acte à d’autres.

En d’autres termes, il ne suffit absolument pas d’être végane pour ne faire aucun mal aux autres êtres vivants. Nous devons tuer des animaux pour faire pousser les plantes et les champignons dont nous entendons nous nourrir. Par ailleurs, ces mêmes plantes et champignons n’ont pas voix au chapitre et sont considérées comme des nourritures légitimes même par les personnes véganes (3). La seule manière d’arriver à ne nuire à aucun être vivant est de ne pas naître. Mais aussitôt que nous vivons, notre simple survie implique que d’autres êtres meurent, et nous devons trouver une manière de vivre avec cette part de la réalité.

Certains vont essayer de vivre le plus simplement et le plus frugalement possible, pour que l’empreinte de leurs pas sur cette terre soit la plus légère possible. Ils vont néanmoins devoir faire avec les contraintes de la société qui les entoure.

Il faut aussi noter que même les peuples dits « premiers » qui vivent très frugalement et d’une manière infiniment plus harmonieuse avec la nature que ne le font les sociétés technologiques, ont aussi des moments de très grandes fêtes communautaires durant lesquelles une quantité considérable de ressources sont consommées (4). Ceci nous indique aussi que nous devons faire avec ce que c’est que d’être un être humain et que très rares sont les personnes qui peuvent vivre une existence de parcimonie extrême sans la rompre au moins de temps à autre.

Prendre soin de la vie et d’autres êtres constitue pour les personnes qui s’engagent dans cette voie, une manière d’agir encore plus importante que la simplicité et la frugalité (pour autant qu’elles aient assez de succès à leurs propres yeux). Elle leur donne la satisfaction de ne pas vivre en vain et, indirectement, la conscience que les êtres qui sont morts pour qu’elles-mêmes vivent ne sont pas non plus morts en vain.

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Jospin Luce Bachoux, Tout ce qui compte en cet instant

(1) Kohlberg, L. (1964). Development of moral character and moral ideology. In M. L. Hoffman & L. W. Hoffman (eds.), Review of child development research (Vol. I, pp. 381-431). New York: Russell Sage Foundation

A lire avec:

Gillian, C. (1993). In a different voice: Psychological theory and women’s development. Cambridge, MA: Harvard University Press

(2) Luce Joshin Bachoux, Le doryphore et nous, Tout ce qui compte en cet instant – le journal de mon jardin zen, Desclé de Brouwer, 2009

(3) Il faut quand même noter que plus nous consommons directement des végétaux et des champignons, moins nous avons besoin de surface pour satisfaire nos propres besoins et plus il y en a pour les champignons, végétaux et animaux sauvages. Encore faut-il que la population humaine cesse d’exploser, voire se réduise notablement.

(4) Dans certaines cultures, on parle de « poltlatch », cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Potlatch_(anthropologie)