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Consommation de viande, santé, réchauffement climatique, préservation de l’environnement et malnutrition : une entreprise de déni à l’échelle planétaire

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La nef des fous, fragments d’un triptyque de Hieronymus Bosch, huile sur panneau de chêne,vers 1494-1510, musée du Louvre, source: wikimedia commons

 

Le 26 octobre 2015, l’OMS émettait une déclaration d’agence de presse dans laquelle elle annonçait  « un Groupe de travail de 22 experts venus de 10 pays différents, réuni par le Programme des Monographies du CIRC, a classé la consommation de la viande rouge comme probablement cancérogène pour l’homme (Groupe 2A), sur la base d’indications limitées selon lesquelles la consommation de viande rouge induit le cancer chez l’homme, soutenues par de fortes indications d’ordre mécanistique militant en faveur d’un effet cancérogène » ([1]). Cette annonce était complétée d’annonces complémentaires ([2], [3], [4]).

Elle ne fait que confirmer et officialiser ce que nombre d’acteurs disent depuis de nombreuses années, à savoir que la consommation excessive de viande et de produits carnés peut induire des problèmes de santé chez certaines personnes. Mais s’il était possible de rester sourd à ces informations, en refusant de prendre en compte la légitimité des arguments de leurs auteurs, le fait que l’OMS confirme ces affirmations avec tout le poids de son autorité rend ce déni beaucoup plus difficile.

Et la réaction ne s’est pas faite attendre. Une opération médiatique de déni et de mise sous le tapis de cette information a été promptement organisée, avec le concours de toute la presse. C’est ainsi qu’on a rapidement vu apparaître des articles dans lesquels les journaux se sont dépêchés d’insister sur le fait qu’on ne savait pas bien comment cela marchait. Ils ont pris grand soin de rappeler que les professionnels de la vente de viande n’étaient pas contents, comme si ces derniers avaient une quelconque compétence en matière de santé et comme s’ils n’avaient aucun intérêt à la promotion de leurs propres produits (voir, par exemple : [5]). Dans la même opération de lessivage, un journal interroge un sociologue et prend grand soin de rapporter que, selon lui, « Cet événement est totalement disproportionné par rapport à la valeur intrinsèque des résultats » ([6]). Là encore, là légitimité de cette personne à mettre en cause ces résultats et les éléments sur lesquels il se base n’est en aucune manière interrogée. Il faut rassurer à tout prix et dire aux personnes « vous pouvez, et même devez continuer à manger de la viande comme avant !« .

Se doutant peut-être que la personne interviewée n’avait pas l’autorité suffisante, ce même journal remet la compresse une fois de plus le lendemain ([7]). Cette fois-ci il convoque le ban et l’arrière ban de la société locale pour marteler le message. Ce faisant, il ne peut éviter de d’admettre que même s’il est faible (ce que dit d’ailleurs l’OMS), le risque de santé induit par la consommation excessive de viande existe. Il ne peut pas non plus éviter de dire que « La consommation de viande a explosé à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La production est alors industrialisée pour nourrir la population. Les produits carnés deviennent un incontournable des repas« .  En d’autres termes, la surconsommation de viande à laquelle nous assistons est un produit de l’industrialisation de la production de viande, pas d’une réflexion sur les besoins réels de l’être humain.

Ce faisant, ces mêmes journaux n’ont pas accordé la moindre ligne aux personnes qui parlent des enjeux de la consommation excessive de viande pour la santé, et souvent depuis des années! L’OMS confirme ce qu’ils disent, mais il ne faudrait quand même pas leur donner le droit à la parole…

La réaction à la publication de l’OMS illustre combien la consommation de viande est encore érigée au rang de pratique sacrée dans nos sociétés et combien toute remise en cause de cette dernière, visiblement même pour des raisons de santé, tient du sacrilège (Voir par exemple [8]). En d’autres termes, une industrie a profité des séquelles qu’a laissé des millénaires de malnutrition et de pauvreté dans nos mémoires pour se développer démesurément, pour engranger énormément de bénéfices et pour acquérir une influence totalement démesurée sur la société. Elle y a réussi en faisant croire que c’est son existence (et la consommation intensive de ses produits) qui nous protège d’un passé terriblement douloureux. Toute personne qui conteste cet ordre établi peut alors être facilement mise au pilori.

Ça n’est pas que cette réaction soit unanime. Les dissidences existent (voir par exemple [9]). Mais elles restent minoritaires, et la légitimité de choix différents en matière d’alimentation est sans cesse remise en cause par les adeptes de l’alimentation carnée à tout prix.

Aujourd’hui l’industrie de la consommation forcenée de produit carnés s’est développée au point de menacer notre santé et aussi de menacer notre planète ([10], [11]). A lui seul, le secteur de l’élevage contribue à hauteur de 14.5% des émissions de gaz à effets de serre produits par les êtres humains. A ceci, il faut ajouter les conséquences de la production et de la transformation des aliments destinés au bétail et les conséquences des déchets produits par les animaux (voir aussi [12], [13], [14] & [15]). Tout aussi grave, la surconsommation effrénée de viande a un impact très significatif sur la faim dans le monde ([16]) et sur la préservation des espaces sauvages et la déforestation (cf. références précédentes).

Alors même que nous produisons assez pour nourrir la planète toute entière, une proportion démesurée des surfaces arables et des cultures sont utilisées pour l’élevage, ce qui est très inefficace et qui prive les humains d’une nourriture utilisable directement. Et pour disposer de suffisamment de terres arables, on détruit à marche forcée les derniers espaces sauvages dont la préservation est pourtant absolument vitale, alors que tout cela est évitable.

Une des conséquences du changement climatique est qu’il n’est plus possible de refuser tout changement de notre alimentation sans que cela ne contribue à des conséquences catastrophiques qui vont durer des décennies, voire plus. Il n’est plus possible de refuser de changer tant que l’autre ne l’a pas fait le premier ou de se mettre la tête sous le sable. Quels que soient les commandements dont nous avons hérité au fil des générations, nous devons réviser notre alimentation, ne consommer que ce dont nous avons réellement besoin, et dans des quantités raisonnables. Il n’est plus possible de suivre aveuglément le mouvement, les commandements de sociétés qui ont disparu il y a plusieurs millénaires, ni les commandements d’une industrie qui ne vise que ses propres bénéfices à court terme et qui est dénuée de toute éthique.

Références:

[1] Le Centre international de Recherche sur le Cancer évalue la consommation de la viande rouge et des produits carnés transformés – http://www.who.int/mediacentre/news/releases/2015/cancer-red-meat/fr/

[2] Cancérogénicité de la consommation de viande rouge et de viande transformée: http://www.who.int/features/qa/cancer-red-meat/fr/

[3] Déclaration de l’OMS sur le lien entre la viande transformée et le cancer colorectal: http://www.who.int/mediacentre/news/statements/2015/processed-meat-cancer/fr/

[4] Cancérogénicité de la consommation de viande rouge et de viande transformée: http://www.who.int/features/qa/cancer-red-meat/fr/

[5] Viandes «cancérogènes»: les professionnels ripostent: http://www.24heures.ch/economie/viandes-cancerogenes-professionnels-ripostent/story/14016300

[6] Viande cancérogène: un «buzz toxique»: http://www.24heures.ch/monde/viande-cancerogene-buzz-toxique-certains/story/23831672

[7] «Non, il ne faut pas arrêter de manger de la viande»: http://www.24heures.ch/suisse/faut-arreter-manger-viande/story/24701029

[8] Le végétarisme pour les non-végétariens: https://labyrinthedelavie.net/2015/07/13/le-vegetarisme-pour-les-non-vegetariens/

[9] Adieu steak et saucisse: https://www.bluewin.ch/fr/conso/blog-durabilite/2015/15-11/adieu-steak-et-saucisse-.html

[10] Lutter contre le changement climatique *grâce* à l’élevage – Une évaluation des émissions et des  opportunités d’atténuation au niveau mondial: http://www.fao.org/3/a-i3437f/index.html

[11] Chapitre 3: Bilan global http://www.fao.org/3/a-i3437f/I3437F03.pdf

[12] 4 minutes pour comprendre le vrai poids de la viande sur l’environnement: http://www.lemonde.fr/planete/video/2015/03/20/le-vrai-poids-de-la-viande-sur-l-environnement_4597689_3244.html

[13] Consommation responsable – L’impact de l’élevage sur l’environnement: http://www.extenso.org/article/l-impact-de-l-elevage-sur-l-environnement/

[14] Impact environnemental de la production de viande: https://fr.wikipedia.org/wiki/Impact_environnemental_de_la_production_de_viande

[15] Les conséquences écologiques de la consommation de viande: http://www.vegetarismus.ch/info/foeko.htm

[16] Élevage et sous-alimentation: http://www.viande.info/elevage-viande-sous-alimentation

[17] Pourquoi et comment végétaliser notre alimentation: http://www.viande.info/fichiers/pdf/viande.pdf

 

Quand est-ce qu’assez est vraiment assez ou la confrontation avec les limites

Fritz Lang, Metropolis
Fritz Lang, Metropolis

Nombre d’entre nous en occident vivons une vie effrénée. Nous ne voyons plus le temps passer tellement nous sommes à toute vitesse en permanence. Nos activités professionnelles sont devenues extrêmement stressantes et la souffrance au travail devient une constante de base de notre quotidien. Ce stress s’accompagne souvent d’une consommation elle aussi excessive, compulsive et effrénée. C’est ainsi que j’ai, par exemple, bien plus de livres que ce que je peux lire. Résister à la tentation est difficile et les livres s’accumulent dans mon appartement. Il y a bien sûr des tentations bien plus onéreuses que les livres, comme le dernier smartphone à la mode dont on s’évertue à essayer de nous faire croire que nous ne pouvons pas vivre sans. Mais même les petits achats finissent par s’accumuler!

Comme il faut bien financer nos achats, nos voitures indispensables pour aller travailler et nos vacances tout aussi indispensables pour nous reposer enfin de ce que nous vivons dans les maisons de fous où nous travaillons, nous finissons par nous retrouver enfermés dans un entrelacs d’obligations qui nous attachent là où nous sommes, dans une roue qui tourne toujours plus vite….

Quant aux personnes qui n’arrivent pas à entrer dans cette roue, elles se retrouvent dans une situation de grande vulnérabilité, ce qui est un stress tout aussi important. Elles font tout pour arriver à rejoindre le monde du travail et pour se sentir libérées de leur galère matérielle.

Certaines personnes ont conscience que “cela ne va plus comme ça”. Le monde du travail est devenu complètement fou. A force de restructurations, de soi-disant optimisations et de tourner à toute vitesse, il broie impitoyablement les êtres dans ses rouages, comme le Moloch de Métropolis. Il faudrait plusieurs planètes pour supporter durablement notre rythme de consommation. Nous avons au moins un peu conscience que la planète se dégrade partout, que de nombreuses espèces disparaissent et avec elles, les espaces sauvages pourtant si précieux. Nous commençons à prendre conscience que notre action a même un impact durable et des plus délétères sur le climat de la planète.

Et pourtant rien ne bouge, ou presque, que ce soit à l’échelle des personnes ou à celle de la société!

C’est une chose que de sentir que “ça ne va plus comme cela”. C’en est une autre que d’arriver à mettre le doigt précisément sur ce qui pose problème. C’en est encore une autre que de sentir ou de voir comment changer, dans quelle direction aller. Et c’en est une troisième que de le faire

Il me semble que nous sommes confronté-e-s de plus en plus durement au fait que notre mode de vie actuel atteint ses limites et qu’il a de plus en plus de conséquences destructrices.

A force de vouloir toujours plus d’argent, les entreprises passent leur temps à s’automatiser et à optimiser leur fonctionnement. Nous nous retrouvons avec un travail horriblement stressant et une proportion de plus en plus grande de personnes qui sont exclues du monde du travail. C’est très tentant de changer très régulièrement de téléphone (pour prendre un exemple qui me concerne aussi), de voiture ou de faire sans cesse des vols en avion. Mais cela a inévitablement un impact environnemental. Les entreprises et les nations ne sont pas meilleures, loin de là! C’est ainsi qu’elles détruisent sans la moindre vergogne les dernières zones sauvages alors qu’un petit nombre de personnes font des efforts désespérés pour les dissuader.

Etre confronté-e à des limites, c’est inévitablement être confronté-e à la frustration (Je finance d’abord un traitement dentaire, le reste attendra, je garde ma voiture un ou deux ans de plus, je ne change pas de téléphone tous les deux ans, j’achète au plus un livre par mois, je fais en sorte de n’acheter qu’un minimum de provisions pour ne rien devoir jeter, etc.). Cela va aussi à l’encontre de vieux commandements qui nous ont conditionné depuis des générations (croissez et multipliez puis mettez la Terre en coupe réglée, l’environnement et les être vivants ne sont que des choses dont on peut user et abuser sans le moindre problème, etc.). Ca n’est déjà pas facile sur le plan individuel. Ca l’est encore mois sur le plan collectif, dans lequel la croissance à tout prix et l’exploitation forcenée de toutes les ressources sont vues comme des impératifs qui ne souffrent pas la moindre contestation! Un bon exemple est la résistance acharnée qu’engendre en Suisse, la décision du gouvernement de renoncer au nucléaire d’ici 2030. Malgré le caractère modéré et très pragmatique de cette décision, elle fait l’objet d’une opposition de tous les instants de la part des milieux économiques et d’une partie du monde politique.

Devoir vivre dans un monde limité et frustrant (matériellement), implique aussi que quelqu’un va devoir implicitement ou explicitement édicter ces limites. Cela ne peut que provoquer de terribles jeux de pouvoir!

Bref, nous sommes dans une crise mondiale qui est déjà difficile, mais je crains fort qu’elle ne soit qu’un avant-goût de ce qui nous attend. Et cela sera d’autant plus dur que les pays occidentaux sont dans un déni total de la situation.

En attendant une prise de conscience globale et une mobilisation de la société, je ne peux que suggérer aux personnes qui se sentent concernées par cette question d’apprendre à avoir un mode de vie considérablement plus durable que ce que nous avons aujourd’hui. J’espère que cela aidera à une prise de conscience de toute la société, même si cela a toutes les chances de susciter une très forte résistance.