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Goûter la joie de vivre au quotidien

Upper Loch Torridon, west coast Scotland. Panorama, from 7 pictures. Source: Wikimedia commons
Upper Loch Torridon, west coast Scotland. Panorama, from 7 pictures.
Source: Wikimedia commons

Un auteur bouddhiste, Jack Kornfield, a écrit sur le retour au quotidien après avoir connu l’extase (1). Je ne sais pas ce qu’est l’extase et je ne suis pas du tout sûre que de l’atteindre soit un objectif pour moi. Mais il est une autre expérience très concrète, enraciné dans mon quotidien, c’est de goûter la joie de vivre qui monte du plus profond de moi-même. Elle ne fait pas fi des difficultés de la vie, mais elle me permet d’entrer en vibration avec toutes les bonnes choses qu’elles me permet de vivre et elle me rend heureuse de vivre, tout simplement, comme une enfant qui danse ou qui joue à la marelle, même toute seule.
C’est difficile pour moi de mettre des mots très élaborés sur cette expérience. Ce que je peux dire, c’est qu’elle préserve la fraicheur de mon regard, qu’elle fait vibrer doucement les cellules de mon corps, qu’elle va de pair avec une respiration pleine et profonde, ainsi qu’avec avec la sensation de m’habiter pleinement.
Les analogies qui me viennent sont musicales. Je vous les propose en espérant qu’elles vous parleront à vous aussi.
A mes yeux, cette expérience est d’autant plus précieuse qu’elle est enracinée dans mon quotidien tel qu’il est au lieu d’un quotidien de contes de féées et irréel. Il se trouve aussi que, à condition d’y mettre les moyens et de chercher son chemin de toute son âme, de tout son cœur et de toutes ses forces, elle est accessible même à des personnes ayant vécu des traumatismes et des maltraitances très graves. Et elle change la vie.

Katie Melua – Better than a dream

Enya – Flora’s secret

Loreena McKennitt – Marrakesh night market

(1) Jack Kornfield, Après l’exase la lessive, Pocket, 2010

Le végétarisme pour les non-végétariens

Renan Larue, le végétarisme et ses ennemis, vingt-cinq siècles de débats, PUF, 2015
Renan Larue, le végétarisme et ses ennemis, vingt-cinq siècles de débats, PUF, 2015

C’est en faisant un passage de plus dans un de mes lieux de perdition favoris que je suis tombée sur ce petit ouvrage. De là à dire qu’il m’y attendait et qu’il fait partie de la part de sens de ce monde, il n’y a qu’un pas.

Je dois admettre que je n’ai pas pu lâcher ce livre avant de l’avoir fini et qu’il continue de provoquer mon interrogation et ma réflexion. Je connais bien trop mal la littérature sur cette thématique pour pouvoir situer ce livre dans son contexte. Par contre, je peux partager ce qu’il a remué en moi.

Il m’a remuée sur le plan cognitif en m’apprenant que le conflit autour du végétarisme n’est pas récent en occident. En fait, il remonte à la plus haute antiquité dont nous ayons des traces écrites et peut-être même avant. Depuis le début, ce conflit très vif se centre in fine sur le même enjeu, à savoir la place de l’être humain dans la nature et les relations entre celle-ci et nous.

Depuis le début, les végétarien-ne-s ont été vu en occident comme des personnes dangereusement subversives, car refusant de communier aux sacrifices animaux qui étaient érigés en mythes fondateur tout autour de la méditerranée. L’arrivée du christianisme n’a fait qu’aggraver les choses. Quelques qu’aient été les actes et les paroles réelles du Christ, l’église chrétienne naissante en a fait un personnage spéciste et carniste. De ce fait, les végétarien-ne-s était soupçonné-e-s d’hérésie et de vouloir se montrer plus généreux que le Christ lui-même envers les animaux, donc dangereusement suspects. Certains ont été brûlés vifs pour cela.

L’étau a commencé, très lentement, à se relâcher avec l’apparition des lumières et la perte très progressive d’influence de l’église catholique. Chose intéressante, les pays protestants se sont montrés, et depuis longtemps, nettement plus respectueux des personnes végétariennes.

Aujourd’hui, le conflit est plus vif que jamais. Mais la proportion de personnes végétariennes en occident croît lentement. Elles subissent toujours des quolibets, des rejets et les mêmes sempiternelles accusations. Mais on ne peut plus les exclure complètement de la société. L’auteur pense que cette croissance est irréversible, même si les pays latins résistent très fortement, et que l’avenir de l’humanité est de devenir végane.

Pour ma part, je suis sûre que l’auteur est lui-même végan. Mais il est suffisamment rigoureux et intelligent pour présenter les arguments des personnes anti-végétarisme de manière « brute », sans essayer de les contrer. En fait, il décrit séparément à chaque époque les arguments des uns et des autres.

Ce livre me remue profondément et il me semble qu’il devrait remuer de très nombreux enfants doués, eux aussi dotés d’une très grande sensibilité. Ce qui me remue, ce ne sont pas tant les arguments des personnes qui défendent le végétarisme, que ceux de celles qui s’y opposent. Affirmer que d’autres êtres ne sont que des choses dont nous pouvons user et abuser sans le moindre scrupule et le moindre respect m’est insupportable. Affirmer que seuls les êtres humains sont dignes de respect et de compassion m’est insupportable et sonne fondamentalement faux au plus profond de ma conscience. C’est aussi intolérable que le racisme, la misogynie, l’homophobie et la transphobie. Et ce genre de système est basé exactement sur les mêmes arguments dans tous ces cas….

Alors que faire? Nous avons besoin de nous nourrir. Et nous commençons à découvrir que même les végétaux sont infiniment plus sophistiqués que ce que nous avons jamais affirmé à leur sujet (on trouve des choses à ce sujet même dans Science, mais je ne retrouve plus les références). La seule manière de ne plus faire le moindre mal est de disparaître de la surface de cette planète. Mais l’humanité n’est douée ni pour le suicide ni pour l’émigration de masse dans le reste du système solaire. Alors que pouvons-nous faire ?

Faute de pouvoir résoudre les problèmes de l’humanité (qui dénie encore jusqu’à leur existence), je peux faire, comme un colibri face à un feu de forêt, juste « ma modeste part », pour qu’il ne soit pas dit que je ne l’aurais pas faite. Aujourd’hui, cette part consiste à revoir mon alimentation, à éviter tout gaspillage, à réduire au maximum les produits d’origine animale, et à manger toute nourriture avec le plus grand respect, même quand il s’agit de végétaux. Même sans être végan, c’est pour moi un défi.

Et, à terme, je souhaite de tout coeur que l’auteur ait raison quant à l’avenir de l’humanité.

Quand la tempête s’apaise

The Llangernyw yew tree, Llangernyw, Conwy, Wales, source: wikimedia commons,  Cet arbre est un tout jeune if qui n'a QUE 4000 ans!
The Llangernyw yew tree, Llangernyw, Conwy, Wales, source: wikimedia commons,
Cet arbre est un tout jeune if qui n’a QUE 4000 ans!

Quand une personnes est en grande souffrance intérieure, il est essentiel pour elle de trouver un soulagement aussi vite que possible. Entretemps, il lui faut tenir et cela lui demande toutes ses forces. Plus vite, elle sera libérée de ce qui l’entrave, mieux ce sera. Plus la douleur est grande, plus court est le terme sur lequel elle peut se projeter. Tenir un jour est déjà difficile. Mais il est des traumatismes qui ne se guérissent pas du jour au lendemain. C’est pire encore quand la personne a reçu une accumulation de traumas, de transmissions familiales mortifères et de bien d’autres choses encore.

Dans un pareil contexte, tenir jour après jour, semaine après semaine est déjà une gageure. Le chemin est d’autant plus désespérant qu’il est long et qu’il ressemble à une succession de tempêtes, toutes aussi lourdes à traverser les unes que les autres. Dans un pareil contexte, il faut du cran pour tenir. Il faut aussi de la force, une force qui parfois nous pousse à avancer presque malgré nous et certainement malgré la douleur. Dans ce genre de circonstances, trouver la bonne personne et se faire aider par une personne particulièrement empathique, respectueuse, mais aussi expérimentée peut littéralement être vital.

A force de ténacité, de travail, de temps, de chercher son chemin de tout son coeur, de toute son âme et de toutes ses forces, à force de travailler avec des personnes réellement aidantes, à force d’avancer pas à pas, il vient un moment où la tempête s’apaise. Dans un premier temps, ce sont juste des petites accalmies durant lesquelles elle est un peu moins forte. Avec le temps, ces accalmies prennent de l’ampleur. Elles durent plus longtemps, elles sont plus amples.

Il vient un moment où la vie est plus facile. Tout n’est pas réglé, bien sûr. Est-ce que cela le sera un jour? Il y a encore des moments difficiles. Mais dans quelle vie n’y en a-t-il pas? Quoi qu’il en soit, la vie ne se réduit plus à une lutte perpétuelle. Elle a des bons moments, des moments de paix et de sérénité, des moments de repos, des moments de présence à soi-même, des moments de bonheur, des moments de liens avec ce que nous sentons de « plus grand que nous ».

Ces moments de paix et de sérénité nous permettent de nous retourner et de contempler notre trajectoire de vie. Au début, ça n’est pas facile. « Je sais, mais il y a encore tant à faire! Il y a urgence! » Mais, néanmoins, nous trouvons de plus en plus l’occasion de porter ce regard sur notre chemin. Au début, cela peut être juste un soulagement passager. « Ouf, le pire est, peut-être, derrière ! Mais il reste beaucoup à faire ! » Avec le temps, ce soulagement prend lui aussi de l’ampleur. « Oui, c’est mon passé. Il me semble que j’en sors doucement et que je vis autre chose de quand même mieux aujourd’hui ». Plus tard, cela peut devenir « Wow, quel chemin j’ai fait ! Je peux légitimement être fière de moi ».

Ce moment là peut nous permettre de faire plusieurs expériences.

La première est l’expérience incarnée de la puissance de la vie et plus précisément de la puissance de notre vie, dans notre corps et dans tout le chemin que nous avons parcouru. Ca n’est pas la puissance du bulldozer qui bouleverse tout d’un coup, mais plutôt celle de l’arbre qui continue à grandir, millimètre après millimètre, mois après mois, année après année, décennie après décennie, siècle après siècle. Et il faut vivre le passage du temps pour faire cette expérience concrètement.

La deuxième c’est que, quand on est dans la lutte (et cela peut être absolument vital), on est tellement dans l’instant présent que nos perspectives sont dans l’immédiat. Tout ce qui en sort semble irrémédiablement hors de portée. Or, certains aspects de la croissance des êtres humains prennent des années voire des décennies à s’incarner. Il faut, là encore, faire l’expérience de traverser ce chemin pour sentir que le fait de ne pas pouvoir résoudre quelque chose tout de suite n’est pas nécessairement dramatique. Il y a un demain, un après demain, un après-après demain et ainsi de suite. Et nous n’avons pas d’autre moyen que de faire le chemin au fur et à mesure des années puis des décennies pour acquérir cette expérience intérieure.

La troisième est que même si nous venons dans ce monde avec des choses très lourdes (abus, maltraitances graves, secrets de familles, traumatismes de guerre, etc.), nous ne sommes pas nécessairement condamné-e-s dès le départ et prédestiné-e-s à finir dans ce même état. Nous pouvons choisir notre destin et nous libérer de beaucoup de choses. Cela exige un engagement total dans la durée. Mais c’est possible. Ce faisant, nous faisons l’expérience Qu’il n’y a pas de chemin tout tracé. Il n’y a d’autre chemin que celui que nous traçons en marchant et que plus jamais nous ne referons….

Le poème d’Antonio Machado est magnifique (1), mais pour moi, il est aussi très profond. Nous libérer de nos entraves peut prendre beaucoup de temps, et peut-être que cela n’est jamais achevé. Mais, néanmoins, nous pouvons danser notre vie telle que nous la sentons, et suivre le rythme et les pas qui prennent naissance dans notre coeur et notre corps.

(1) Faute d’une édition bilingue que je cherche toujours, une traduction que j’espère au moins correcte est celle-ci : http://www.poesie.net/macha4.htm

Plutôt que la méditation, une voie alternative pour les « fortes têtes »

A woman performs the Falun Gong sitting meditation in a Toronto park, wikimedia Commons,http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Toronto_Falun_Gong_Exercises_6.jpg
A woman performs the Falun Gong sitting meditation in a Toronto park, wikimedia Commons,http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Toronto_Falun_Gong_Exercises_6.jpg

Quant il est question d’être présent-e à soi-même, à son propre corps, à l’instant présent, nombre d’entre nous pensent à la méditation. Elle est souvent étonnement efficace. Sous la forme de la « méditation de pleine conscience » (1) elle devient même un outil thérapeutique reconnu, et dont l’intérêt est scientifiquement validé, par exemple pour des personnes ayant vécu des épisodes de dépression grave (2).

En ce qui me concerne, elle ne m’a jamais été d’une grande utilité. Peut-être est-ce le fait que « je pense trop » (pour reprendre le titre d’un des livres de Christel Petitcollin (3)), mais mon mental est bien trop puissant pour se laisser calmer facilement. Je ne peux rien prouver, mais je me demande ce que vivent les autres personnes surefficientes mentales. Ont-elles la même difficulté?

Mon parcours de vie m’a aussi montré que, quand mes stress post-traumatiques se réveillent, en plus de mon mental, c’est tout mon corps qui est en alerte, avec une intensité telle que c’est comme si je jouais ma vie. Essayer de méditer pour arriver à me recentrer dans de telles circonstances est voué à l’échec. Visiblement, c’est ainsi que fonctionne un stress post-traumatique (4), donc je ne dois pas être la seule dans ce genre de situation.

J’ai donc dû trouver mes propres outils. Avec le temps, j’en ai adopté quelques uns. La marche en pleine nature, en fait partie. La respiration profonde, lente et liée en fait aussi partie. Parfois ils se combinent (marche en montée). En plus de me ressourcer, c’est particulièrement utile pour revenir à mon corps, à l’ici et maintenant quand je suis particulièrement préoccupée et que mon esprit tourne à toute vitesse. Une autre approche qui marche bien pour moi est tout simplement de m’accueillir et d’écouter ce que je ressens quand je suis trop préoccupée. Etre présente à mon corps est, là aussi essentiel, pour pouvoir « coller » à mon ressenti, l’accueillir et découvrir ce qu’il a à me dire.

Coller à son corps pour prendre conscience et mettre en mots son ressenti, c’est exactement ce que propose le focusing ((5), (6), (7)). Eugene Gendlin a créé ce terme pour décrire ce que faisaient ses client-e-s qui évoluaient le plus dans leur chemin thérapeutique. Il recouvre la manière dont ces derniers se centrent sur leur ressenti corporel pour découvrir, accueillir, puis mettre en mots leur ressenti intérieur. Depuis, cette méthode a largement fait ses preuves comme outil thérapeutique qui a l’avantage de rendre les personnes très autonomes et efficace dans l’observation au quotidien de ce qui se passe en elles dans les situations qu’elles vivent mal (ou bien) ((8), (9), (10)).

Dans mon expérience, avancer sur mon chemin personnel en accueillant mon corps et mes « ressentis corporels » (11) est non seulement un outil thérapeutique, mais c’est aussi un outil qui me permet de revenir à moi, à mon corps, à l’instant présent et souvent, à une bien plus grande paix intérieure. Et il est d’autant plus lié aux autres « outils » de centrage qu’accueillir mes ressentis passe par une respiration lente et profonde, souvent liée….

S’esquisse alors une autre voie que la méditation conventionnelle, que je pourrais appeler la « voie des fortes têtes », faite de suivi de sa propre expérience, de contact avec la nature, avec son corps et avec son ressenti corporel et intérieur.

Je m’en voudrais de comparer une voie à une autre. Je constate simplement que cette dernière me convient et qu’elle me convient d’autant mieux qu’elle résulte du chemin que tracent mes pas, comme dans le poème d’Antonio Machado (12).

Voyageur, le chemin

C’est les traces de tes pas

C’est tout; voyageur,

il n’y a pas de chemin,

Le chemin se fait en marchant

Le chemin se fait en marchant

Et quand tu regardes en arrière

Tu vois le sentier que jamais

Tu ne dois à nouveau fouler

Voyageur! Il n’y a pas de chemins

Rien que des sillages sur la mer.

(1) Jon Kabat-Zinn, Full Catastrophe Living (Revised Edition): Using the Wisdom of Your Body and Mind to Face Stress, Pain, and Illness, Bantam, Revised and Updated edition, 2013

NB: il existe une traduction française, mais sa qualité est très vigoureusement contestée

(2) kuyken, Hayes, Barrett et al, Effectiveness and cost-effectiveness of mindfulness-based cognitive therapy compared with maintenance antidepressant treatment in the prevention of depressive relapse or recurrence (PREVENT): a randomised controlled trial, The Lancet, April 21, 2015, http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(14)62222-4/abstract

(3) Christel Petitcollin, Je pense trop, Guy Trépaniel, 2010

(4) Peter A. Levine Phd., In an Unspoken Voice: How the Body Releases Trauma and Restores Goodness, North Atlantic Books, 2010

(5) Eugene Gendlin, FOCUSING – Au centre de soi, Editions de l’homme, 2006

NB : voir aussi : https://www.youtube.com/results?search_query=focusing+eugene+gendlin

(6) Bernadette Lamboy, Trouver les bonnes solutions par le focusing : A l’écoute du ressenti corporel, Le Souffle d’Or, 2009

(7) Bernadette Lamboy, Devenir qui je suis : Une autre approche de la personne, Desclée de Brouwer, 2003

(8) Marion N. Hendricks, Ph.D, Focusing-Oriented/Experiential Psychotherapy, In Cain, David and Seeman, Jules (Eds.) Humanistic Psychotherapy: Handbook of Research and Practice, American Psychological Association, 2001. http://www.focusing.org/research_basis.html

(9) Robert Elliott & Elizabeth Freire, Person-Centred/Experiential Therapies Are Highly Effective: Summary of the 2008 Meta-analysis, http://www.pce-world.org/about-pce/articles/102-person-centredexperiential-therapies-are-highly-effective-summary-of-the-2008-meta-analysis.html

(10) Focusing : http://www.healthline.com/natstandardcontent/alt-experiential-therapy#1

(11) traduction que je trouve maladroite de l’expression anglaise « felt sense »

(12) http://www.poesie.net/macha4.htm

Accueillir et goûter les fruits de son chemin

Lotus Flower photo taken at GSS College Garden( Belgaum, Karnataka , India),5 October 2006,Nivedita Patil, Wikimedia Commons
Lotus Flower photo taken at GSS College Garden( Belgaum, Karnataka , India),5 October 2006,Nivedita Patil, Wikimedia Commons

 

Pour de très nombreuses personnes, la vie est tout sauf un long fleuve tranquille. Trouver sa place, faire son chemin est souvent difficile et prend du temps. Les enfants doués doivent en plus faire face aux obstacles liés à leur différence qui sont à la mesure de leurs ressources.

Avec les décennies de nombreuses personnes finissent heureusement par faire leur chemin, par se libérer de leurs entraves et de leurs traumatismes, et par trouver une place au moins acceptable pour elles. Il est alors nécessaire et légitime d’accueillir et de goûter les fruits de son propre chemin. Cela n’est pas toujours simple pour des personnes qui doivent lutter et investir énormément d’énergie pour arriver justement à se tracer un chemin dans une jungle d’obstacles et d’entraves. A force d’être perpétuellement dans la lutte, il est facile de minimiser ce qu’on a déjà atteint et de négliger d’en goûter consciemment les fruits. Et les enfants doués aimeraient pouvoir en faire tellement plus que, quoi q’ils aient réussi, ils ont toutes les chances de « ne se sentir ‘que‘ là sur leur chemin »…

Certaines étapes sont plus marquantes que d’autres et elles méritent encore plus d’être appréciées. Avec le temps, au fur et à mesure que la personne trouve sa place et se situe moins dans une dynamique de lutte permanente, cela devient aussi plus facile.

Arriver à nouer une relation amoureuse durable, saine, respectueuse, féconde (pour l’un-e et pour l’autre) et de qualité avec un-e partenaire est certainement l’une d’entre elles.

Arriver à trouver une place qui soit satisfaisante et qui corresponde à notre besoin de sens dans une société humaine qui reste ce qu’elle est avec ses absurdités, ses injustices et ses horreurs en est une autre.

De même, arriver à trouver un équilibre professionnel satisfaisant dans un environnement qui est devenu très difficile pour tout le monde en est encore une autre.

Avoir fait assez de chemin, être devenu-e assez vivant-e pour pouvoir se libérer progressivement du plus gros des traumatismes qui nous ont entravé pendant des décennies et pouvoir « laisser partir » les auteurs de ces traumas est aussi une étape essentielle.

Avoir pu mettre des mots sur sa propre dimension spirituelle, avoir pu trouver comment en prendre soin et la laisser grandir est une autre expérience très précieuse, digne d’être accueillie et célébrée.

Avoir trouvé un équilibre entre le soin des autres et celui de soi (que les enfants doués ont tellement tendances à négliger) est également précieux.

Avoir trouvé comment satisfaire sa soif de beauté et nourrir son expression créative est un autre point important qui contribue à l’équilibre, à la qualité et au sens de la vie des enfants doués.

Avoir continué son chemin et continué de grandir au point de pouvoir se vivre en confiance profonde avec soi-même, en paix avec soi-même et avec la société qui nous entoure (qui, une fois encore, reste ce qu’elle est) est aussi une étape très marquante.

Nombre de jeunes enfants doués et d’ados surefficients sont très inquiets face à leur avenir. Ils et elles apréhendent ce que l’avenir leur réserve, quelle place ils vont bien pouvoir trouver dans ce monde étrange et incompréhensible qui les entoure. Ils sont d’autant plus inquiets que ce qui se passera dans trois mois, c’est déjà très loin. Alors un chemin qui prend des années, voire des décennies, c’est désespérant!

Malgré tout, savoir que d’autres arrivent avec le temps à faire leur chemin, c’est infiniment mieux que rien et cela peut aider certains d’entre eux à trouver l’énergie nécessaire pour faire, un pas après l’autre, le chemin qui leur permettra progressivement de trouver eux aussi leur place dans cet univers étrange qu’on appelle la société humaine.

Vous reprendrez bien un peu de dessin?

Hokusai. Le fou de dessin Nouvelle édition 2014 Henri-Alexis Baatsch Editions Hazan, 2014 Collection : Beaux Arts
Hokusai. Le fou de dessin Nouvelle édition 2014
Henri-Alexis Baatsch
Editions Hazan, 2014
Collection : Beaux Arts

Le dessin est un art qui m’a toujours émerveillée. Sans éducation artistique, je ressens les dessins avec mon intuition, mon regard et mon corps. Je suis fascinée par le papier et l’effet qu’un-e artiste peut y créer avec parfois juste quelques traits au fusain, à la sanguine ou à l’encre de chine. D’aucuns considèrent cet art comme «mineur» par rapport à d’autres, pas moi. Je cherche et je cultive les livres de dessin ou les livres illustrés par un dessinateur.

Je ne peux surtout pas prétendre connaître la culture japonaise, mais les créations de certains de leurs artistes me touchent tout particulièrement. Non seulement je les ressens comme spécialement vivantes et sensibles, mais elles me paraissent beaucoup plus proches en tout cas dans leur style, malgré l’éloignement dans le temps et dans l’espace des cultures de leurs créateurs.

Je suis récemment tombée sur cet ouvrage traitant de Hokusaï et de son oeuvre. De par son format, son épaisseur et son poids il est facile à prendre en main. De par la texture soyeuse de sa couverture, il est agréable à manipuler. De par sa fermeture à rubans, et son recours au papier double asiatique, je le trouve très agréable à manipuler, à feuilleter, à parcourir. Et puis, il y a …. les dessins ! Les centaines de dessins, les couleurs, les personnages, les multiples esquisses, les portraits, les illustrations, les estampes, tout le foisonnement de ses œuvre ! Quelle créativité ! Quelle fidélité à son art durant toute sa vie ! Quelle beauté !

Je ne peux que recommander à tous les enfants doués en quête d’art dans leur vie de s’y perdre un moment … aussi long qu’il leur plaira ! Ce sera un moment de qualité et d’émerveillement.

Je pense mieux, une pépite pour les enfants doués

Christel Petitcollin,Je pense mieux : Vivre heureux avec un cerveau bouillonnant, c'est possible !, Guy Trépaniel, 2015
Christel Petitcollin,Je pense mieux : Vivre heureux avec un cerveau bouillonnant, c’est possible !, Guy Trédaniel, 2015

 

Dévorer un livre en quelques heures, cela faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé!…

Comment décrire le sentiment d’excitation qui m’a habitée du début à la fin? Une sonate pour piano de Mozart pour la fluidité de l’écriture? Un toast au caviar pour goût de la nourriture? Un paysage qui s’ouvre devant soi au fur et à mesure qu’on avance et que je découvre de nouvelles perspectives? Tout cela et bien plus encore.

J’avais énormément apprécié de lire «je pense trop». Les propos de Mme Petitcollin «collaient», pour l’essentiel, avec mon expérience et mon parcours de vie. A défaut de piste vraiment concrète pour mieux vivre, c’était précieux pour moi de me retrouver dans ses paroles. C’est certainement l’ouvrage en langue française qui me correspondait le plus. Pour une fois, je ne suis absolument pas sûre de trouver mieux en langue anglaise, même s’il existe au moins un éditeur spécialisé dans le domaine (1). Ca colle tellement bien que, à mes yeux, cela va au-delà du «s’efforcer de comprendre l’autre comme il se comprend lui-même» cher à Carl Rogers. Je ressentais et je ressens toujours «je pense trop» comme un livre écrit de l’intérieur, par une personne surefficiente et pour d’autres personnes surefficientes. Peut-être est-ce pour cela qu’il a eu tant de succès auprès des enfants doués et qu’il est resté étranger auprès des normo-pensants, comme le révèle Mme Petitcollin dans son nouvel ouvrage.

Ce nouveau livre est stimulé et inspiré des correspondances et des interactions que l’auteure a eu depuis le premier livre. Il est écrit avec beaucoup de fluidité sur le ton d’une conversation. Elle s’adresse directement aux personnes surefficientes. Elle aborde une succession de thèmes (au moins un par chapitre), de manière brève et très vivante.

La multiplicité des thématiques abordées doit permettre à de nombreuses personnes d’y trouver leur compte, dans toute la variété des parcours de vie et des manières d’être au monde des personnes concernées. Là encore, ces thèmes sont beaucoup centrée autour de «mettre en mots», «faire du sens», «ouvrir de nouvelles perspectives», «aider à voir ou lire autrement certains aspects de sa vie», et j’ai été fascinée par l’ouverture et les perspectives ouvertes par cet ouvrage. J’ai été tout particulièrement intéressée par le chapitre sur les résonances ou les correspondances entre ce que c’est que d’être une personne surefficiente, asperger ou autiste.

Après, en lisant un texte avec une telle intensité, il y a bien sûr les nombreux moments où j’ai senti le fameux «Ah, mais c’est plus compliqué!». Mais c’est relativement facile de pouvoir trouver plein de nuances et de complexités additionnelles à partir d’un texte pareil! En voici quelques unes qui me semblent particulièrement importantes, en tout cas pour moi.

Mme Petitcollin utilise le terme de «balancier» (2) pour désigner tout groupe humain qui a pour but de regrouper un maximum de membres et de se nourrir de leur énergie. Dans son développement, elle mentionne que de lutter «contre» ou de lutter «pour» est stérile et que les engouements, comme les indignations sont souvent de courte durée, que seul l’engagement à long terme paie. C’est peut-être du au fait que j’ai vu de près quelques luttes pour la défense de droits humains, mais je constate que les organisations qui sont engagées dans ce genre de thématique se doivent de lutter «pour» ou «contre» quelque chose et que c’est une partie inhérente de leur engagement à long terme. Qu’il s’agisse des violences faites aux femmes, des droits des personnes trans, du mariage pour tous, etc., il y a une part non négligeable de recours à la pression de l’opinion publique et de rapports de force dans la défense de toutes les causes qui méritent d’être défendues. Par contre, il faut savoir choisir ses luttes et doser les différents moyens.

Un chapitre entier est consacré au manque d’égo des personnes surefficientes et à ses conséquences dans leurs relations. Ce chapitre contient de nombreuses remarques fort judicieuses, mais il me semble qu’il y manque une clef. Cette dernière est que la sécurité intérieure, fondement d’une bonne image de soi et d’un égo normalement développé est normalement le fruit d’une expérience incarnée, corporelle, que fait le tout petit enfant quand il est accueilli et aimé de ses parents et que ces derniers le lui signifient adéquatement, par un contact corporel respectueux et pleinement habité. Quand cette sécurité intérieure n’est pas là, il n’y a pas moyen de construire quoi que ce soit de solide. Pour se remettre sur pied, il faut faire cette expérience, toujours de manière incarnée et ceci quel que soit son âge. C’est ce qu’affirme, entre autres, l’haptonomie (3) et je dois constater que cela correspond à mon expérience. Dans la mesure où Mme Petitcollin confirme que, dans sa pratique, une grande proportion de personnes surefficientes ont subi de solides traumatismes dans leur parcours de vie, il me semble que ce point est susceptible d’en aider un certain nombre.

L’auteure consacre une section à la pathologisation des états d’âme. Elle fait remarquer, à très juste titre, la surinflation des codes diagnostiques dans les éditions successives du DSM (4), que sa toute dernière édition, le DSM-V, a dépassé toutes les bornes en la matière (par exemple, en pathologisant tout deuil au-delà de quinze jours). C’est littéralement à se demander qui est vraiment dément dans cette affaire et il y a encore bien pire dans ce document!

Mais, si tout code diagnostique peut être très mal utilisé, cela peut être dangereux de jeter le bébé avec l’eau du bain. J’ai vu de près des ados et des adultes hyperactifs et des personnes souffrant de troubles bipolaires. J’ai vu de près la souffrance d’ados tellement mal dans leur peau qu’elles allaient jusqu’à s’automutiler et dont la scolarité, en cendres, les privait de toute perspective. Je les ai aussi vu «rassembler leur vie», «se retrouver» une fois sous ritaline, pouvoir mener une vie bien bien plus satisfaisante à leurs yeux et choisir de conserver cette médication. J’ai aussi vu des adultes hyperactifs, avec leur propre vie et leur famille en petits morceaux. Je les ai aussi vu pouvoir se rassembler et retrouver une vie bien plus satisfaisante et harmonieuse (pour eux-mêmes et pour leurs proches) avec ce même médicament qu’on stigmatise tant. Et j’ai toujours autant de mal à comprendre comment on pourrait risquer «d’assommer une classe entière» avec une molécule qui est un stimulant du système nerveux central (c’est une amphétamine), qui a été prescrit contre la narcolepsie avant qu’on trouve mieux!

L’auteure consacre une section au monde «2.0» qui est pour elle une grande source d’espoir. J’avoue être infiniment plus réservée à ce sujet. Nombre de communautés qui apparaissent sur internet souffrent exactement des mêmes maux que nos sociétés: andro-centrées, centrées sur des personnes de couleur blanche, misogynes, homophobes, transphobes, etc. Les personnes dominantes de ces groupes sont presque exclusivement des hommes et ce sont les plus pugnaces, les plus narcissiques et les plus à même à vivre dans une atmosphère de conflit perpétuel qui l’emportent (5). Dans cet univers, pour citer Mme Petitcollin, les crimes ne sont pas nécessairement punis, bien au contraire, ce sont souvent ceux qui les dénoncent qui sont attaqués. Par exemple, dans le cas de certaines des femmes qui ont dénoncé la misogynies des jeux informatiques, le harcèlement est allé jusqu’à des menaces de mort et des menaces d’attentat lors de leurs apparitions publiques (6). Leurs harceleurs courent toujours et le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne sont pas condamnés unanimement. Certaines communautés Open Source tentent de mettre en œuvre des mécanismes de modération, mais elles en sont aux balbutiements (7).

Il y a aussi plusieurs chapitres sur la vie en société et sur le monde professionnel qui me laissent un peu réservée. Peut-être que c’est juste une question de l’ordre des mots, mais il me manque une phrase qui dirait en substance «même en faisant de votre mieux, attendez-vous à ce que cela ne soit pas simple et à ce que cela reste problématique». Pour reprendre un exemple de l’auteure, j’ai appris à être (plus ou moins) sage dans ma vie professionnelle et à faire attention de savoir auprès de qui je peux m’exprimer et dire certaines vérités, ou pas. Mais je suis au regret de constater que cela ne fait que déplacer le problème. Quand j’arrive à repérer que ma parole n’est pas bienvenue et à me taire, j’évite en effet des rejets et des agressions. Par contre, c’est une véritable souffrance pour moi que de voir des gens aller à toute vitesse droit dans un mur, et ne rien pouvoir faire, et je me sens souvent emmurée vivante! Après, il me faut digérer.

En ce qui concerne le monde du travail, je suis très pessimiste. A mes yeux, l’indépendance, la voie proposée par Christel Petitcollin, n’est une piste que pour un petit nombre de personnes et j’ai vu bien trop d’indépendant-e-s incapables de tourner et avoir toutes les peines du monde à réintégrer le marché du travail «classique» pour la recommander à qui que ce soit. Par ailleurs, ce dernier est devenu tellement dur et tellement incompatible avec la manière d’être des personnes surefficentes que le seul fait de survivre plus ou moins sur le plan psychique est déjà une réussite majeure. Quant aux entreprises à visage humain dont parle l’auteure et qui seraient compatibles avec les personnes surefficientes, je n’en connais pas une seule.

Il me semble que quand on est une personne surefficiente, il est nécessaire d’apprendre à vivre «en terre étrangère», comme l’écrivait Robert Heinlein (8). Et, comme dans son roman, c’est d’autant plus difficile que, même si nous sommes des aliens, notre différence ne se voit pas. Une autre référence qui me vient est celle de la communauté imaginaire, la Sororité de l’Epée, inventée par l’écrivaine Marion Zimmer Bradley (9). Ce ne sont pas les modèles les plus riants que je connaisse, mais ils correspondent à mon expérience de vie, ils me parlent de la vie de mes amies surefficientes et ils me parlent de la survie dans une société qui n’est à tout le moins pas inclusive quand il n’est pas franchement excluante.

Bref, il s’agit de quelques bémols, de quelques nuances ou de quelques accents mis un peu différemment sur un texte que je ne peux que recommander chaudement à tous les enfants doués, à toutes les personnes surefficientes qui cherchent leur chemin.

(1) http://www.greatpotentialpress.com

(2) Vadim Zeland, Transurfing, Exergue, 2010

(3) Frans Veldman, Haptonomie science de l’affectivité : redécouvrir l’humain, PUF, 2007

(4) Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, American Psychiatric Association, http://www.dsm5.org/Pages/Default.aspx

(5) Voir, par exemple :

http://www.theguardian.com/commentisfree/2014/may/08/misogyny-worse-than-before-internet

http://www.theguardian.com/commentisfree/2014/aug/08/women-misogyny-internet-mary-beard-female-troll

http://motherboard.vice.com/read/the-chilling-effect-of-misogynistic-trolls

(6) J’ai mis quelques références à ce sujet dans l’article suivant :

https://labyrinthedelavie.net/2014/11/02/les-dupont-lajoie-de-la-mysogynie/

(7) Voir, par exemple:

http://www.zdnet.fr/actualites/conflit-linux-adopte-un-code-de-bonne-conduite-39816070.htm

(8) Robert Heinlein, En terre Etrangère, Robert Laffont, 2014, pour l’édition actuelle

(9) Marion Zimmer Bradley, The Saga of the Renunciates, Mass Market Paperback, 2002

Survivre dans le monde professionnel, encore et toujours

Johannes Christiaan Schotel, Storm on the sea, oil on canvas, cira 1825, Teylers Museum, Haarlem
Johannes Christiaan Schotel, Storm on the sea, oil on canvas, circa 1825, Teylers Museum, Haarlem

La majorité des personnes que je connais, celles qui travaillent dans le monde des entreprises, privées ou publiques, doivent faire face à un quotidien très difficile, stressant, usant, et abrasif. Qu’il s’agisse de mesures d’économie qu’on présente comme des initiatives destinées à être un plus pour toutes et tous (vive les mesures dites « d’intégration scolaire »!….), des restructurations, des coupures d’effectifs, des équipes aux effectifs déjà squelettique auxquelles on demande toujours plus, des bouleversements brutaux auxquels il faut faire face, etc., les exemples et les situation sont innombrables. Survivre durablement dans un tel univers est très difficile pour de nombreuses personnes.

Cela l’est encore plus quand nous sommes entouré-e-s de personnalités dites «difficiles», présentant de sérieux troubles de la personnalité (1). Quand on est un être particulièrement sensible, vulnérable à l’injustice, à l’absurde, à la bêtise, à l’aveuglement, c’est encore plus douloureux. Si ces situations réveillent des stress post-traumatiques et des situations d’abus, cela vient aux limites de l’ingérable, à moins d’être extrêmement solide, d’arriver à s’accrocher et de pouvoir se faire aider par quelqu’un de vraiment doué (et respectueux).

Je ne sais pas dans quelle mesure cela peut aider d’autres personnes, mais, dans mon humble expérience, certaines choses peuvent aider à rendre ce quotidien plus vivable. Elles tournent toutes autour de «mobiliser mes ressources au quotidien». Ca n’a rien de confortable. Tous les accrocs qui empêchent cette mobilisation (par exemple un repas de travail le midi qui me prive de ma pause et de mon espace de respiration) se paient. Même en manoeuvrant ma barque avec habileté, il est inévitable que je prenne plus ou moins régulièrement des vagues particulièrement puissantes qui me font boire la tasse. Et après, il faut récupérer. Mais, à condition de faire preuve de persévérance et de fidélité au quotidien, il me semble que cela aide à améliorer doucement la manière dont je vis ce quotidien.

Pour ma part, la méditation traditionnelle ne me sert à rien. Mon mental est bien trop puissant. Pour rentrer en contact avec mon corps, puis avec moi-même, j’ai besoin d’une activité physique comme la marche. Marcher en forêt ouvre mes sens, me fait me sentir en lien avec ce qui m’entoure et m’aide à m’ancrer en moi. Certains enregistrements de relaxation/visualisation peuvent aussi m’aider. Travailler très régulièrement mon processus intérieur, en mettant en mot mon ressenti et en le dessinant m’aide aussi beaucoup à m’ancrer, à revenir à moi-même, à accueillir vraiment ce que je ressens (qui sans cela peut être confus) et à sentir ce que je veux en faire. Je dois aussi être très attentive à ne pas passer mon temps libre n’importe comment, et ceci malgré la fatigue de mon quotidien. Je dois privilégier les activités créatives, celles qui m’aident à me centrer, qui me font toucher de belles choses et vivre de bons moments. Je dois encore faire attention à garder un équilibre qui donne sa place à la légèreté, à la liberté, l’insouciance, au jeu sans enjeu, à l’émerveillement, à la part d’enfance qui est en moi.

Il s’agit bien sûr de ce dont moi j’ai besoin. D’autres auront leurs propres outils qui leur seront adaptés.

Dans mon expérience, une chose qui rend cette pratique difficile à vivre concrètement, c’est ce qui réveille mes stress post-traumatiques et qui me ramène à un passé lointain et horriblement douloureux. C’est bien sûr mon histoire. Mais je constate que de nombreux enfants doués de mon entourage ont quelque chose de comparable dans leur propre parcours de vie. En ce qui me concerne, je n’ai pas trouvé d’autre solution que de prendre ces situations à bras le corps et de les travailler avec une personne qui a déjà fait ce chemin pour elle-même. Même avec les meilleurs outils (EMDR, somatic experiencing, et autres), c’est long. Un traumatisme peut en cacher un autre et je constate que je revisite de nombreux recoins de ma propre histoire dont j’avais oublié jusqu’à l’existence (c’est classique). Je constate aussi que plus j’avance dans ce travail, plus l’autre, celui au quotidien, porte ses fruits.

Avec le temps, je constate aussi que les fruits sont multiples. Je vis mieux (ou moins mal) ce quotidien professionnel toujours aussi difficile. J’ai plus de recul face aux turpitudes de cet univers. Je peux aussi choisir plus efficacement mes luttes, me poser en résistante quand je sens que c’est juste. Je peux mieux (ou, là encore, moins mal) vivre les situations où je sens nécessaire de m’opposer à ma hiérarchie pour des choses qui me semblent essentielles (et ceci quel que soit le résultat final de mes actes). Au moins, j’aurais fait ce que j’ai à faire. Quand je vois le poids de l’ombre qui s’abat actuellement sur le monde, il me semble que tous ces petits actes de résistance sont précieux.

(1) Christophe André, François Lelord, Comment gérer les personnalités difficiles, Odile Jacob, 1996

Notre relation à la nature, peut-être plus compliquée qu’imaginé

Ficus Benghalensis, un figuier étrangleur, photo de Forest & Kim Starr, Wikimedia Commons http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Starr_010420-0095_Ficus_benghalensis.jpg)
Ficus Benghalensis, un figuier étrangleur, photo de Forest & Kim Starr, Wikimedia Commons http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Starr_010420-0095_Ficus_benghalensis.jpg)

 

Pour moi comme pour de très nombreuses personnes, me ressourcer en pleine nature, en particulier en forêt, est essentiel. Les temps que j’y passe me changent. Le seul fait de sentir l’espace, l’air, la lumière, les arbres et les plantes autour de moi, écouter les oiseaux, être juste là, prendre le temps, fait que je me recentre, que je m’ancre. J’ouvre mes perceptions, je me sens en lien avec la nature qui m’entoure. Cela me donne envie d’y rester plus longtemps, d’y revenir, d’y passer bien plus de temps que ce que je peux faire. Le retour au quotidien, en particulier professionnel, est peu agréable même si je me sens revivifiée. Je ne peux que constater le contraste entre cet espace si précieux et mon quotidien si différent.

Pour autant, j’ai du mal quand j’entends des personnes autour de moi, qui vont presque jusqu’à diviniser la nature, tout en diabolisant les êtres humains. Au fond de moi, cela ne sonne pas juste. Nous venons de la nature, nous en sommes une partie. Comment pouvons-nous être si mauvais en venant d’une nature quasi parfaite, ou inversément?

En fait, les êtres qui nous fascinent le plus sont loin d’être toujours des saints selon nos critères moraux, et de loin s’en faut.

Les chimpanzés qui sont si proches de nous peuvent aussi s’entretuer ou tuer un des leurs (pour des raisons qui souvent nous échappent). Il leur arrive régulièrement de chasser d’autres singes et de s’en prendre tout particulièrement à leurs petits, plus faciles à attraper. Même vu à distance dans un reportage, pour moi c’est particulièrement remuant (1).

Nous savons qu’un lion peut dévorer les petits d’une portée qu’il n’a pas produit, mais après tout, c’est un «grand méchant prédateur» dans notre représentation. En fait, certains des animaux que nous trouvons les plus adorables sont autant des prédateurs que les lions et ils peuvent avoir des pratiques tout aussi terribles. En cas de famine, les loutres de mer mâles n’hésitent pas à kidnapper des petits pour obtenir de la nourriture de leur mère (2). Ils ne rechignent pas non plus à abuser sexuellement de bébés phoques jusqu’à les noyer, et à continuer au-delà de leur mort (3). Les dauphins ont les mêmes pratiques entre eux, ils tuent les petits des femelles pour les pousser à redevenir fécondes. Il leur arrive également de tuer des marsoins sans les manger ni faire quoi que ce soit de leurs cadavres (4). Quant un banc de dauphins arrive, même les requins qui nous font frémir se cachent. Des phoques sont également connus pour abuser sexuellement de manchots (5). Je suis sûre qu’on peut trouver bien d’autres cas encore. En passant, les végétaux aussi ont leurs histoires fratricides. Intéressez-vous, par exemple, aux figuiers étrangleurs.

D’aucuns diront qu’il s’agit des lois de la nature, que nous ne devons pas lui appliquer nos critères moraux et qu’elle vit selon des règles qui lui sont propres. Mais cet argument est problématique pour au moins deux raisons:

Sur le plan des faits, cette affirmation ne tient pas la route. Les éthologues ont montré que les grands primates sont extrêmement proches des êtres humains sur le plan de leurs capacités affectives et relationnelles ((6), (7), (8), (9)). Ils sont parfaitement capables d’empathie, de solidarité, de se mettre délibérément en danger pour sauver l’un des leurs, de tenir compte de de l’autre et de sa réaction probable pour moduler leurs propres actions, etc. Les chimpanzés qui peuvent être extrêmement violents sont aussi très doués en matière de réconciliation. Quant à leurs mœurs politiques, elles ressemblent étrangement aux nôtres! Par ailleurs, un certain nombre d’autres mammifères manifestent clairement de l’empathie au moins dans certaines situations.

Ceci signifie qu’on ne peut pas affirmer que la nature et les humains sont deux univers différents régis par des lois différentes. En fait, nous sommes des grands primates très proches des autres, un très grand nombre de nos réactions et de nos actions ressemblent de si près aux leurs qu’on peut dire que nous sommes infiniment plus animaux que nous voulons l’admettre, tout comme les autres animaux, en particulier les mammifères, sont infiniment plus proches de nous que nous ne voulons l’admettre. En d’autres termes, nature et culture ne sont pas complètement disjointes et cela rend les choses très compliquées.

L’autre point est que, si la nature nous est si précieuse comme lieu de ressourcement et de recentrement, c’est qu’elle a pour nous une connotation morale, voire spirituelle. Les peuples premiers parlent de la Terre Mère et cette dernière est infiniment précieuse. Ils nous voient au service de sa préservation, en contraste avec la vision occidentale qui est une vision d’asservissement de cette dernière. Alors il n’est pas indifférent d’y constater des choses qui ressemblent à nos pires turpitudes. Et comment concilier ces dernières avec la valeur spirituelle que représente pour nous la nature?

Pour moi, la pire des choses est le déni de ce problème. Nous sommes des animaux comme les autres, ces derniers sont bien plus proches de nous que nous ne voulons l’admettre et il arrive même à ceux qui nous fascinent le plus d’agir d’une manière qui nous révulse tout autant que nos pires actions. Pour autant, le contact avec la nature et les autres être vivants nous est infiniment précieux, il a pour nous une dimension spirituelle. Dont acte.

Il me semble tout aussi essentiel d’éviter d’utiliser les actes des uns pour justifier ceux des autres et réciproquement. Constater des comportements terribles dans la nature ne justifie en rien la barbarie de certaines de nos actions.

Il y a en moi et en de très nombreuses personnes le souci de préserver la vie et la nature, d’en prendre soin, de l’aider à grandir et à s’accomplir. Cela ne signifie pas approuver ce qui s’y passe de pire, d’où que cela provienne. Mais c’est cette attention intérieure à la vie qui vibre quand je suis au contact de la nature. En prendre soin de manière respectueuse me fait grandir intérieurement. A nous et à nos descendant-e-s d’observer les fruits de nos actes. Sommes-nous capables de prendre soin de nous et d’elle «jusqu’à la 7ème génération» comme le souhaitent les peuples premiers?

(1) David Attenborough, the life collection: http://www.amazon.co.uk/The-Life-Collection-David-Attenborough/dp/B000B3MJ1E

(2) Animals can be giant jerks: http://www.iflscience.com/plants-and-animals/animals-can-be-giant-jerks

(3) The other side of otters: http://news.discovery.com/animals/the-other-side-of-otters.htm

(4) ‘Porpicide’: Bottlenose dolphins killing porpoises: http://www.sfgate.com/news/article/Porpicide-Bottlenose-dolphins-killing-porpoises-2309298.php

(5) Seals accused of sexually attacking penguins: http://www.huffingtonpost.com/2014/11/17/seals-sex-penguins_n_6170770.html

(6) Frans De Waal, Our Inner Ape: The Best and Worst of Human Nature, Granta Books; New edition edition (4 Sept. 2006)

(7) Frans De Waal,The Age of Empathy: Nature’s Lessons for a Kinder Society, Souvenir Press Ltd (1 Oct. 2010)

(8) Frans De Waal, Chimpanzee Politics: Power and Sex among Apes, ohns Hopkins University Press; 25th anniversary edition edition (30 Aug. 2007)

(9) Frans De Waal, The Bonobo and the Atheist: in Search of Humanism Among the Primates, W. W. Norton & Company; Reprint edition (8 April 2014)

Quelle insertion dans le monde professionnel quand on est un être sensible?

Panneau de signalisation, à la croisée du chemin des Laines et du chemin de la Liquière à Ournèze, Daniel Villafruella, Wikimedia Commons
Panneau de signalisation, à la croisée du chemin des Laines et du chemin de la Liquière à Ournèze, Daniel Villafruella, Wikimedia Commons

Faire des études peut être enthousiasmant et de nombreux jeunes, quand ils s’apprêtent à entrer dans le monde du travail ont l’espoir de pouvoir apporter quelque chose. La suite ne leur donne pas toujours raison. C’est difficile de garder espoir quand on se retrouve un petit numéro parmi d’autres et quand on est témoin de relations humaines dans lesquelles le respect mutuel, l’écoute, laisser la personne développer son potentiel sont vu comme des extraterrestres. Quant on est un être particulièrement sensible, c’est l’assurance d’en prendre plein la figure. Christel Petitcollin mentionne que les personnes hyperefficientes «doivent avoir une gestion du stress de premier ordre» (*). Mais cela peut ne pas suffire ou ne pas marcher.

En regardant mon propre parcours de vie à la lumière de celui de personnes de mon entourage, je vois plusieurs manières de faire face à cette situation. Mais je ne suis pas sûre que l’une soit préférable à l’autre.

Une possibilité est d’avoir un job «normal» (ne me demandez pas ce que cela signifie) qui apporte une sécurité matérielle et financière. Si cela permet d’éviter certaines galères (celles qui sont liées au manque d’argent), c’est aussi la quasi assurance d’en prendre plein la figure jour après jour dans un univers professionnel non respectueux. Arriver à digérer et à maintenir son équilibre dans un univers aussi toxique devient une épreuve de chaque jour et consomme une énergie énorme. C’est vrai qu’à l’occasion, on peut avoir quelques actions dans lesquelles nous nous sentons avoir un sens. Mais est-ce que le prix payé en vaut la peine ?

Un autre parcours possible est de prendre un chemin d’indépendant-e, de faire ce qui nous intéresse, d’essayer d’en vivre ou de compléter l’ordinaire par des travaux alimentaires. Les personnes que je connais qui ont entrepris ce parcours ont évité de subir le monde de l’entreprise, son inhumanité et sa perversité. Par contre, elles sont dans une sérieuse insécurité matérielle, ce qui limite leur capacité de créer qu’elle voulaient privilégier. Est-ce que cela en vaut la peine ? Est-ce vraiment mieux?

Il est des personnes pour qui le monde du travail actuel est proprement insupportable. Elles se retrouvent régulièrement sans emploi et c’est très difficile pour elle d’en garder un plus de quelques mois. Les périodes sans emploi les protègent de ce qui leur est insupportable, mais leur insécurité matérielle est encore plus grande.

Christel Petitcollin parle des professions libérales comme d’une piste de choix pour les surefficient-e-s mentaux. Je n’en connais pas qui aient suivi ce chemin. Mais il est vrai que cela peut marcher.

Ce qui me touche et me révolte est que la difficulté des personnes douées à trouver une place dans le monde professionnel est un drame pour tout le monde. C’en est un pour elles, qui aspirent tellement à pouvoir se donner et qui se trouvent rejetées, parfois très violemment, justement en raison de leurs dons et de leurs capacités. C’en est un pour la société qui se prive d’un capital d’innovation, de changement, de modération, d’apaisement qui est très précieux.

(*) Je pense trop, comment canaliser ce mental envahissant, Christel Petitcollin, 2010, Guy Trédaniel