
Quant il est question d’être présent-e à soi-même, à son propre corps, à l’instant présent, nombre d’entre nous pensent à la méditation. Elle est souvent étonnement efficace. Sous la forme de la « méditation de pleine conscience » (1) elle devient même un outil thérapeutique reconnu, et dont l’intérêt est scientifiquement validé, par exemple pour des personnes ayant vécu des épisodes de dépression grave (2).
En ce qui me concerne, elle ne m’a jamais été d’une grande utilité. Peut-être est-ce le fait que « je pense trop » (pour reprendre le titre d’un des livres de Christel Petitcollin (3)), mais mon mental est bien trop puissant pour se laisser calmer facilement. Je ne peux rien prouver, mais je me demande ce que vivent les autres personnes surefficientes mentales. Ont-elles la même difficulté?
Mon parcours de vie m’a aussi montré que, quand mes stress post-traumatiques se réveillent, en plus de mon mental, c’est tout mon corps qui est en alerte, avec une intensité telle que c’est comme si je jouais ma vie. Essayer de méditer pour arriver à me recentrer dans de telles circonstances est voué à l’échec. Visiblement, c’est ainsi que fonctionne un stress post-traumatique (4), donc je ne dois pas être la seule dans ce genre de situation.
J’ai donc dû trouver mes propres outils. Avec le temps, j’en ai adopté quelques uns. La marche en pleine nature, en fait partie. La respiration profonde, lente et liée en fait aussi partie. Parfois ils se combinent (marche en montée). En plus de me ressourcer, c’est particulièrement utile pour revenir à mon corps, à l’ici et maintenant quand je suis particulièrement préoccupée et que mon esprit tourne à toute vitesse. Une autre approche qui marche bien pour moi est tout simplement de m’accueillir et d’écouter ce que je ressens quand je suis trop préoccupée. Etre présente à mon corps est, là aussi essentiel, pour pouvoir « coller » à mon ressenti, l’accueillir et découvrir ce qu’il a à me dire.
Coller à son corps pour prendre conscience et mettre en mots son ressenti, c’est exactement ce que propose le focusing ((5), (6), (7)). Eugene Gendlin a créé ce terme pour décrire ce que faisaient ses client-e-s qui évoluaient le plus dans leur chemin thérapeutique. Il recouvre la manière dont ces derniers se centrent sur leur ressenti corporel pour découvrir, accueillir, puis mettre en mots leur ressenti intérieur. Depuis, cette méthode a largement fait ses preuves comme outil thérapeutique qui a l’avantage de rendre les personnes très autonomes et efficace dans l’observation au quotidien de ce qui se passe en elles dans les situations qu’elles vivent mal (ou bien) ((8), (9), (10)).
Dans mon expérience, avancer sur mon chemin personnel en accueillant mon corps et mes « ressentis corporels » (11) est non seulement un outil thérapeutique, mais c’est aussi un outil qui me permet de revenir à moi, à mon corps, à l’instant présent et souvent, à une bien plus grande paix intérieure. Et il est d’autant plus lié aux autres « outils » de centrage qu’accueillir mes ressentis passe par une respiration lente et profonde, souvent liée….
S’esquisse alors une autre voie que la méditation conventionnelle, que je pourrais appeler la « voie des fortes têtes », faite de suivi de sa propre expérience, de contact avec la nature, avec son corps et avec son ressenti corporel et intérieur.
Je m’en voudrais de comparer une voie à une autre. Je constate simplement que cette dernière me convient et qu’elle me convient d’autant mieux qu’elle résulte du chemin que tracent mes pas, comme dans le poème d’Antonio Machado (12).
Voyageur, le chemin
C’est les traces de tes pas
C’est tout; voyageur,
il n’y a pas de chemin,
Le chemin se fait en marchant
Le chemin se fait en marchant
Et quand tu regardes en arrière
Tu vois le sentier que jamais
Tu ne dois à nouveau fouler
Voyageur! Il n’y a pas de chemins
Rien que des sillages sur la mer.
(1) Jon Kabat-Zinn, Full Catastrophe Living (Revised Edition): Using the Wisdom of Your Body and Mind to Face Stress, Pain, and Illness, Bantam, Revised and Updated edition, 2013
NB: il existe une traduction française, mais sa qualité est très vigoureusement contestée
(2) kuyken, Hayes, Barrett et al, Effectiveness and cost-effectiveness of mindfulness-based cognitive therapy compared with maintenance antidepressant treatment in the prevention of depressive relapse or recurrence (PREVENT): a randomised controlled trial, The Lancet, April 21, 2015, http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(14)62222-4/abstract
(3) Christel Petitcollin, Je pense trop, Guy Trépaniel, 2010
(4) Peter A. Levine Phd., In an Unspoken Voice: How the Body Releases Trauma and Restores Goodness, North Atlantic Books, 2010
(5) Eugene Gendlin, FOCUSING – Au centre de soi, Editions de l’homme, 2006
NB : voir aussi : https://www.youtube.com/results?search_query=focusing+eugene+gendlin
(6) Bernadette Lamboy, Trouver les bonnes solutions par le focusing : A l’écoute du ressenti corporel, Le Souffle d’Or, 2009
(7) Bernadette Lamboy, Devenir qui je suis : Une autre approche de la personne, Desclée de Brouwer, 2003
(8) Marion N. Hendricks, Ph.D, Focusing-Oriented/Experiential Psychotherapy, In Cain, David and Seeman, Jules (Eds.) Humanistic Psychotherapy: Handbook of Research and Practice, American Psychological Association, 2001. http://www.focusing.org/research_basis.html
(9) Robert Elliott & Elizabeth Freire, Person-Centred/Experiential Therapies Are Highly Effective: Summary of the 2008 Meta-analysis, http://www.pce-world.org/about-pce/articles/102-person-centredexperiential-therapies-are-highly-effective-summary-of-the-2008-meta-analysis.html
(10) Focusing : http://www.healthline.com/natstandardcontent/alt-experiential-therapy#1
(11) traduction que je trouve maladroite de l’expression anglaise « felt sense »