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Quand la tempête s’apaise

The Llangernyw yew tree, Llangernyw, Conwy, Wales, source: wikimedia commons,  Cet arbre est un tout jeune if qui n'a QUE 4000 ans!
The Llangernyw yew tree, Llangernyw, Conwy, Wales, source: wikimedia commons,
Cet arbre est un tout jeune if qui n’a QUE 4000 ans!

Quand une personnes est en grande souffrance intérieure, il est essentiel pour elle de trouver un soulagement aussi vite que possible. Entretemps, il lui faut tenir et cela lui demande toutes ses forces. Plus vite, elle sera libérée de ce qui l’entrave, mieux ce sera. Plus la douleur est grande, plus court est le terme sur lequel elle peut se projeter. Tenir un jour est déjà difficile. Mais il est des traumatismes qui ne se guérissent pas du jour au lendemain. C’est pire encore quand la personne a reçu une accumulation de traumas, de transmissions familiales mortifères et de bien d’autres choses encore.

Dans un pareil contexte, tenir jour après jour, semaine après semaine est déjà une gageure. Le chemin est d’autant plus désespérant qu’il est long et qu’il ressemble à une succession de tempêtes, toutes aussi lourdes à traverser les unes que les autres. Dans un pareil contexte, il faut du cran pour tenir. Il faut aussi de la force, une force qui parfois nous pousse à avancer presque malgré nous et certainement malgré la douleur. Dans ce genre de circonstances, trouver la bonne personne et se faire aider par une personne particulièrement empathique, respectueuse, mais aussi expérimentée peut littéralement être vital.

A force de ténacité, de travail, de temps, de chercher son chemin de tout son coeur, de toute son âme et de toutes ses forces, à force de travailler avec des personnes réellement aidantes, à force d’avancer pas à pas, il vient un moment où la tempête s’apaise. Dans un premier temps, ce sont juste des petites accalmies durant lesquelles elle est un peu moins forte. Avec le temps, ces accalmies prennent de l’ampleur. Elles durent plus longtemps, elles sont plus amples.

Il vient un moment où la vie est plus facile. Tout n’est pas réglé, bien sûr. Est-ce que cela le sera un jour? Il y a encore des moments difficiles. Mais dans quelle vie n’y en a-t-il pas? Quoi qu’il en soit, la vie ne se réduit plus à une lutte perpétuelle. Elle a des bons moments, des moments de paix et de sérénité, des moments de repos, des moments de présence à soi-même, des moments de bonheur, des moments de liens avec ce que nous sentons de « plus grand que nous ».

Ces moments de paix et de sérénité nous permettent de nous retourner et de contempler notre trajectoire de vie. Au début, ça n’est pas facile. « Je sais, mais il y a encore tant à faire! Il y a urgence! » Mais, néanmoins, nous trouvons de plus en plus l’occasion de porter ce regard sur notre chemin. Au début, cela peut être juste un soulagement passager. « Ouf, le pire est, peut-être, derrière ! Mais il reste beaucoup à faire ! » Avec le temps, ce soulagement prend lui aussi de l’ampleur. « Oui, c’est mon passé. Il me semble que j’en sors doucement et que je vis autre chose de quand même mieux aujourd’hui ». Plus tard, cela peut devenir « Wow, quel chemin j’ai fait ! Je peux légitimement être fière de moi ».

Ce moment là peut nous permettre de faire plusieurs expériences.

La première est l’expérience incarnée de la puissance de la vie et plus précisément de la puissance de notre vie, dans notre corps et dans tout le chemin que nous avons parcouru. Ca n’est pas la puissance du bulldozer qui bouleverse tout d’un coup, mais plutôt celle de l’arbre qui continue à grandir, millimètre après millimètre, mois après mois, année après année, décennie après décennie, siècle après siècle. Et il faut vivre le passage du temps pour faire cette expérience concrètement.

La deuxième c’est que, quand on est dans la lutte (et cela peut être absolument vital), on est tellement dans l’instant présent que nos perspectives sont dans l’immédiat. Tout ce qui en sort semble irrémédiablement hors de portée. Or, certains aspects de la croissance des êtres humains prennent des années voire des décennies à s’incarner. Il faut, là encore, faire l’expérience de traverser ce chemin pour sentir que le fait de ne pas pouvoir résoudre quelque chose tout de suite n’est pas nécessairement dramatique. Il y a un demain, un après demain, un après-après demain et ainsi de suite. Et nous n’avons pas d’autre moyen que de faire le chemin au fur et à mesure des années puis des décennies pour acquérir cette expérience intérieure.

La troisième est que même si nous venons dans ce monde avec des choses très lourdes (abus, maltraitances graves, secrets de familles, traumatismes de guerre, etc.), nous ne sommes pas nécessairement condamné-e-s dès le départ et prédestiné-e-s à finir dans ce même état. Nous pouvons choisir notre destin et nous libérer de beaucoup de choses. Cela exige un engagement total dans la durée. Mais c’est possible. Ce faisant, nous faisons l’expérience Qu’il n’y a pas de chemin tout tracé. Il n’y a d’autre chemin que celui que nous traçons en marchant et que plus jamais nous ne referons….

Le poème d’Antonio Machado est magnifique (1), mais pour moi, il est aussi très profond. Nous libérer de nos entraves peut prendre beaucoup de temps, et peut-être que cela n’est jamais achevé. Mais, néanmoins, nous pouvons danser notre vie telle que nous la sentons, et suivre le rythme et les pas qui prennent naissance dans notre coeur et notre corps.

(1) Faute d’une édition bilingue que je cherche toujours, une traduction que j’espère au moins correcte est celle-ci : http://www.poesie.net/macha4.htm