De l’importance des doryphores en matière d’éthique

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Un doryphore, source Wikimedia Commons

Les préoccupations éthiques sont importantes pour de nombreuses personnes. Pour une majorité d’êtres humains, se conformer aux règles du groupe auquel ils appartiennent suffit (1). Certains n’ont même pas cette préoccupation. D’autres sont considérablement plus exigeants avec eux-mêmes.

Pour ces personnes, il est essentiel de tout faire pour ne pas faire de mal aux autres humains, voire aux autres êtres tout court. Ces personnes se préoccupent de stimuler la vie et d’accompagner son développement, chacune a sa façon.

Mais être fidèle à cette exigence intérieure est souvent plus difficile qu’il n’y parait. Nos actions ont des conséquences à moyen et à long terme qu’il n’est pas toujours aisé de discerner. Avec la meilleure volonté du monde, nous pouvons nous tromper et mal comprendre une situation et ses enjeux. Même les êtres qui ont les plus hautes exigences éthiques ont leurs limites, qu’il s’agisse de leurs aprioris culturels, de leurs valeurs, de leurs préconceptions, ou tout simplement de leur besoin de sécurité et de se protéger.

Les difficultés sont parfois plus cachées, ou faciles à ignorer pour des personnes qui ne sont pas sans cesse confrontées aux contraintes de leur environnement matériel. Dans l’une de ses chroniques (2), la nonne bouddhiste zen Joshin Luce Bachoux nous rappelle que la simple culture de notre nourriture nous demande de sacrifier d’autres êtres pour pouvoir nous nourrir.

Dans cette chronique, elle nous rappelle que, pour porter ses fruits, la culture d’un jardin potager implique l’élimination de nombreux insectes (voire des petits rongeurs) qui mangent voracement les plantes que nous entendons cultiver à notre profit. C’est ainsi que, pour avoir des pommes de terre, il faut commencer par tuer tous les doryphores qui s’y attaquent. Aller les acheter au magasin ne fait que déléguer cet acte à d’autres.

En d’autres termes, il ne suffit absolument pas d’être végane pour ne faire aucun mal aux autres êtres vivants. Nous devons tuer des animaux pour faire pousser les plantes et les champignons dont nous entendons nous nourrir. Par ailleurs, ces mêmes plantes et champignons n’ont pas voix au chapitre et sont considérées comme des nourritures légitimes même par les personnes véganes (3). La seule manière d’arriver à ne nuire à aucun être vivant est de ne pas naître. Mais aussitôt que nous vivons, notre simple survie implique que d’autres êtres meurent, et nous devons trouver une manière de vivre avec cette part de la réalité.

Certains vont essayer de vivre le plus simplement et le plus frugalement possible, pour que l’empreinte de leurs pas sur cette terre soit la plus légère possible. Ils vont néanmoins devoir faire avec les contraintes de la société qui les entoure.

Il faut aussi noter que même les peuples dits « premiers » qui vivent très frugalement et d’une manière infiniment plus harmonieuse avec la nature que ne le font les sociétés technologiques, ont aussi des moments de très grandes fêtes communautaires durant lesquelles une quantité considérable de ressources sont consommées (4). Ceci nous indique aussi que nous devons faire avec ce que c’est que d’être un être humain et que très rares sont les personnes qui peuvent vivre une existence de parcimonie extrême sans la rompre au moins de temps à autre.

Prendre soin de la vie et d’autres êtres constitue pour les personnes qui s’engagent dans cette voie, une manière d’agir encore plus importante que la simplicité et la frugalité (pour autant qu’elles aient assez de succès à leurs propres yeux). Elle leur donne la satisfaction de ne pas vivre en vain et, indirectement, la conscience que les êtres qui sont morts pour qu’elles-mêmes vivent ne sont pas non plus morts en vain.

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Jospin Luce Bachoux, Tout ce qui compte en cet instant

(1) Kohlberg, L. (1964). Development of moral character and moral ideology. In M. L. Hoffman & L. W. Hoffman (eds.), Review of child development research (Vol. I, pp. 381-431). New York: Russell Sage Foundation

A lire avec:

Gillian, C. (1993). In a different voice: Psychological theory and women’s development. Cambridge, MA: Harvard University Press

(2) Luce Joshin Bachoux, Le doryphore et nous, Tout ce qui compte en cet instant – le journal de mon jardin zen, Desclé de Brouwer, 2009

(3) Il faut quand même noter que plus nous consommons directement des végétaux et des champignons, moins nous avons besoin de surface pour satisfaire nos propres besoins et plus il y en a pour les champignons, végétaux et animaux sauvages. Encore faut-il que la population humaine cesse d’exploser, voire se réduise notablement.

(4) Dans certaines cultures, on parle de « poltlatch », cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Potlatch_(anthropologie)

 

 

 

De l’action, de la grâce et des frottements que nos parcours de vie divergents engendrent

 

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Kyoto, Kinkaku-ji temple, Golden pavilion ; source: Raymond Ostertag via wikimedia commons

 

Les humains ont des parcours de vie divers, pour ne pas dire divergents. Les expériences clefs qu’ils y font, les réponses à leurs questions existentielles qu’ils en retirent sont tout aussi divergentes. Et il nous est parfois difficile d’entendre que d’autres obtiennent ou tirent des réponses profondément différentes des nôtres. Cela provoque de nombreux frottements qui peuvent mettre à mal même les relations que nous avons avec des personnes qui nous sont très chères.

Le conte qui suit, illustre l’une de ces questions, à savoir celle qui traite l’importance de prendre sa vie en main et de « changer ce qu’il y a à changer » ou, au contraire de « laisser faire » et de s’en remettre à « plus grand que soi ».

« Tout là-bas, au fond de la montagne, il neige. Le silence du monastère est soudain troublé par un chuchotement, puis une discussion qui tourne à la vraie dispute. Le supérieur voit apparaître deux petits moines tout agités. Il les fait asseoir devant lui, leur donne un peu de temps pour se calmer, puis leur demande la raison de tout ce bruit. Le premier dit : « Maître, n’est-il pas vrai que tout ce qui vit, tout ce qui existe doit tout à la grâce? Nous sommes si fragiles : sans nous en remettre à la grâce, comment pourrions-nous chaque jour avancer sur le chemin du cœur ? »

« C’est vrai » répond le Maître.

« Mais, permettez-moi, Maître, intervient le deuxième petit moine, encore un peu rouge. C’est à nous qu’il appartient de choisir la direction de notre vie : la grâce peut-elle alors apparaître autrement qu’à travers nos efforts, notre application ? »

« C’est vrai », répond le Maître.

Alors un troisième petit moine, qui était resté jusque-là un peu caché dans un coin, toussota et dit: « Maître, je ne comprends pas. Vous avez dit ‘c’est vrai’ au premier puis ‘c’est vrai’ au second qui disait le contraire ? »

« C’est vrai » répond le Maître.

 

Source: Joshin Luce Bachoux, Trois petits moines sous la neige dans: Tout ce qui compte en cet instant – journal de mon jardin zen, Editions Points, 2009 pour l’édition originale.

 

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Jospin Luce Bachoux, Tout ce qui compte en cet instant

 

Ma propre place dans cette dispute-là est claire. Je suis une guerrière et je ne serais plus de ce monde depuis de nombreuses années s’il en avait été autrement. J’ai appris à me prendre en main, à changer ma vie, à aménager ou transformer tout ce qui devait l’être afin de la rendre supportable, puis de mieux en mieux. C’était une question de survie et tout mon parcours de vie est traversé par cette dynamique. Les partages avec les personnes qui sont plus dans une dynamique de « lâcher-prise » et de « laisser-faire » sont loin d’être toujours simples et les incompréhensions qui en résultent peuvent induire une distance dans une relation. D’autres questions encore plus sensibles, voire douloureuses, comme celles relatives au sens de nos vies peuvent induire des conflits bien plus profonds et plus vifs.

Les enjeux peuvent être encore beaucoup plus important dans le cadre d’une relation thérapeutique, quand la personne aidante et la personne aidée ont des réponses divergentes à ces questions, que la personne aidante a du mal à entendre et à prendre en compte cette divergence, qu’elle cherche à plaquer ses propres réponses sur le parcours de vie de la personne qu’elle accompagne et que cette dernière est encore trop fragile et dépendante pour recadrer la personne qui l’accompagne ou pour aller voir ailleurs. C’est également vrai de toutes les autres formes de relations qui contiennent une forme de dépendance.

Mais comment faire pour bien vivre ensemble et pour intégrer le caractère divergent de nos parcours de vie ? C’est là où ce conte me semble apporter quelque chose de précieux. L’attitude du Maître favorise un peu de recul par rapport à nos parcours de vie, par rapport aux vérités que nous avons parfois très chèrement gagnées. Ce conte nous rappelle que le parcours de l’autre est, justement, autre. Il est possible qu’il ne nous corresponde pas du tout, ce qui est légitime. Cela ne signifie pas pour autant qu’il ne soit pas précieux et signifiant pour cet autre que nous croisons. Cela peut aussi nous inciter à faire preuve de retenue et de prudence dans la manière dont nous partageons nos expériences et nos convictions les plus profondes.

 

 

Pour que nos images ne dorment plus dans nos tiroirs ou nos disques durs!

L’été est souvent l’occasion de faire du tourisme et, de nombreuses photos dont nous espérons toutes et tous qu’elles sauront réveiller notre émerveillement au moment où nous les regarderons à nouveau. Il se trouve que cet objectif n’est pas toujours atteint et que nos images s’accumulent et dorment dans nos disques durs sans que nous ne les regardions plus qu’une ou deux fois après qu’elles aient été prises.

Prendre des photos qui savent nous toucher et nous émouvoir est un art et un métier, celui du photographe. Cet art est largement décrit dans de nombreux ouvrages qui ont pour but de nous aider à faire de meilleures images. S’ils sont bien faits, ils sont aussi agréables à lire et à regarder pou eux-mêmes, ce qui les rend d’autant plus précieux.

Voici un petit choix d’ouvrages que j’ai croisé au hasard de mes pérégrinations. Il est totalement subjectif et personnel. Mais j’espère qu’il puisse profiter à d’autres, qu’il saura vous émerveiller et vous inspirer dans vos propres créations.

 

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Michael Freeman, The Photographer’s Eye: Composition and Design for Better Digital Photographs, EIlex, juin 2007

Cet ouvrage couvre toutes les bases de la composition d’images appliquées à la photographie

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Bryan Peterson, Bryan Peterson’s Understanding Composition Field Guide: How to See and Photograph Images with Impact, Amphoto Books, 2012

Cet ouvrage est plus pratique et plus « instinctif » que le premier, ce qui en fait un bon complément.

 

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Bryan Peterson, Understanding Exposure, Fourth Edition: How to Shoot Great Photographs with Any Camera, Amphoto Books, 2016

Ouvrage superbement illustré qui complète les précédents en abordant le sujet tout aussi important du réglage de l’exposition lorsque nous prenons une photo. Bryan Peterson a été formé « à l’ancienne » sur des appareils argentiques et il s’efforce de tout faire, en mode manuel, au moment de prendre une image. Ceci nécessite des boitiers qui permettent au photographe de jongler très rapidement entre vitesse, diaphragme, sensibilité et balance des blancs. Si cela ne pose pas de problème avec des boitiers faits pour les professionnels, les personnes qui disposent de matériel plus « grand public », plus abordable financièrement, devront faire leurs expériences et peut-être conserver certains automatismes quitte à « jouer » un peu plus avec leurs images au moment de leur traitement sur ordinateur.

 

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Denis Dubesset, Les secrets de la macro créative, Techniques – Composition – Esthétique, Eyrolles, 2016.

La macrophotographie nous permet de porter notre attention sur ce qui nous entoure et de nous émerveiller de « petites » choses que nous voyons à peine dans nos quotidiens trop pressés. Cela en fait un pratique précieuse et cet ouvrage est très bon.

 

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Gildas Lepetit-Castel, Les secrets de la photo de rue, Approche – Pratique – Editing, Eyrolles, 2015.

Voici une autre pratique fascinante qui peut se faire depuis notre pas de porte et nous permettre de porter un regard neuf sur l’environnement que nous croyons connaître. C’est aussi un art qu’il est possible de pratiquer sans dépenser des dizaines de milliers d’euros (ou de francs).

 

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Bernard Duc, L’Art de la composition et du cadrage : Peinture, photographie, bandes dessinées, publicité, 1992 (épuisé, à chercher sur internet ou chez les marchands de livres de seconde main)

Ouvrage très connu, plus général (il ne couvre pas que la photo), très agréable à lire et fort bien fait, mais plus difficile à trouver

 

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Marco Bussagli, Comment regarder le dessin – histoire évolutions et techniques, Hazan, 2012

Là, on revient aux bases, le dessin. Ouvrage très visuel et fort bien fait.

J’espère que ces ouvrage sauront vous émerveiller, nourrir votre besoin de beauté, et, qui sait, vous aider à créer des images que vous aurez plaisir à partager largement autour de vous.

 

Un petit bilan au cœur de l’été?

 

 

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Christel Petitcollin, Scénario de vie gagnant, Jouvence, 2003

 

L’été est souvent dédié au repos et au farniente. Mais il peut aussi être l’opportunité de se ressourcer et de refaire un petit point de situation sur son parcours de vie.

Christel Petitcollin a publié aux éditions Jouvence un petit ouvrage intitulé « scénario de vie gagnant ». Inspirée par l’analyse transactionnelle, elle reprend quelques scénarii de vie typiques qui peuvent entraver le plein épanouissement des personnes. Elle traite en particulier des scénarii sans joie, sans amour et sans raison.

Il y a d’autres scénarii qui peuvent entraver le plein développement des personnes. Je pense en particulier aux scénarii sans intégrité, sans combativité, sans créativité ou sans beauté. Mais il n’en demeure pas moins que les scénarii qu’elle traite sont centraux dans la vie des êtres humains.

Bref (94 pages), compact, se lisant facilement, cet ouvrage peut être l’opportunité d’un petit point de situation sur nos parcours de vie pendant la pause estivale.

Bel été!

 

 

Se réveiller au milieu d’un champ de bataille

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Image créée par une lectrice du Monde et diffusée sur les réseaux sociaux. Source: http://start.lesechos.fr/actu-entreprises/technologie-digital/attentat-a-nice-solidarite-et-hommages-sur-facebook-et-twitter-5274.php

 

7 juin 2016, Istanbul, 11 morts.

9 juin 2016, Tel-Aviv, 4 morts.

12 juin 2016, Orlando, 49 morts et 53 blessés.

13 juin 2016, Magnanville, 2 mort.

27 juin 2016, Al-Qaa, Liban, 5 morts et 28 blessés.

28 juin 2016, Istanbul, 45 morts et 239 blessés.

30 juin 2016, Djakan, Cameroun, plus de 10 morts.

2 juillet 2016, Dacca, Bangladesh, 20 morts.

3 juillet 2016, Bagdad, 292 morts et plus de 200 blessés.

4 juillet 2016, Médine,  4 morts et 4 blessés.

5 juillet 2016, Hassaké, Syrie, au moins 16 morts et 40 blessés.

14 juillet 2016, Nice, plus de 84 morts.

12 massacres en un mois et demi.

Source: https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_d%27attaques_terroristes_islamistes#2016

 

Que nous le voulions ou non, nous nous réveillons sur un champ de bataille. Pire encore, nombre des criminels qui ont commis ces horreurs sont natifs du lieu où elles ont été commises.

Nous pensions vivre en paix, et nous nous retrouvons, très vulnérables, dans monde devenu terriblement fragile. Même si je n’ai pas été directement victime de ces horreurs, je me sens touchée et concernée, comme des dizaines de millions d’autres personnes qui aspirent avant tout à vivre paisiblement.

 

Après l’attentat de Nice, le psychiatre Boris Cyrulnik a considéré que nous sommes confrontés à une situation dans laquelle nous sommes sommés de faire preuve de résistance [1].

Un autre apport qui me semble pertinent est un article de Rebecca Traisler qui fait remarquer que, en tout cas pour ce qui concerne les massacres commis en Europe et aux États-Unis, les criminels qui les ont commis ont ceci en commun qu’ils ont tous commencé par pratiquer abondamment les violences domestiques avant d’aller plus loin [2]. J’espère de tout mon cœur que les états et les services de sécurité entendront le message et cesseront de traiter ce genre de violence avec la légèreté et la négligence dont ils font preuve actuellement.

Dans une situation de résistance telle que la nôtre, il ne fait aussi guère de doute que les états vont continuer à renforcer les mesures de contrôle et de prévention, en espérant que ces dernières portent leurs fruits. Certaines personnes exigent qu’on arme les populations. Qu’on l’espère où qu’on le craigne, c’est probablement juste une question de temps, et de l’attentat de trop. L’appel d’un ministre français à ses concitoyens « pour qu’ils rejoignent les réserves stratégiques » [3] va dans ce sens.

Et que faisons-nous individuellement ? En Suisse, il semblerait que le nombre de permis d’achat d’armes ait augmenté de 20% et que ce soit plus ou moins directement lié à la situation en Europe, même si la Suisse n’a pas été victime d’attentats [4].

Quoi que nous fassions, ou ne fassions pas, il me semble essentiel de tout faire pour éviter de « tomber du côté obscur de la force » et pour ne éviter de perdre ce qui nous est essentiel. En des temps aussi troublés, c’est plus facile à dire qu’à faire.

Il y a quelques mois, je suis tombée par hasard sur un texte de la nonne zen Joshin Bachoux qui a été confrontée directement à cette situation dans le quartier où elle vit à Paris. Que faire pour nous qui ne sommes ni policiers, ni juges, ni agents de renseignements, ni soldats?

Sa réponse à elle n’est pas d’agir ou de ne pas agir.  Elle est d’un tout autre ordre, elle parle de « Tourner sa lumière vers l’intérieur et voir clairement sa véritable nature » [5]. En d’autres termes, il est question de prendre le temps de revenir régulièrement en son centre, de rester présent-e-s à nous-mêmes, de nous nourrir de ce qui nous est essentiel, de tout faire pour préserver et faire grandir notre propre lumière, qui nous sommes au plus profond de nous-mêmes. Pour Joshin Bachoux, cela passe par la méditation et par Zazen. Pour d’autres, le chemin sera tout autre. Ne pas oublier de rire, l’expression créative et artistique, la contemplation de la beauté peut être particulièrement important pour de nombreuses personnes.

Si nous arrivons à faire en sorte que notre manière d’être et ce que nous faisons soient teintés de cette lumière qui émane du plus profond d’entre nous, l’essentiel pourra être préservé.

 

[1] http://www.rts.ch/la-1ere/programmes/tout-un-monde/7865307-tout-un-monde-du-15-07-2016.html#7865306

[2] http://nymag.com/thecut/2016/07/mass-killers-terrorism-domestic-violence.html

[3] http://www.liberation.fr/france/2016/07/16/appel-de-bernard-cazeneuve-a-rejoindre-la-reserve-operationnelle_1466624

[4] http://www.rts.ch/info/suisse/7375099-hausse-des-demandes-de-permis-d-achat-d-armes-dans-douze-cantons.html

[5] http://www.larbredeleveil.org/lademeure/spip.php?article58 . Pour sa rédaction, elle s’est elle-même aidée de : http://www.lionsroar.com/koans-for-troubled-times/

 

Après la NDE … la lessive !

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Anita Moorjani, Revenue guérie de l’au-delà, une NDE m’a sauvée, J’ai lu, 2015

 

Ce titre un brin provocateur fait référence à un ouvrage connu de Jack Cornfield (1). Et ce dont il parle peut aussi être vrai pour les personnes qui ont vécu une « expérience de mort imminente », ou NDE en anglais (« near death experience »). Quand elles en parlent, les personnes qui ont vécu un tel moment relatent quelque chose qui est de l’ordre d’une expérience qui a complètement changé leur vie et aussi leur perception de cette dernière. Alors l’analogie est peut-être plus légitime qu’il n’y parait.

Le plus ou moins « hasard de la vie » (plutôt plus ou plutôt moins selon votre propre système de croyance) a fait que je suis tombée sur une vidéo d’Anita Moorjani il y a quelques mois (2), vidéo où elle raconte sa propre expérience aux portes de la mort et ce qu’elle en a retiré. Cette vidéo m’avait d’autant plus touchée que j’ai senti son auteure parfaitement sincère, intègre et aussi très concrète. Ça n’est pas du tout quelqu’un que j’ai senti « planer » à quelque moment que ce soit. Pour moi, c’est précieux.

Depuis, j’ai fini par lire son témoignage (3). En le lisant, et en écoutant la voix de l’auteure, j’ai ressenti les mêmes qualités. J’ai à nouveau entendu une personne entière, intègre, très vivante, sensible et humaine. Une fois encore, alors même qu’elle a vécu une expérience qui a formidablement étendu sa conscience, à aucun moment je ne la sens planer de quelque manière que ce soit.

Au contraire, la sagesse qu’elle en a retirée et qu’elle partage aujourd’hui est très simple et très concrète, ce qui ne veut pas dire qu’elle est facile à vivre et à incarner par tout un chacun. Elle parle de la nature lumineuse et de la magnificence des humains, du fait que nous sommes tous, quand nous sommes pleinement centrés, rayonnants d’amour et de bienveillance. Elle parle du caractère essentiel de s’aimer vraiment soi-même pour pouvoir aimer les autres et leur donner qui nous sommes vraiment. Elle parle d’avoir foi en sa propre puissance et d’avoir une sécurité intérieure telle que, quand nous n’avons plus peur de rien, nous pouvons donner notre pleine mesure. Elle parle de l’importance de suivre sa propre voie, sans en faire une vérité pour les autres, et de celle de ne pas trop se prendre au sérieux et de ne pas oublier d’avoir du bon temps.

Son témoignage m’a touchée, tant par son contenu que par sa forme, et je ne peux que vous suggérer de le lire. Vous verrez bien ce que vous en retenez, qui est pertinent pour vous et votre vie. S’agissant d’un livre de poche qui a des chances d’être aussi disponible en bibliothèque, ceci devrait être accessible à de très nombreuses personnes.

En ce qui me concerne, les deux choses qui m’ont le plus touchée et interpelée, sont ce qu’elle dit au sujet de l’importance de s’aimer soi-même et de celle de ne plus avoir peur de rien pour oser vivre sa vie. Ce sont celles qui me posent le plus de difficulté.

 

 Même après de nombreuses années de travail sur moi, je ne peux pas dire que je m’aime, tout au plus que je me respecte et que j’apprécie le chemin que j’ai parcouru. Quant à n’avoir peur de rien…. Et j’ai pertinemment conscience de ne pas être la seule !

Que ce soient les personnes qui ont subi de graves carences affectives, celles qui ont subi de lourds traumatismes (les carences sont des traumatismes), celles qui sont des « surefficientes mentales » ou des « zèbres » (pour reprendre le langage de Christel Petitcollin ou celui de Jeanne Siaud-Facchin), les personnes qui ont une grande difficulté à avoir confiance en elles, en ce qu’elles portent et même ce qu’elles ressentent sont légion.

A défaut de remède miracle, je constate que Mme Moorjani a vécu la même difficulté dans sa vie, tiraillée qu’elle était entre les cultures indiennes chinoises et occidentales, et ayant vécu dans un univers où elle était essentiellement destinée à répondre aux attentes des autres et à les satisfaire.

Mais plutôt que de proposer à tout un chacun de faire sa propre NDE, suggestion qui, vous en conviendrez comporte quelques risques que tout le monde n’est pas prêt à assumer, je vous propose plutôt un tout petit outil qui se rapproche plus de notre quotidien et de la lessive (pour reprendre le titre de cet article), en nous proposant de nous affirmer même quand nous manquons de confiance en nous ! (4)

 

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Yves, Alexandre Thalmann, S’affirmer même si on manque de confiance en soi, SOLAR, 2015

 

(1) Jack Kornfield, Après l’extase, la lessive, Pocket, 2010

(2) https://www.youtube.com/watch?v=rhcJNJbRJ6U

(3) Anita Moorjani, Revenue guérie de l’au-delà : Une NDE m’a sauvée, J’ai Lu, 2015.

(4) Yves-Alexandre Thalmann, S’affirmer même si on manque de confiance en soi, Editions Solar, 2015

 

Changement climatique: le vertige de l’abime?

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Climate campaign slogan – « Climate Chaos Who is to Blame » on Columbus Monument, Barcelona, source: wikimedia commons

 

Dans le cadre de son journal du matin du 10.05.16, la radio Suisse Romande interviewait Dominique Bourg, professeur ordinaire à l’Institut de Géographie de l’Université de Lausanne (1), membre du Comité de veille écologique de la Fondation Nicolas Hulot et d’un certain nombre d’autres organisations qui se préoccupent de l’environnement. Il est également auteur et coauteur de plusieurs livres sur ce même thème.

Le sujet de ce matin était les suites de la conférence COP21 à Paris qui a abouti au fait qu’un très grand nombre de pays se sont mis d’accord sur un objectif de limitation de la hausse de la température moyenne à 1.5 degré, accord qui a déjà été signé par plus de 150 pays.

Durant son intervention ((2), (3)), il a mentionné que le contenu de l’accord de la COP21 est la cerise d’un gâteau (les mesures concrètes et le financement) dont même la couche de fond manque encore. Non seulement les états ne se mobilisent pas pour faire avancer concrètement les choses, mais ils contribuent plutôt à les dégrader encore plus en envisageant des accords comme le projet d’accord TAFTA qui sont susceptibles de mettre en danger ce qui existe en matière de protection de l’environnement. Ce qu’on constate aussi, c’est que la fréquence des pétitions concernant les urgences environnementales et la destruction du peu qui reste des forêts primaires (voir, par exemple (4)) n’a pas diminué d’un seul iota.

Autre problème clef, même si le film « demain » (5) est enthousiasmant et s’il montre une minorité de personnes convaincues et très actives, la majorité des peuples d’occident est loin de se mobiliser. Dominique Bourg estime que la population suisse contient environ 30% de personnes climatosceptiques qui sont sourdes à toute information ou tout message mobilisateur. Quant au 70% qui reste, il est composé pour l’essentiel de personnes qui restent passives. Il ajoute que tant que le danger ne sera pas concret cette majorité de personnes n’est pas susceptible de se mobiliser, d’agir par elle-même et de faire pression sur ses politiques pour que ces derniers prennent enfin leurs responsabilités. Le drame, c’est qu’avec un mécanisme comme le réchauffement climatique, le jour ou le danger sera concret et à notre porte, il sera beaucoup trop tard. Les conséquences seront bien plus lourdes et se feront sentir pendant bien plus longtemps.

Pour ma part, je crains que cet observateur avisé ne soit très lucide.

En remontant l’information à partir de cet interview, je suis tombée sur un article daté de 1967 et que je ne peux que qualifier de « prophétique ». Il s’agit de « The Historical Roots of Our Ecologic Crisis » de Lynn White, Jr. publié dans le très prestigieux journal Science (Science, Vol . 155, No. 3767 (March 1967), pp. 1203-1207 . ©1967 by the AAAS, (6)). Je vous encourage à le lire par et pour vous-même (vous avez le lien à la fin de l’article).

Professeur d’histoire médiévale, Lynn Townsend White Jr (7) a écrit en 1967 un article qui n’a pas pris une ride et qui serait parfaitement publiable aujourd’hui. Non seulement il est complètement moderne alors qu’il a été écrit il y a 50 ans, mais il met l’accent sur quelque chose qui est bien trop rarement traité, à savoir l’enracinement de la crise actuelle dans nos mentalités et dans notre héritage religieux, et cet héritage provient du christianisme.

La particularité de cet héritage est qu’il contient un mythe de création (dans la genèse) qui place l’homme, et en l’occurrence le mâle, en dehors de la nature, qui fait des femmes de simples domestiques des hommes et il donne mission aux hommes de régner sur tout ce qui vit et de mettre tout le vivant à leur service. Le deuxième élément du drame, c’est la manière dont le christianisme s’est développé en occident, qui a fait de l’activité et de l’action une valeur cardinale. De ce fait, la domestication de la nature avait déjà commencé en plein haut moyen-âge avec l’invention de la charrue, bien des siècles avant la révolution industrielle. Là où cette dernière joue un rôle majeur, c’est qu’elle a associé aux technologies toute la puissance des sciences en plein développement. Tout cela a continué de plus belle et nous savons où nous sommes arrivés aujourd’hui.

En d’autres termes, non seulement nous faisons face à des puissances d’argent dont le seul moteur est la rapacité, non seulement nous faisons face à une classe politique inféodée auxdites puissances d’argent et totalement incapable de prendre ses responsabilités sans une pression énorme de la rue (et même dans ce cas, ça n’est pas gagné), non seulement nous faisons face à une majorité probablement bienveillante, mais incapable de se mobiliser comme dans de très nombreuses causes (« all that is required for evil to triumph is for good men to do nothing », Edmund Burke, (8);  « the world will not be destroyed by those who do evil, but by those who watch them without doing anything », Albert Einstein (9)), mais l’arrière-plan spirituel dont est issu l’occident rend particulièrement difficile le changement de paradigme que nous devons opérer! Alors même que nous devons nous remettre au milieu de la nature et des autres êtres vivants, alors que nous devons réaccorder à cette dernière sa valeur sacrée et spirituelle qui nous aide à la respecter, le risque est très grand de voir à la place une fuite en avant de plus.

Il est très difficile de surmonter un obstacle qui n’est même pas reconnu et qui parle de la dimension religieuse de la crise environnementale aujourd’hui ? La profondeur de l’enracinement de ce conditionnement fait qu’il sera très difficile à surmonter. Pour s’en convaincre, il suffit de voir les difficultés dont souffrent encore aujourd’hui les personnes végétariennes en occident (voire, par exemple (10)), eux qui souffrent depuis l’antiquité de s’opposer à un conditionnement qui est lui aussi d’origine religieuse (l’ordre social de cités antiques fondé, entre autres, sur le sacrifice d’animaux et sur la consommation rituelle de ces derniers).

Pour passer par-dessus cet obstacle, il est entre autres nécessaire qu’une forme de spiritualité autre prenne la place de celle qui nous entrave. Même si des formes de néo-chamanisme ont repris pied en occident, cette pratique reste très minoritaire et elle n’a pas, tout au moins actuellement, l’aspect rassembleur qui est nécessaire pour permettre un changement de société. En fait, même si les pratiques spirituelles chrétiennes traditionnelles ont fortement diminué, la majorité des personnes d’aujourd’hui se définit comme « distanciée » par rapport à ces pratiques et pas comme en recherche d’autre chose (voir (11)). Ceci correspond parfaitement au poids du fond spirituel et culturel du christianisme dans la vie de 90% de la population.

En d’autres termes, malgré la nécessité impérative de changer nos vies et nos pratiques à l’échelle individuelle et sociétaire, la résistance est telle qu’il est parfaitement possible que nous n’y arrivions pas… Et nous devons prendre cela en compte.

 

(1) http://igd.unil.ch/dominiquebourg/

(2) http://www.rts.ch/info/sciences-tech/7710863-contre-le-rechauffement-climatique-on-pense-encore-qu-on-a-le-temps.html

(3) https://www.rts.ch/la-1ere/programmes/l-invite-du-journal/7693862-dominique-bourg-philosophe.html

(4) https://www.sauvonslaforet.org/petitions/1051/non-au-developpement-propre-au-mepris-des-indiens?mtu=155932856&t=1891

(5) http://www.demain-lefilm.com/

(6) http://www.theologylived.com/ecology/white_historical_roots.pdf

(7) https://en.wikipedia.org/wiki/Lynn_Townsend_White,_Jr.

(8) https://en.wikiquote.org/wiki/Edmund_Burke

(9) https://en.wikiquote.org/wiki/Albert_Einstein

(10) https://labyrinthedelavie.net/2015/07/13/le-vegetarisme-pour-les-non-vegetariens/

(11) https://labyrinthedelavie.net/2015/02/04/spiritualites-a-lere-du-je/

 

De la difficulté d’accorder à l’expression créative toute la place qu’elle mérite dans nos vies

 

Cette petite vidéo montre à quel point le fait de jouer de la musique nous fait du bien. Elle le montre avec tout le poids et le caractère d’autorité de certains travaux scientifiques. Mais il nous suffit de regarder autour de nous pour constater parmi nos proches que le fait de jouer de la musique a plutôt tendance à bien les conserver.

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Anthony Marks, le piano facile,http://www.lire-les-notes.com/livre-le-piano-facile-par-anthony-marks.html

La musique n’est que l’une des formes d’expression créative, mais cette petite séquence nous rappelle combien l’expression créative nous est essentielle et combien elle contribue à notre bien-être.

Pour autant, tout le monde n’accorde pas autant d’importance à ce genre d’activité que ce qu’il faudrait, toujours si j’en crois cette vidéo.

Pour pouvoir exprimer sa créativité, il faut pouvoir en ressentir l’élan, le désir, l’aspiration. Or nombre de personnes ne ressentent pas cet élan. C’est ainsi et ces personnes prennent un autre parcours de vie dans lequel elles mettent l’accent sur d’autres dimensions de la vie.

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La vie faite à la main, Quête de sens et créativité, Anne-Marie Jobin, 2006, Editions du Roseau, Montréal

L’expression créative demande le plus souvent une motricité fine. Qu’il s’agisse de musique, de dessin, de collages, de sculpture, de patchworks, de cahiers créatifs ou autre, les personnes qui vivent avec une dyspraxie ont de ce fait, de sérieuses déficiences en ce qui concerne leur motricité fine, leur insertion dans l’espace et dans bien d’autres domaines encore. Elles voient leurs élans fortement entravés et elles risquent fort d’aller d’échec en échec, dans un domaine de la vie où ils sont tout particulièrement douloureux. Je ne suis pas sure non plus que les outils informatiques tels qu’ils sont conçus actuellement puissent vraiment les aider. Avec, par exemple, une tablette à digitaliser, on peut faire des merveilles, mais à condition de bien savoir dessiner. Si votre vision et votre coordination motrice sont déficientes, elle a de grandes chances de n’être qu’un obstacle de plus.

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Bryan Peterson, understanding exposure, Amphoto Press, 2016

Il faut aussi avoir le temps et la disponibilité intérieure pour pouvoir exprimer sa créativité comme on le souhaite. Nos vies professionnelles ne nous le permettent pas toujours, tant elles nous consomment du temps et tant elles nous épuisent.  Nos familles, nos proches, ceux pour qui nous jouons peut-être le rôle de « proche aidant » sont aussi susceptibles de réduire très fortement la disponibilité dont nous avons besoin pour pouvoir exprimer notre créativité.

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Stephen King, Ecriture, mémoires d’un métier, Livre de Poche, 2003 

Il est peut-être des moments où nous sommes en manque d’inspiration. Ou alors les circonstances extérieures sont telles que nous devons renoncer provisoirement à prendre ce temps-là. Le poids des échecs passés peut être très difficile à digérer et nous peinons à rebondir d’une manière qui nous convienne. Tout cela peut se produire dans une vie. Mais, en tout cas pour les personnes pour qui l’expression créative est un besoin très profondément ancré, voire existentiel, il vient un moment où retrouver le temps et la disponibilité nécessaires pour pouvoir se livrer à cette activité devient juste vital.

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Christophe Berg, Le grand livre de la cuisine crue, La Plage, 2014

Je ne peux que vous inviter à respecter ce besoin, souvent essentiel, quitte à devoir apprendre à vous affirmer face aux autres afin de faire respecter l’espace dont vous avez besoin.

 

Faire avec les obstacles qui restent

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Atlanterhavsveien « Storseisundbrua » is one of the most spectacular parts of the Antlantic ocean road (atlanterhavsveien). Source: flickr.com

Après de nombreuses années d’un solide travail sur soi de développement et de thérapie, les personnes peuvent cueillir les fruits issus des graines qu’elles ont semées et jouir d’une vie considérablement plus agréable, paisible, heureuse et sensée que ce qu’elles ont vécu de par le passé. C’est infiniment précieux et c’est une rencontre bien méritée !

Dans cette vie apaisée, il peut néanmoins arriver que certaines difficultés résistent. Par exemple, une personne surefficiente mentale (ou un-e zèbre pour reprendre le langage de Jeanne Siaud – Facchin) peut avoir toujours du mal à s’affirmer et à faire face aux conflits et éprouver durablement un besoin de se protéger de situations qui sont trop lourdes pour elle. Elle aura beau continuer à travailler dessus, elle ne progresse plus vraiment. Cela peut être frustrant.

Peut-être que certaines de ces difficultés sont le revers de nos propres forces. Être une personne surefficiente signifie aussi avoir un égo particulièrement faible, une confiance en soi réduite et donc plus de difficultés à s’affirmer. Peut-être aussi que la personne a traversé des événements dont les conséquences sont irréversibles et qu’il lui faut vivre avec. Il se trouve que, quand ces conséquences sont physiques (par exemple dans le cas où une personne a développé un diabète de type 1), ce caractère irréversible est plus aisément accepté par l’entourage que quand lesdites conséquences sont psychiques (et qu’on parle, par exemple, de fragilités qui nécessitent que la personne prenne soin de soi et évite durablement des facteurs déclenchants (par exemple la foule)).

Quand ces difficultés mettent la personne en porte-à-faux avec des éléments incontournables de la société dans laquelle elle vit (par exemple la dureté des rapports de travail dans le monde occidental), cela devient encore plus difficile.

Et que faire, comment gérer de telles situations ?

Dans la mesure où ces difficultés résistent, il est peut-être nécessaire d’admettre qu’elles sont là et que la personne va devoir apprendre à vivre avec, en tout cas pour un temps. Cela peut nécessiter de faire le deuil de l’espoir d’être un jour complètement libéré-e de ses difficultés et de pouvoir enfin vivre la vie dont la personne rêve depuis tant d’années. Aménager son quotidien pour tenir compte de ces difficultés persistantes peut aussi nécessiter d’autres deuils. Une personne pourtant très compétente, mais pour qui les situations de conflits perpétuels sont trop pesantes va peut-être devoir abandonner le rêve de faire un jour de l’encadrement ou elle devra abandonner le poste de cadre dans lequel elle se trouve actuellement. Son confort de vie sera peut-être bien plus grand après, mais c’est un deuil (et aussi un saut de plus dans l’inconnu d’une nouvelle situation de travail). Faire tous ces deuils, accepter que ce soit ainsi en tout cas pour aujourd’hui demande du courage.

Bien sûr que les techniques établies d’aide au lâcher-prise et à l’acceptation de ce qui est peuvent aider (*). Mais ces outils ont leurs limites. Les personnes les plus aguerries ont lutté pendant des décennies, et sans jamais avoir abandonné, pour pouvoir se libérer de leurs difficultés. Ayant fait une grande part de chemin, ça n’est pas un blocage apparent de plus qui va les retenir. Il faut autre chose de considérablement plus solide et, surtout de plus convaincant. Certaines aspirations sont l’expression d’élans de vie. Quand une personne sent au plus profond d’elle-même une aspiration à vivre en pleine lumière « sur le devant de la scène », devoir accepter qu’elle a besoin d’une place plus discrète, qui ne permet pas la même plénitude d’expression d’elle-même et de don aux autres, mais qui est nettement est plus protégée, faire le deuil de ses aspirations ne va pas nécessairement de soi.

Il existe une chose qui peut beaucoup aider les personnes à faire ce pas, mais elle ne se commande pas. Elle consiste à recevoir de l’intérieur le message que, « avec mes qualités et mes fêlures, je suis assez bien comme cela pour vivre ma vie ». Une telle expérience est extrêmement précieuse. Elle peut être vécue comme une validation de tout le chemin parcouru par la personne. Il ne s’agit pas pour autant de s’arrêter, mais de prendre acte de qui nous sommes dans toutes nos dimensions, et de prendre acte d’une part de ce que nous ne pourrons pas changer et avec laquelle nous allons devoir apprendre à vivre aussi confortablement que possible.

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Zen Garden designed by Nagao Samurai, source Flickr.com

Sans faire de grandes théories, il y a une forme d’esthétique issue du Japon et fortement apparentée au bouddhisme zen qui peut exprimer cela, c’est le wabi sabi. Issue d’une très longue tradition et d’une culture séculaires (**). À l’inverse de l’esthétique occidentale, elle valorise l’impermanence, l’imperfection, les objets créés sans ostentation, la simplicité voire la frugalité, les matériaux naturels, les textures rugueuses, les tons unis.  Les objets, ou des lieux qui sont mis en scène selon cette forme d’esthétique met en valeur leur beauté d’une manière qui intègre leur fêlures, leurs imperfections, leurs cassures et leurs réparation. Elle devient, de ce fait, une illustration artistique et vivante du « tu es assez bien comme cela ».

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Contemporary wabi sabi tea bowl. Source Flickr.com

 

(*) Voir, par exemple:

John Kabat-Zinn  (auteur), Joan Borysenko (préface), Thich Nhat Hanh (introduction); Full Catastrophe Living: Using the Wisdom of Your Body and Mind to Face Stress, Pain, and Illness; Bantam Books; 2013

NB: une traduction française existe, mais selon de trés nombreux échos elle est au mieux calamiteuse

Ray owen, Facing the storm, Routledge, 2011

Ray owen, Living with the ennemy, Routledge, 2013

Ann Weiser Cornell  (auteure), Barbara McGavin (illustratrice); The Radical Acceptance of Everything: Living a Focusing Life; Calluna Press 2005

 

(**) voir, par exemple:

Andrew Juniper; Wabi Sabi: The Japanese Art of Impermanence; Tuttle Pub;  2003

Leonard Koren; Wabi-Sabi for Artists, Designers, Poets & Philosophers; Imperfect Publishing; 2008

 

 

Jusqu’aux limites de l’humanité

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Svetlana Alexievitch La guerre n’a pas un visage de femme J’ai Lu

 

Avec son prix Nobel de littérature 2015, les ouvrages de Svetlana Alexievitch ont acquis en occident une visibilité infiniment supérieure à la notoriété dont ils pouvaient jouir jusqu’alors. Ils ont mis en lumière l’existence d’une femme très courageuse, qui parcourt l’empire russe avec son enregistreur, qui interviewe des centaines de personnes le temps nécessaire pour que ces dernières puissent exprimer le noyau essentiel de ce qu’ils ou elles ont vécu, de ce qui les a marqués, ou traumatisés.

Elle traite de thématiques graves, pour ne pas dire terribles. Avec son premier ouvrage, « La guerre n’a pas un visage de femme », elle a donné la parole à des centaines de femmes russes qui ont vécu la Seconde Guerre mondiale en tant que soldates.

Elle prend grand soin de les rencontrer seule à seule ou avec quelques autres femmes afin de s’assurer que leurs paroles sont libres et qu’elle ne se réduit pas à l’héroïsme officiel dont a été entourée en Russie cette guerre effroyable.

Elle œuvre un peu comme une peintre pointilliste, témoignage après témoignage. Il faut prendre le temps d’écouter l’une après l’autre la parole de toutes ces femmes pour voir un tableau se dégager.

L’image qui en sort est celui de très jeunes femmes de quatorze, quinze ou 16 ans, enthousiasmées par l’idéal communiste, qui ont vu leur père, leur oncle leurs frères partir pour se battre et pour qui il était inimaginable que cette lutte se passe sans elles. Sans avoir la moindre idée de ce qu’elles allaient affronter, elles ont fait le siège des bureaux de recrutement pour pouvoir y aller elles aussi. Et les recruteurs ont fini par céder.

Elles se sont retrouvées dans une armée absolument pas préparée à les accueillir et embarquées dans un affrontement effroyable qui a fait des dizaines de millions de morts. Elles y ont connu l’enfer, la tragédie, la souffrance, parfois l’amour, ou des moments d’une paix irréelle, la faim, la terreur, la rage, la haine, la douleur, la pitié et bien d’autres choses encore.

Certaines ont survécu. Elles ont recommencé à vivre, tant bien que mal. Tout n’a pas repris comme avant. Leur pays, leurs maisons avaient été dévastés il a fallu tout reconstruire. Elles ont dû vivre comme elles le pouvaient avec ce que nous appelons maintenant des stress posttraumatiques très graves. Certaines ont perdu leur santé sur le front, ou ont été amputées ou ont été marquées à vie de quelque autre manière.

Nombre d’hommes qui avaient appris à les considérer en camarades et en égaux sur le front les ont rejetées. Il n’était pas question pour eux de se marier avec leurs compagnes de lutte. Elles se sont retrouvées seules.

Et le discours officiel a fait exclusivement dans l’héroïsme exacerbé pendant des décennies. Elles se sont retrouvées bâillonnées.

Arrive Svetlana Alexievitch et son enregistreur. Pour la première fois de leur vie, elles ont pu parler et dire ce qu’elles avaient vraiment ressenti, ce qui les a marquées, le fond de leur douleur ou de ce avec quoi elles vivent depuis si longtemps.

En occident, on aurait parlé de « débriefing ». On aurait parlé d’une auteur qui prend le rôle d’accoucheuse et qui permet aux personnes qu’elle interroge de se libérer un tant soit peu de ce qu’elles portent depuis si longtemps.

Dans l’URSS de Mikhail Gorbatchev, cet ouvrage a été un choc. Le choc a été tel que l’auteure a dû rudement batailler avec la censure pour qu’il soit publié (en 1983). Et, alors que cet ouvrage est fondamentalement humain, elle a acquis l’image d’une opposante politique et d’une ennemie de la Russie.

Il faut dire aussi qu’elle ne s’est pas arrêtée aux rescapées de la Seconde Guerre mondiale. Elle a remis la compresse avec la guerre d’Afghanistan (les cercueils de zinc), Tchernobyl (la supplication) et d’autres situations tout aussi terribles. On n’en sort encore plus marqué que de la lecture de son premier ouvrage.

Dans tous ses écrits, l’auteure interroge les limites de ce que c’est que d’être humain. Elle le fait dans le but de défendre la valeur et le caractère essentiel de cette humanité. Dans un entretien consacré à son œuvre, elle indique, que, au sujet  des femmes vétéranes de la Seconde Guerre mondiale : « ce qui m’a le plus frappé, c’est que ces femmes avaient pitié des Allemands. À l’école on nous apprenait à ne pas avoir pitié des ennemis. Mais la guerre, pour ces femmes, n’était pas enserrée dans les lois écrites par les hommes » (*). Au sujet de Tchernobyl, elle indique que : »Avec Tchernobyl, nous sommes entrés dans un monde inédit. Nous avons compris que le progrès technique représente une voie suicidaire. Il s’agit d’une guerre d’un nouveau type, dans laquelle l’homme ne se combat pas seulement lui-même, mais le vivant en général : les plantes et les animaux, la terre et le ciel ». Quelle clairvoyance!

Si son œuvre a un volet politique, ce que certains lui reprochent, c’est à force d’exposer le vécu des êtres qui ont été emportés dans la tourmente et ce qu’ils ont vécu dans leur chair. Elle n’est pas directement militante. Ces récits mis bout à bout parlent d’eux-mêmes. Il lui suffit de les exposer. Mais cela donne à sa voix et aux milliers de parcours de vie qu’elle met en lumière une portée qu’ils ne pourraient pas avoir sans cela.

En témoignant avec un très grand courage et une constance inébranlable de l’horreur qu’ont engendrés ces moments de l’histoire elle se pose en témoin d’humanité de ce qu’il faut faire pour faire cesser cette folie.

(*) Svletlana Alexievitch, Oeuvres, Actes Sud 2015