
Après de nombreuses années d’un solide travail sur soi de développement et de thérapie, les personnes peuvent cueillir les fruits issus des graines qu’elles ont semées et jouir d’une vie considérablement plus agréable, paisible, heureuse et sensée que ce qu’elles ont vécu de par le passé. C’est infiniment précieux et c’est une rencontre bien méritée !
Dans cette vie apaisée, il peut néanmoins arriver que certaines difficultés résistent. Par exemple, une personne surefficiente mentale (ou un-e zèbre pour reprendre le langage de Jeanne Siaud – Facchin) peut avoir toujours du mal à s’affirmer et à faire face aux conflits et éprouver durablement un besoin de se protéger de situations qui sont trop lourdes pour elle. Elle aura beau continuer à travailler dessus, elle ne progresse plus vraiment. Cela peut être frustrant.
Peut-être que certaines de ces difficultés sont le revers de nos propres forces. Être une personne surefficiente signifie aussi avoir un égo particulièrement faible, une confiance en soi réduite et donc plus de difficultés à s’affirmer. Peut-être aussi que la personne a traversé des événements dont les conséquences sont irréversibles et qu’il lui faut vivre avec. Il se trouve que, quand ces conséquences sont physiques (par exemple dans le cas où une personne a développé un diabète de type 1), ce caractère irréversible est plus aisément accepté par l’entourage que quand lesdites conséquences sont psychiques (et qu’on parle, par exemple, de fragilités qui nécessitent que la personne prenne soin de soi et évite durablement des facteurs déclenchants (par exemple la foule)).
Quand ces difficultés mettent la personne en porte-à-faux avec des éléments incontournables de la société dans laquelle elle vit (par exemple la dureté des rapports de travail dans le monde occidental), cela devient encore plus difficile.
Et que faire, comment gérer de telles situations ?
Dans la mesure où ces difficultés résistent, il est peut-être nécessaire d’admettre qu’elles sont là et que la personne va devoir apprendre à vivre avec, en tout cas pour un temps. Cela peut nécessiter de faire le deuil de l’espoir d’être un jour complètement libéré-e de ses difficultés et de pouvoir enfin vivre la vie dont la personne rêve depuis tant d’années. Aménager son quotidien pour tenir compte de ces difficultés persistantes peut aussi nécessiter d’autres deuils. Une personne pourtant très compétente, mais pour qui les situations de conflits perpétuels sont trop pesantes va peut-être devoir abandonner le rêve de faire un jour de l’encadrement ou elle devra abandonner le poste de cadre dans lequel elle se trouve actuellement. Son confort de vie sera peut-être bien plus grand après, mais c’est un deuil (et aussi un saut de plus dans l’inconnu d’une nouvelle situation de travail). Faire tous ces deuils, accepter que ce soit ainsi en tout cas pour aujourd’hui demande du courage.
Bien sûr que les techniques établies d’aide au lâcher-prise et à l’acceptation de ce qui est peuvent aider (*). Mais ces outils ont leurs limites. Les personnes les plus aguerries ont lutté pendant des décennies, et sans jamais avoir abandonné, pour pouvoir se libérer de leurs difficultés. Ayant fait une grande part de chemin, ça n’est pas un blocage apparent de plus qui va les retenir. Il faut autre chose de considérablement plus solide et, surtout de plus convaincant. Certaines aspirations sont l’expression d’élans de vie. Quand une personne sent au plus profond d’elle-même une aspiration à vivre en pleine lumière « sur le devant de la scène », devoir accepter qu’elle a besoin d’une place plus discrète, qui ne permet pas la même plénitude d’expression d’elle-même et de don aux autres, mais qui est nettement est plus protégée, faire le deuil de ses aspirations ne va pas nécessairement de soi.
Il existe une chose qui peut beaucoup aider les personnes à faire ce pas, mais elle ne se commande pas. Elle consiste à recevoir de l’intérieur le message que, « avec mes qualités et mes fêlures, je suis assez bien comme cela pour vivre ma vie ». Une telle expérience est extrêmement précieuse. Elle peut être vécue comme une validation de tout le chemin parcouru par la personne. Il ne s’agit pas pour autant de s’arrêter, mais de prendre acte de qui nous sommes dans toutes nos dimensions, et de prendre acte d’une part de ce que nous ne pourrons pas changer et avec laquelle nous allons devoir apprendre à vivre aussi confortablement que possible.

Sans faire de grandes théories, il y a une forme d’esthétique issue du Japon et fortement apparentée au bouddhisme zen qui peut exprimer cela, c’est le wabi sabi. Issue d’une très longue tradition et d’une culture séculaires (**). À l’inverse de l’esthétique occidentale, elle valorise l’impermanence, l’imperfection, les objets créés sans ostentation, la simplicité voire la frugalité, les matériaux naturels, les textures rugueuses, les tons unis. Les objets, ou des lieux qui sont mis en scène selon cette forme d’esthétique met en valeur leur beauté d’une manière qui intègre leur fêlures, leurs imperfections, leurs cassures et leurs réparation. Elle devient, de ce fait, une illustration artistique et vivante du « tu es assez bien comme cela ».

(*) Voir, par exemple:
John Kabat-Zinn (auteur), Joan Borysenko (préface), Thich Nhat Hanh (introduction); Full Catastrophe Living: Using the Wisdom of Your Body and Mind to Face Stress, Pain, and Illness; Bantam Books; 2013
NB: une traduction française existe, mais selon de trés nombreux échos elle est au mieux calamiteuse
Ray owen, Facing the storm, Routledge, 2011
Ray owen, Living with the ennemy, Routledge, 2013
Ann Weiser Cornell (auteure), Barbara McGavin (illustratrice); The Radical Acceptance of Everything: Living a Focusing Life; Calluna Press 2005
(**) voir, par exemple:
Andrew Juniper; Wabi Sabi: The Japanese Art of Impermanence; Tuttle Pub; 2003
Leonard Koren; Wabi-Sabi for Artists, Designers, Poets & Philosophers; Imperfect Publishing; 2008