Nombre d’entre nous en occident vivons une vie effrénée. Nous ne voyons plus le temps passer tellement nous sommes à toute vitesse en permanence. Nos activités professionnelles sont devenues extrêmement stressantes et la souffrance au travail devient une constante de base de notre quotidien. Ce stress s’accompagne souvent d’une consommation elle aussi excessive, compulsive et effrénée. C’est ainsi que j’ai, par exemple, bien plus de livres que ce que je peux lire. Résister à la tentation est difficile et les livres s’accumulent dans mon appartement. Il y a bien sûr des tentations bien plus onéreuses que les livres, comme le dernier smartphone à la mode dont on s’évertue à essayer de nous faire croire que nous ne pouvons pas vivre sans. Mais même les petits achats finissent par s’accumuler!
Comme il faut bien financer nos achats, nos voitures indispensables pour aller travailler et nos vacances tout aussi indispensables pour nous reposer enfin de ce que nous vivons dans les maisons de fous où nous travaillons, nous finissons par nous retrouver enfermés dans un entrelacs d’obligations qui nous attachent là où nous sommes, dans une roue qui tourne toujours plus vite….
Quant aux personnes qui n’arrivent pas à entrer dans cette roue, elles se retrouvent dans une situation de grande vulnérabilité, ce qui est un stress tout aussi important. Elles font tout pour arriver à rejoindre le monde du travail et pour se sentir libérées de leur galère matérielle.
Certaines personnes ont conscience que “cela ne va plus comme ça”. Le monde du travail est devenu complètement fou. A force de restructurations, de soi-disant optimisations et de tourner à toute vitesse, il broie impitoyablement les êtres dans ses rouages, comme le Moloch de Métropolis. Il faudrait plusieurs planètes pour supporter durablement notre rythme de consommation. Nous avons au moins un peu conscience que la planète se dégrade partout, que de nombreuses espèces disparaissent et avec elles, les espaces sauvages pourtant si précieux. Nous commençons à prendre conscience que notre action a même un impact durable et des plus délétères sur le climat de la planète.
Et pourtant rien ne bouge, ou presque, que ce soit à l’échelle des personnes ou à celle de la société!
C’est une chose que de sentir que “ça ne va plus comme cela”. C’en est une autre que d’arriver à mettre le doigt précisément sur ce qui pose problème. C’en est encore une autre que de sentir ou de voir comment changer, dans quelle direction aller. Et c’en est une troisième que de le faire
Il me semble que nous sommes confronté-e-s de plus en plus durement au fait que notre mode de vie actuel atteint ses limites et qu’il a de plus en plus de conséquences destructrices.
A force de vouloir toujours plus d’argent, les entreprises passent leur temps à s’automatiser et à optimiser leur fonctionnement. Nous nous retrouvons avec un travail horriblement stressant et une proportion de plus en plus grande de personnes qui sont exclues du monde du travail. C’est très tentant de changer très régulièrement de téléphone (pour prendre un exemple qui me concerne aussi), de voiture ou de faire sans cesse des vols en avion. Mais cela a inévitablement un impact environnemental. Les entreprises et les nations ne sont pas meilleures, loin de là! C’est ainsi qu’elles détruisent sans la moindre vergogne les dernières zones sauvages alors qu’un petit nombre de personnes font des efforts désespérés pour les dissuader.
Etre confronté-e à des limites, c’est inévitablement être confronté-e à la frustration (Je finance d’abord un traitement dentaire, le reste attendra, je garde ma voiture un ou deux ans de plus, je ne change pas de téléphone tous les deux ans, j’achète au plus un livre par mois, je fais en sorte de n’acheter qu’un minimum de provisions pour ne rien devoir jeter, etc.). Cela va aussi à l’encontre de vieux commandements qui nous ont conditionné depuis des générations (croissez et multipliez puis mettez la Terre en coupe réglée, l’environnement et les être vivants ne sont que des choses dont on peut user et abuser sans le moindre problème, etc.). Ca n’est déjà pas facile sur le plan individuel. Ca l’est encore mois sur le plan collectif, dans lequel la croissance à tout prix et l’exploitation forcenée de toutes les ressources sont vues comme des impératifs qui ne souffrent pas la moindre contestation! Un bon exemple est la résistance acharnée qu’engendre en Suisse, la décision du gouvernement de renoncer au nucléaire d’ici 2030. Malgré le caractère modéré et très pragmatique de cette décision, elle fait l’objet d’une opposition de tous les instants de la part des milieux économiques et d’une partie du monde politique.
Devoir vivre dans un monde limité et frustrant (matériellement), implique aussi que quelqu’un va devoir implicitement ou explicitement édicter ces limites. Cela ne peut que provoquer de terribles jeux de pouvoir!
Bref, nous sommes dans une crise mondiale qui est déjà difficile, mais je crains fort qu’elle ne soit qu’un avant-goût de ce qui nous attend. Et cela sera d’autant plus dur que les pays occidentaux sont dans un déni total de la situation.
En attendant une prise de conscience globale et une mobilisation de la société, je ne peux que suggérer aux personnes qui se sentent concernées par cette question d’apprendre à avoir un mode de vie considérablement plus durable que ce que nous avons aujourd’hui. J’espère que cela aidera à une prise de conscience de toute la société, même si cela a toutes les chances de susciter une très forte résistance.
Femme défendant le « Passage Corvin » à Budapest durant les événements de 1956
Internet et les réseaux sociaux permettent de communiquer rapidement sur de nombreuses thématiques, mais ils permettent aussi de les rendre visibles. Et, quand cela dérange, les réactions ne se font pas attendre.
Cela fait des décennies que les féministes et les sociologues parles des difficultés vécues par les femmes dans les espaces publics. Elles ont été mises particulièrement en lumière ces derniers temps par différentes initiatives.
Tout récemment, la presse s’est fait l’écho de l’imitative de l’ONG Hollaback qui lutte contre le harcèlement de rue. Cette dernière a filmé le vécu d’une femme vêtue tout de noir qui a marché sans discontinuer pendant plus de 10 heures dans les rues de New York (http://www.youtube.com/watch?v=b1XGPvbWn0A ). Cette opération a montré que, durant ces dix heures, la personne filmée a subi 100 actes de harcèlement verbal, sans compter tous les autres (non verbaux). La vidéo résultant de cette opération a été vue plus de 15’000’000 de fois durant les trois premiers jours, avec de nombreuses réactions positives de personnes soit indignées, soit subissant les actes. Mais la personne filmée a aussi reçu des menaces de viol et de meurtre!
Et le moins que l’on puisse dire est que ces menaces n’ont pas produit une condamnation unanime des médias ou des internautes. C’est ainsi que sur sa page de garde, Hollaback précise que « Other coverage, however, shows that sexism still shapes culture in a way that harms women. When journalists on major news networks reinforce, support, and normalize street harassment they minimize the violence and fear that women experience on the street. – See more at: http://www.ihollaback.org/#sthash.eETeLhwb.dpuf »
Cette situation n’est ni exceptionnelle, ni nouvelle. Le film que Sofie Peeters avait publié en 2012 (http://www.youtube.com/watch?v=iLOi1W9X6z4 ) a suscité exactement les mêmes réactions. Certains hommes ont tout utilisé pour tenter de décrédibiliser ce qu’elle mettait en lumière, et, là encore avec la complicité passive ou active de certains médias.
Il y a quelques mois, Anita Sarkeessian (https://twitter.com/femfreq ) a dénoncé le sexisme des jeux vidéos via trois films sur youtube (https://www.youtube.com/watch?v=4ZPSrwedvsg, https://www.youtube.com/watch?v=5i_RPr9DwMA, https://www.youtube.com/watch?v=LjImnqH_KwM). Elle a subi une réaction d’une extrême violence. Des groupes d’hommes déterminés à empêcher toute expression publique de sa part ont piraté ses comptes, tout message de sa part engendrait un torrent de réactions extrêmement violentes. Non seulement certains l’ont menacée de viol et de meurtre, mais ils sont allés jusqu’à publier son adresse physique, son numéro de téléphone, etc. Afin de se protéger, elle a du se réfugier chez des amis, puis déménager.
Le temps n’a pas aidé. Il y a des alertes à la bombe, voire des menaces de massacre à chaque présentation publique de Mme Sarkeesian (http://www.nytimes.com/2014/10/16/technology/gamergate-women-video-game-threats-anita-sarkeesian.html?_r=1). L’industrie des jeux vidéos, essentiellement masculine, est plus que molle dans sa dénonciation d’actes aussi graves, sans même parler de promouvoir la place des femmes dans les jeux vidéos eux-mêmes.
Alors que certains affirment qu’il n’y aurait plus de raison de lutter puisque l’égalité entre hommes et femmes en occident serait acquise, ces quelques exemples illustrent à quel point il n’en n’est rien! La place des femmes dans tous les espaces publics reste un sujet de haute lutte. C’en est au point que des personnages très en vue, comme le biologiste Richard Dawkins se permet d’attaquer, de stigmatiser et de ridiculiser publiquement les femmes qui dénoncent les actes de harcèlement dont elles sont victimes dans l’espace public (http://www.slate.com/articles/double_x/doublex/2012/10/sexism_in_the_skeptic_community_i_spoke_out_then_came_the_rape_threats.html).
C’est aussi très frappant de voir que, comme à l’époque de la sortie du film « Dupont Lajoie », les dénonciations de ces actes, mêmes preuves à l’appui génèrent un torrent de haine et de violence à l’encontre des victimes, plutôt qu’à celui des harceleurs qui les ont perpétré.
Non seulement les femmes doivent encore guerroyer (et il s’agit vraiment de cela) pour affirmer et faire respecter leur droit à l’espace public, mais elles doivent guerroyer encore et toujours pour faire respecter leur dignité la plus élémentaire.
Un hommage à l’écrivaine Georges Sand et à l’actrice de Théâtre Marie Dorval (*) par deux très grandes artistes d’aujourd’hui. Pour l’une des deux, elle a aussi un caractère autobiographique, mais c’est une autre histoire….
Divine Physician An Daoquan (安道全), surgeon, operating on female warrior Gu Dasao (顾大嫂).By Utagawa Kuniyoshi [Public domain], via Wikimedia Commons
De nombreuses femmes ont du traverser une telle quantité d’épreuves traumatiques au cours de leur vie, que le seul fait d’avoir pu y arriver fait d’elles de solides guerrières. De plus, en tout cas dans mon entourage, elles se reconnaissent dans ce terme.
Mais ces épreuves ont inévitablement laissé des traces en elles, parfois jusque dans leur corps. Tant que les plaies ne sont pas guéries (pour certaines d’entre elles c’est l’oeuvre d’une vie), elles restent sensibles. Elles nous rendent particulièrement vulnérables et nous devons apprendre à vivre et composer avec, au moins le temps nécessaire pour aider à les faire guérir.
Se retrouver seule à devoir éduquer des enfants, et avec un revenu très limité, soit faute de qualifications professionnelles soit parce que la prise en charge des enfants rend impossible un travail à plein temps est un facteur de stress majeur, qui dure de nombreuses années et qui rend très difficile la vie de nombreuses femmes.
Les mémoire traumatiques qui résultent des abus subis dans l’enfance sont encore bien plus lourds à porter. Un stress post-traumatique ne s’apaise pas avec le temps. Toute situation qui rappelle de loin où de près les abus subis dans l’enfance les réveillent dans toute leur puissance. Ceci peut rendre la vie extrêmement difficile et pousse les victimes à « réduire leur vie » pour éviter toute situation de cet ordre. Si on ne peut pas faire l’économie du travail nécessaire pour se libérer de ses stress post-traumatiques, on doit faire extrêmement attention à ce que ce travail ne les ravive et ne les renforce pas (*) ….
A moins qu’il ne s’agisse d’accident, les traumatismes subis dans l’enfance ont été infligés dans le cadre d’une relation perverse avec un proche. Cette forme de relation est utilisée par l’adulte maltraitant pour faire croire à l’enfant victime que c’est lui qui est responsable, même coupable, de la situation qu’il aurait largement mérité. Les enfants victimes de ce genre de torture grandissent avec une image très noire d’eux-mêmes, ils n’ont pas de sécurité intérieure, ils se sentent extrêmement vulnérables et n’ont aucune conscience de leur propre part de puissance. Trouver puis intégrer cette conscience est un long travail.
Les femmes qui sont aussi des enfants douées doivent également faire avec leur immense sensibilité et leur clairvoyance. Loin d’être un avantage, il leur faut faire face à l’incompréhension et au rejet des autres qui n’ont pas la même sensibilité. Il faut vivre avec l’impuissance et la douleur issues de l’impossibilité de changer des choses, pourtant évidentes pour nous-mêmes, mais que ceux qui nous entourent ne voient pas.
Certaines d’entre elles vivent en plus avec d’autres formes de différences. Qu’elles soient homosexuelles, trans, extrêmement grandes, migrantes, etc. Il leur faut en plus intégrer, accueillir, assumer puis affirmer ces formes de différence qui sont souvent une autre cause de rejet.
Ca finit inévitablement par faire beaucoup pour une seule personne!
Dans mon humble expérience, trouver son chemin dans le dédale qui résulte de tout cela exige un immense engagement, une très grande détermination, beaucoup de courage, et tout cela dans la durée. Il est indispensable de chercher son chemin de tout son coeur, de toute son âme et avec toute son énergie. C’est aussi indispensable de pouvoir rencontrer les bonnes personnes aux moments clefs, qui, d’une manière où d’une autre vont pouvoir nous aider comme nous en avons besoin dans ces moments là. Qu’est-ce qui fait que certaines personnes y arrivent et d’autres non est, pour moi, un mystère.
Se prendre en main par soi-même et au quotidien est évidemment tout aussi indispensable. En ce qui me concerne, observer ce que je vis, prendre le temps de mettre en mot mon ressenti a été vital. Prendre grand soin de mes amies et de mes relations l’a été tout autant. Trouver des groupes source de vie, de rencontres, de joie et de bonheur a aussi été très précieux. Dans mon cas, cela a été la Biodanza (**). Trouver le moyen de me libérer de ce qui m’empoisonne au quotidien (entre autre tout ce qui suscite des ressentiments dans le cadre de ma vie professionnelle), de me recentrer, de retrouver ma respiration, ma conscience à moi-même et à mon corps a aussi été important et cela a pris très longtemps. Pour moi, la marche lente en pleine nature, le contact avec la forêt et les arbres est efficace (alors que je n’ai jamais accroché à des outils comme la pleine conscience).
Ce serait présomptueux de ma part que d’affirmer que tous ces moyens rendent la vie radieuse et facile. Mais ils contribuent en tout cas à rendre la mienne vivable, à trouver une certaine paix, à me permettre de goûter tous les bons moments que j’y trouve (ils sont nombreux) et à faire face aux situations difficiles en étant moins affectée par ces dernières.
Mais c’est peut-être aussi cela, être une guerrière.
(*) Voir Peter A. Levine, In an Unspoken Voice: How the Body Releases Trauma and Restores Goodness, North Atlantic Books, 2010
« Hangakujo ». The female warrior samurai Hangaku Gozen by Yoshitoshi (1839-1892). From the series « Yoshitoshi mushaburui: A series of warriors by Yoshitoshi. » Published in « The Floating world of Ukiyo-e, » essays by Sandy Kita, New York, 2001, no. 72, p. 135. Exhibited at « The Floating world of Ukiyo-e: shadows, dreams and substances, » organized by the Library of Congress, 2001. Colour woodcut print, 37 x 25.3 cm.Tsukioka Yoshitoshi [Public domain], via Wikimedia Commons
« Annie Oakley c1880 » by Baker Art Gallery – Heritage Auction Gallery. Licensed under Public domain via Wikimedia Commons –
Le 3 novembre 2016, cela fera 90 ans que Annie Oakley ((1),(2)), surnommée « Little miss sure shot », est décédée. Elle est non seulement une femme de légende de l’histoire américaine, mais aussi une pionnière du féminisme et une guerrière qui a réussi à être adulée par le public de son temps. C’est un résultat d’autant plus impressionnant que, aujourd’hui encore, nombre d’entre elles dérangent fortement de par leur simple existence.
Annie Oakley est née en 1860, la sixième d’une fratrie de 7, dans une région rurale à la frontière ouest de l’Ohio, dans le comté de Drake. Elle est venue au monde au sein d’une famille modeste, qui tentait de vivre de l’agriculture. Son père est mort quand elle avait 6 ans. A neuf ans, elle a été placée durant deux ans dans une autre famille pour prendre soin des enfants de cette dernière. Elle y a vécu deux ans d’esclavage et subi d’innombrables maltraitances mentales et physiques.
De retour dans sa famille, elle a pris le fusil de son père et s’est mise à chasser. En vendant les produits de son activité, elle réussit à rembourser les dettes de sa mère et à payer la petite maison dans laquelle ils vivaient. Inutile de dire qu’elle s’est bâtie une réputation de tireuse et de chasseuse des plus habiles.
En 1875, Frank Butler, un showman de l’époque, a fait un pari à Cincinatti selon lequel il pouvait battre toutes les fines gâchettes de la région. C’est Annie Oakley, alors âgée de 15 ans, qui s’est présentée. Elle l’a battu après que Frank Butler ait raté son 25ème coup.
Franck Butler a courtisé la jeune Annie Oakley et ils se sont mariés en 1876. Annie Oakley a alors commencé une nouvelle vie, dans laquelle trois dimensions se marquent plus particulièrement.
Elle fut une épouse prenant grand soin de préserver les apparences d’un couple de l’époque victorienne. Mais, dans la mesure où ils n’eurent pas d’enfant et où Annie Oakley n’a jamais sacrifié sa carrière à celle de son mari, il s’agissait en partie en tout cas d’apparences (au vu des standards de l’époque).
Elle a créé un show avec son mari dans lequel ils faisaient tous deux un spectacle basé sur leurs prouesses au tir. En 1885 Tous deux rejoignent le cirque de Bufallo Bill ou elle rencontra une autre femme de sa tempe, Lillian Smith (3). Son habileté au tir est restée légendaire. En plein vol, elle était capable de couper des cartes en deux, tout comme de percer des pièces de monnaies. Elle pouvait aussi couper des cigarettes aux lèvres de son mari ou éteindre des bougies placées derrière elle! Suite à un accident de train, elle réduisit son activité à partir de 1902, mais sans l’interrompre complètement. Elle fit sa dernière performance en 1924, 2 ans avant sa mort (en 1926). Ses performances furent si fameuses, que, près de 90 ans après son décès, Marlin, le fabriquant de ses carabines vend encore ces dernières en faisant référence à Annie Oakley.
Elle fut aussi une pionnière du féminisme. Elle affirmait publiquement que les femmes devaient non seulement avoir le droit de vote, mais qu’elles devaient tout autant pouvoir accéder aux plus hautes responsabilités politiques et économiques. Elle considérait que les femmes devaient savoir se défende par elle-même et elle a formé plus de 15’000 femmes au tir. Elle considérait que les femmes devaient pouvoir participer à la guerre et elle a proposé d’équiper et d’armer une compagnie de tireuses d’élite lors de la guerre américano-espagnole de 1898. Son offre ne fut pas acceptée.
« Annie Oakley by Baker’s Art Gallery c1880s-crop » by Baker’s Art Gallery, Columbus, Ohio – Heritage Auctions. Licensed under Public domain via Wikimedia Commons –
Avec des positions aussi affirmées, elle aurait pu et du se faire très mal voir. Les femmes d’aujourd’hui qui s’engagent dans une armée et se retrouvent au front sont loin d’avoir une vie facile. Elles doivent faire face aux duretés du combat. Mais, surtout, la légitimité de leur place est sans cesse remise en cause de tous côtés. Par chance pour Annie Oakley, ce genre de réaction ne l’a pas empêchée de faire son chemin.
Ce qui, aux yeux du grand public peut paraître comme un parcours de vie tout à fait exceptionnel qui n’a été vécu que par un tout petit nombre de femmes est, en fait, beaucoup plus fréquent, ancien et universel que cela.
C’est en lisant Bonnie Bulloug et Vern Bulloug (10), il y a des années ce cela, que j’ai appris que, de tous temps, des femmes se sont engagées comme marin ou comme soldat, qu’elles ont parcouru le monde et et qu’elles ont fait la guerre au côté des hommes. On retrouve des traces de telles histoires jusque dans la plus haute antiquité et dans toutes les civilisations. Les livres d’histoire officiels sont des plus discrets sur ce sujet et il faut chercher l’information. Mais les plus célèbres d’entre elles, les reines et les princesses, ont laissé des traces visibles. Après tout, quant on s’appelle Catherine de Russie, personne ne se risque à critiquer votre comportement trop ouvertement! Quand on est une femme du peuple, c’est beaucoup plus compliqué.
Néanmoins, certaines ont réussi à devenir des légendes. C’est le cas d’Annie Oakley et de Calamity Jane. C’est aussi le cas de Jeanne d’Arc, de Tomoe Gozen, de Nakano Takeko, de Rani Lakshmibai, de Lozen, Jennie Irene Hodges, James Miranda Stuart Barry, de Dahteste et de tant d’autres qui ont laissé des traces plus discrètes.
Les guerrière dérangent. Non seulement elles font une très grosse tache dans l’ordre patriarcal, Mais certaines féministes ont aussi beaucoup de mal avec elles. Moira Sauvage, l’auteure d’un des très rares ouvrages de langue française sur ce sujet (18) a de l’admiration pour les femmes qui luttent pacifiquement, tout comme elle, pour des causes humanitaires. Mais elle devient très mal à l’aise face à des femmes qui osent prendre les armes et qui l’assument.
De ce fait, la littérature à leur sujet est réduite. Il m’a fallu des décennies pour constituer la petite bibliographique qui figure ci-dessous. Il y a peu d’ouvrage de niveau universitaire et la plupart sont bien sûr l’oeuvre de femmes. Les livres sont publiés par des maisons d’édition peu connues et sont difficiles à trouver quand ils ne sont pas épuisés et disponibles uniquement en occasion.
La réaction du public à l’égard de ces livres est aussi très instructive. C’est ainsi que des internautes vont reprocher à des ouvrages « grand public » sur ce sujet de ne pas être bardés de justifications et de notes comme un ouvrage universitaire. Le double standard est à nouveau la règle dans les réactions aux éléments qui sont présentés. Quand, par exemple, dans une tombe, on trouve un homme enterré avec une épée, il ne viendra à personne l’idée de douter que cette dernière est un signe de pouvoir et de combativité. Quant on trouve une femme enterrée avec une épée, la même interprétation est alors violemment contestée! Comme s’il fallait prouver qu’elle n’avait pas servi pour du crochet…..
Il se trouve que je suis une guerrière et que je ressens une solidarité, une sororité avec nombre d’autres guerrières que j’ai croisé dans ma vie. Il se trouve aussi que, sans qu’elles aient pris les armes, nombre de femmes ont du faire face à une telle adversité dans leur vie qu’elles sont au minimum de sacrées lutteuses, si ce n’est des guerrières elles aussi.
Je crois aussi que, armées ou non, les guerrières ont une place précieuse, voire sacrée, sur cette terre. Elles s’opposent au patriarcat et lui posent des limites. Elles s’opposent, souvent au péril de leur vie, à toutes formes d’oppressions. Elles rappellent que les femmes ont une force, une capacité de s’affirmer et dans certains cas de s’imposer.
Il me semble que, dans cette époque particulièrement troublée, elles ont une place encore plus importante. Elles font partie des rares personnes qui osent se lever et lutter contre la toute petite minorité de sociopathes qui a décidé de mettre l’humanité en la Terre Mère en coupe réglée. Parmi elles, il y a des femmes assez rassembleuses pour sortir des populations entières de leur apathie et de les mobiliser.
J’ai à coeur de leur rendre hommage.
Bibliographie au sujet de Annie Oakley
(1) Annie Fern Swartwout, The Life and Times of Annie Oakley, Coachwhip Publications, 2013
(9) Sophie Cassagnes.Brouquet, Chevaleresses – une chevalerie au féminin, Perrin, 2013
(10) Bonnie Bullough, Vern L. Bullough, Cross Dressing, Sex, and Gender, Univ of Pennsylvania Press, 1993
(11) Ellen C. Clayton, Female Warriors: Female Valour and Heroism (Vol. 1): The Mythological Ages to the Present Era, CreateSpace Independent Publishing Platform 2013
(12) Ellen C. Clayton, Female Warriors: Memorials of Female Valour and Heroism (Vol. 2): Mythological Ages to the Present Era, CreateSpace Independent Publishing Platform, 2013
(13) Jeannine Davis-Kimball, Mona Behan, Warrior Women: An Archaeologist’s Search for History’s Hidden Heroines, Warner Books, 2003
(14) David E. Jones, WOMEN WARRIORS (M): A History, Potomac Books Inc., 2005
(15) Adrienne Mayor, The Amazons: Lives and Legends of Warrior Women across the Ancient World Princeton University Press, 2014
(16) Lindsay McCrum, Chicks with Guns, Thames & Hudson, 2011
(17) Jessica Amanda Salmonson,The Encyclopedia of Amazons: Women Warriors from Antiquity to the Modern Era,Universal Sales & Marketing, 1991
(18) Moïra Sauvage, Guerrières ! : A la rencontre du sexe fort, Actes Sud, 2012
(19) Hannah Snell, The Female Soldier: Two Accounts of Women Who Served & Fought as Men, Leonaur Ltd, 2011
(20) Lyn Webster Wilde, On the Trail of the Women Warriors: The Amazons in Myth and History,Thomas Dunne Books, 2000
(21) Julie Wheelwright, Amazons and military maids, Pandora Press, 1989
(22) R.L. Wilson, Silk and Steel: Women at Arms, Random House, 2003
Jean Shinoda Bolen, The millionth circle Conari Press, 2003
En 2003, la thérapeute Jungienne Jean Shinoda Bolen a publié « The Millionth circle – How to change ourselves and the World – The essential guide to women circles » (« Le millionième cercle – Comment nous changer nous-mêmes et changer le monde – Le guide essentiel pour les cercles de femmes »). Elle avait déjà beaucoup écrit sur les archétypes féminins ((*), (**)) et ses textes sont traduits en de nombreuses langues, sauf, comme d’habitude, en français!
Avec cet ouvrage, Jean Shinoda Bolen a popularisé et réintroduit une tradition de nombre de peuples premiers, à savoir le cercle des femmes du clan. C’est très souvent un espace égalitaire (un cercle), un lieu de pouvoir pour les femmes, un espace de transmission, d’initiation, de solidarité, de stimulation et de compagnonnage.
C’est aussi une tradition que toutes les cultures patriarcales, en appliquant le principe « diviser pour régner » se sont efforcées d’éradiquer totalement. Tant que les femmes sont des rivales et sont complètement centrées sur les hommes, elles ne se constituent pas en tant que groupe et elles ne se révoltent pas pour faire entendre leur voix….
Jean Shinoda Bolen a aussi décrit sa vision en prenant pour analogie l’expérience bien connue de singes macaques vivant dans des îles japonaises. Sur l’une de ces îles, les singes étaient nourris par les humains qui les étudiaient. A un moment donné, une jeune femelle s’est mise à laver sa nourriture (des patates douces si ma mémoire est bonne) à l’eau de mer. Sa pratique s’est lentement répandue chez tous les jeunes du clan. Avec le temps, les autres clans de singes de cette même île se sont mis à faire de même. Plus tard encore, tous les clans de toutes les îles avaient adoptés sa pratique, alors même que les singes n’avaient aucun contact physique entre eux!
Par analogie, sa vision est que la création d’un premier cercle facilite la création d’un second, qui stimule celle d’un troisième, etc. jusqu’à la création du millionième. Son espoir est que, une fois ce seuil symbolique passé, les cercles vont avoir un impact sur toute la société, de par leur seule existence qui sera devenue incontournable. Alors, les sociétés devront prendre en compte sérieusement les valeurs des femmes engagées dans ces cercles, à savoir prendre soin à long terme de la vie, qu’il s’agisse de celle de la famille, du clan ou de la Terre mère.
Elle décrit sa vision dans ce petit livre de moins de 100 pages, avec une écriture en vers très belle et très poétique.
Dans mon passé, j’ai eu l’occasion de participer à de tels cercles et j’ai constaté qu’ils peuvent être des stimulants puissants pour des femmes qui se situent dans un parcours de vie plutôt traditionnel, pour qui l’archétype de la féminité, la maternité, le fait d’être une épouse et une mère de famille sont des choses essentielles.
C’est nettement moins simple pour des femmes atypiques, dont le parcours de vie est nettement plus queer, qui assument et expriment pleinement leur part « yang » et qui se définissent par elles-mêmes plutôt que d’attendre de compléter un hypothétique autre. Je fais partie des femmes de cette mouvance et il est possible que nous devions créer nos propres cercles, des cercles de louves et de guerrières afin de trouver notre place.
Je m’interroge aussi sur la possibilité de changer la société uniquement en atteignant un seuil donné. Je vois combien les cercles de pouvoir vivent complètement coupés du reste de la société et je peux tout à fait imaginer que ces derniers fassent tout pour entraver un changement qui les dérange et les met en cause, comme cela s’est passé face aux révolutions sociales du 2ème siècle, dont aucune n’a vraiment pu être achevée à cause de cela.
Mais cela me parait une belle vision et une belle initiative de la part de Jean Shinoda Bolen qui gagne à être connue et tentée par un nombre croissant de femmes de par le monde. C’est pour cela que j’en parle.
Il se trouve aussi que, pour une fois, le monde de l’édition francophone s’est quelque peu réveillé et cet ouvrage a enfin été traduit en Français. Comme le titre de la traduction française n’a strictement rien à voir avec le titre du livre originel, ni avec son sujet d’ailleurs, il faut un peu chercher. Mais il est disponible dans toutes les bonnes librairies:
Jean Shinoda Bolen La pratique des cercles de compassion Jouvence, 2011
(*) Voir: Jean Shinoda Bolen, Goddesses in every woman, Harper & Row 1984, Quill Editions, 2004
(**) Voir: Jean Shinoda Bolen, Goddesses in older women, Harper Collins 2001, Quill Editions, 2002
By Elkwiki (Own work) [CC-BY-SA-3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)%5D, via Wikimedia CommonsMon rêve, c’est qu’il y ait, près de chez moi, une forêt primaire de 50’000 kilomètres carrés et d’un seul tenant! Vierge de toute route, elle ne serait parcourue que de quelques pistes en terre. Sanctuaire pour la flore et la faune, les humains qui s’y aventureraient le feraient à leur propre risque (tout en ayant le droit de se défendre, mais uniquement en cas de nécessité absolue et en toute dernière extrémité).
C’est un rêve bizarre? Mais c’est le mien. Et le pire est que je suis intimement convaincue que sa réalisation serait largement aussi précieuse pour l’humanité que pour la faune et la flore.
Il est des lieux de la nature dans lesquels on entre comme dans une cathédrale. Cette forêt serait l’un d’entre eux. Elle serait un lieu de rayonnement, de ressourcement, d’ancrage, de quête d’appartenance et de de quête de vision comme nombre d’autres lieux sacrés.
50’000 kilomètres carrés, c’est grand. Inutile de dire que la constitution progressive d’un tel espace ne peut que susciter des résistances et des oppositions très fortes. Mais il faut une telle taille, et d’un seul tenant, pour que la vie sauvage puisse vraiment se développer, se maintenir puis se répandre.
En Europe, il ne reste plus que quelques minuscules fragments de la forêt primaire qui a jadis recouvert le continent. Il faut réparer les dégâts que nous avons fait. Ou plutôt, il faut surtout laisser la nature le faire et la protéger de toutes les interférences des humains! Et cela ne sera pas une mince affaire.
Permettre à une forêt primaire de renaître est une oeuvre de longue haleine. Peut-être un demi-millénaire, voire plus encore. C’est à l’extrême inverse de la frénésie des ruches humaines. Comment créer une organisation qui puisse agir à un aussi long terme, en évitant les dérives de toutes les organisations humaines, qui puisse s’adapter à l’évolution des sociétés dans une telle durée et qui réussissent en plus à échapper aux griffes des narcissiques, sociopathes et autre pervers qui ont une diabolique capacité à acquérir et à conserver le pouvoir dans nos sociétés? Je n’en n’ai aucune idée.
Mais c’est mon rêve. Il m’est précieux. J’ai l’audace de croire qu’il est précieux pour bien plus large que moi. Alors je le pose ici, comme une lettre ouverte à l’Univers tout entier. On verra bien ce qui en sortira.
Pour tous les êtres sur qui il m’est donné de veiller, à quelque titre que ce soit.
Quand « Le drame de l’enfant doué est paru » (*), son auteure a ouvert une brèche dans un monde jusque-là plutot lisse de la psychologie et de la psychothérapie. La brèche a été d’autant plus grande qu’Alice Miller était en rupture de ban, et que c’est un éditeur généraliste (Suhrkamp) qui a publié cet ouvrage originellement destinés aux professionnel-le-s de la relation d’aide.
Cet ouvrage a eu un succès si retentissant qu’il a été traduit en de nombreuses langues. Par chance, cette fois les francophones y ont aussi eu droit, ce qui est très loin d’être toujours le cas (**).
Alice Miller a été la première psychothérapeute à prendre ouvertement, publiquement et avec quelle force, le parti des enfants maltraités, abusés, battus, victimes de carences graves. Elle a été la première à dire haut et fort que de tels traitements sont rien moins que criminels.
Elle a décrit les mécanismes de la maltraitance, le fait que l’enfant abusé perd tout repère alors que ses parents abuseurs prétendent agir « pour son bien ». Elle a exposé l’impossibilité pour lui de les démasquer s’il n’a pas dans son entourage un « témoin éclairé » qui affirme le caractère intolérable de ce qu’il subit. Elle a montré que le traumatisme s’installait alors comme un kyste, et que la personne était le plus souvent condamnée à le répéter sous forme transposée et sans même qu’elle en ait conscience dans la suite de son existence. Devenu indicible, le trauma a alors toutes les chances de se transmettre de génération en génération, les enfants abusés devenant des parents à leur tour abuseurs quand leurs propres enfants réveillent sans le vouloir leur traumas qui doivent à tout prix être tus puisqu’ils avaient été commis « pour leur bien ».
Elle a été la première à dénoncer le fait que, loin de se restreindre au cadre familial, ce mécanisme imprègne toute la société occidentale (entre autres). Elle l’a mit en mots en parlant d’un onzième commandement (« tu ne t’apercevras de rien »), qui pose un interdit de plus sur la dénonciation de ce que l’enfant a subi de la part de ses parents et/ou de leurs proches. Avec d’autres, elle a décrit la « pédagogie noire » qui imprègne les familles et le système scolaire, qui renforce ce commandement, qui transforme l’enfant victime d’abus en un coupable qui les a suscité. Cette même pédagogie noire contribue à couper encore plus totalement les personnes de leur ressenti en ne valorisant que les capacités cognitives et en ridiculisant toutes les personnes qui ne se conforment pas à ce commandement.
Elle a également clairement mis en lumière comment nombre de religions, certains thérapeutes et certaines écoles thérapeutiques dont la psychanalyse, s’étaient faits les complices actifs ce ce système. Loin d’aider les personnes en détresse qui cherchent de l’aide, elles contribuent à les enfermer encore plus afin de faire respecter le onzième commandement. Quoi que tes parents t’aient fait, tu honoreras et idéaliseras ton père et ta mère. Tu leur pardonneras tout vu qu’ils ont agi pour ton bien!
Inutile de dire que, directement mis en cause, les milieux académiques n’ont guère apprécié et on répondu par un silence glacé. Par contre ses écrits ont eu un grand écho auprès du public, dans lequel se trouve de nombreuses personnes victimes d’abus en recherche d’une aide sincère. Ses écrits ont aussi été lus et appréciés par des thérapeutes de terrain plus ouverts d’esprit et de coeur, qui avaient parfois du faire eux-même le chemin de se libérer de leurs propres traumas.
Au fur et à mesure de ses ouvrages, elle a complété son exposé. Avec « L’enfant sous terreur » (***) et « c’est pour ton bien » (****), elle a exposé beaucoup plus en détail les mécanismes de la maltraitante et de sa transmission de génération en génération. Avec « Notre corps ne ment jamais » (*****), elle a aussi montré comment le language de notre corps pouvait nous guider dans la recherche de pistes et de traumas dont même le souvenir était scellé (on parle de « clivage »). Elle a fait un travail comparable autour de la thérapie créative et des oeuvres de personnes qui exprimaient, plus ou moins consciemment leurs traumas au travers de leur production.
Dans tout cette oeuvre elle pu prendre pour son lectorat un rôle de signe d’espoir, d’aiguillon nous poussant à ne pas abandonner, de témoin éclairé pour les adultes qui n’en n’avaient pas eu enfant, alors qu’ils étaient victimes d’abus. C’est une intuition, mais je crois très sincèrement qu’elle a contribué à ce que nombre de personnes ne perdent pas espoir et soient encore en vie aujourd’hui.
Par contre, elle n’a jamais fourni de piste pratique sur l’art et la manière de repérer et de se libérer de ses traumas. La seule fois où elle s’y est risquée, elle a recommandé une école thérapeutique dont le créateur s’est révélé être un escroc. C’était plus qu’un gros échec. Elle a continué à écrire, mais ses livres ont petit à petit perdu en impact.
Entretemps, différentes méthodes permettant de se libérer de ses traumas sont nées dans le monde anglo-saxon. Je pense en particulier à l’EMDR et au Somatic Experiencing. D’autres travaux ont mis en évidence les conséquences neurologiques de la maltraitance (******). D’autres encore commencent à montrer que cette dernière peut avoir des conséquences sur notre génome (*******). Si la situation n’est plus la même qu’au début des écrits d’Alice Miller, la seule personne qui ait pris sa succession dans la défense active des victimes est la psychiatre Muriel Salmona (*******). Cela reste un sujet « sulfureux » qu’il vaut mieux ne pas aborder quand on fait partie du monde académique, des autorités de santé ou du pouvoir politique.
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Trois ans après le décès d’Alice Miller (en 2010), parait le témoignage de Martin Miller, psychothérapeute et fils d’Alice Miller (*********). Ce dernier nous révèle l’envers du décor, envers qui éclaire les écrits d’Alice Miller sous un jour nouveau.
Alors qu’Alice Miller s’est longtemps présentée comme une psychothérapeute d’origine uniquement Suisse, Martin Miller rapelle qu’elle est née en 1923 en Pologne dans une famille juive. Au moment de l’arrivée de l’envahisseur allemand, alors qu’elle a la possibilité de s’enfuir avec des proches, elle choisit de rester pour tenter de protéger sa propre famille. Pour y arriver, elle s’évade du ghetto où elle a été alors parquée. Elle adopte alors une nouvelle identité afin de passer pour une polonaise « aryenne ». Pour survivre, elle doit effacer totalement et d’un trait de plume tout son passé. Elle arrive à faire sortir du ghetto sa mère et sa soeur qu’elle cache. Avec ses proches comme un fil à la patte, sa couverture ne peut pas être parfaite et Martin Miller sait qu’elle a subi l’insoutenable de la part d’un membre polonais de la SS, pour pouvoir survivre et continuer à cacher ses proches.
Arrivée à la fin de la guerre, cette tragédie reste indicible et elle ne peut pas retrouver son ancienne identité. Elle doit rester « clandestine » dans ce nouveau monde et son passé, son enfance, la guerre reste un secret à taire et à cacher à tout prix.
Elle réussit à émigrer en Suisse et y devient psychanalyste dans les années 50. En Suisse, la vie n’est pas facile pour elle. Après des années de privation, le choc de se retrouver dans un pays qui n’a pas connu la famine est terrible. Sa vie privée y est très difficile et elle finira par divorcer de son compagnon, venu avec elle de Pologne, dont elle ne voulait en fait pas, et qui portait le même prénom que le SS qui avait abusé d’elle pendant la guerre. La relation avec son fils est aussi difficile. Ce fils qui lui rappelle le mari dont elle ne voulait pas et qui l’a encombrée pendant des années. Enfin, elle est témoin des querelles de chapelle et des luttes de pouvoir au sein de la communauté psychanalytique suisse. Pendant longtemps, elle prend la défense des groupes conservateurs alors même qu’elle avait une perception de plus en plus critique de la psychanalyse.
Au moment où elle se met à écrire, elle rompt définitivement avec la psychanalyse et elle cesse progressivement sa pratique. Cela la privera de la possibilité de continuer à vérifier ses intuitions sur le terrain. Alors même que ses dénonciations de la maltraitance sont de plus en plus claires et radicales, sa relation avec son fils devenu adulte reste extrêmement difficile, pour ne pas dire maltraitante. Poussé par elle dans les bras du seul thérapeute qu’elle ait jamais recommandé, il lui faudra arriver à le démasquer et à prouver qu’il était un escroc (alors même qu’il y avait une collusion entre ce dernier et sa mère) pour avoir enfin la paix! Elle rompt aussi avec toutes les personnes, parfois des amis de longue date, qui à une occasion ou à une autre, abordent le sujet de la shoah et l’interrogent sur son propre vécu.
Ca n’est qu’à la toute fin de sa vie qu’elle reconnaitra le caractère abusif de son comportement envers son fils et aussi le poids énorme des ses traumatismes de guerre, jamais abordés, dans sa vie et son comportement depuis la libération.
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Il est important de noter que Martin Miller n’a pas écrit un livre « règlement de comptes » et c’est tout à son honneur, vu la relation entre sa mère et lui. Bien au contraire, il reconnait et se réclame des thèses initiales D’Alice Miller (ses trois premiers livres qui traitent du drame de l’enfant doué, de la pédagogie noire, du 11ème commandement, et de la complicité de la psychanalyse dans le système de pédagogie noire). Là où il ne peut plus adhérer c’est quand sa mère affirme qu’une personne peut se libérer seule de ses traumas et quand ses écrits sont tordus par ses propres traumas dont elle n’a pas conscience.
Par contre, il remarque que la première personne dont Alice Miller parle dans « le drame de l’enfant doué », c’est d’elle-même! Son livre n’aurait sans doute pas été aussi percutant si elle n’avait pas pu puiser son matériau dans sa propre existence. Le deuxième enfant doué ce cette histoire, c’est sans doute Martin Miller qui a réussi à lever le secret sur les traumatismes de guerre de sa mère et sur leurs conséquences dans leur vie et dans ses écrits. On peut aussi noter que, faute d’avoir se libérer de ses traumatismes de guerre, la vie privée d’Alice Miller illustre à la lettre ses écrits publics à savoir les conséquences des traumatismes, l’impact du secret dans lequel ils reposent et leur capacité à se transmettre de génération en génération.
Au delà de l’histoire d’Alice Miller et de son fils, la leçon absolument vitale de ce témoignage, c’est de se souvenir que les thérapeutes sont eux aussi des êtres humains avec leur part de traumas plus ou moins bien assumée (et de conditionnement sociaux), et qu’ils sont de ce fait des guérisseurs blessés. Se retrouver devant un thérapeute qui n’en n’a pas conscience avec acuité et qui n’a pas l’humilité correspondante doit résonner en vous comme un très gros signal d’alerte. Si quelqu’un se pose en maître à penser et/ou affirme ne pas/plus avoir de problème, vous savez ce qu’il vous reste à faire!
L’autre leçon est que l’interaction entre la personne aidante et la personne aidée est inévitablement compliquée et qu’il est difficile de savoir avec certitude si elle est saine ou pas. Quand, par exemple, un thérapeute se trouve face à une personne qui veut se suicider et qu’il réagit en ordonnant un placement « non volontaire » en institution psychiatrique, à partir de quoi réagit-il? De ses propres secrets de famille? Du suicide d’un de ses proches durant son enfance? Des conditionnements sociaux qui ont posé un tabou sur le suicide? Ou d’un souci réel pour une personne qui serait effectivement dans une dépression assez lourde pour ne plus être (temporairement) capable de discernement? Et qu’est-ce qui motive l’autre personne? Comment trancher et savoir?
Autrement dit, qu’on soit d’un côté ou de l’autre d’une relation d’aide, on sait (peut-être) un peu qui on est et, à coup sûr, on ne sait pas qui est l’autre. Cela exige des deux parties de ne jamais abandonner leur autonomie et d’assumer pleinement leur responsabilité. Si vous êtes en désaccord avec le feedback de votre thérapeute et que la relation ne vous convient plus, surtout n’hésitez pas à aller voir ailleurs. Que vous restiez ou que vous partiez, c’est à vous d’être attentif aux fruits de vos actes et de vous ajuster en conséquence. La réciproque est vraie pour les personnes aidantes.
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Dans la bibliographie ci-dessous, j’ai mentionné à la fois les rites originels en allemand et ceux en français. Il se trouve que les titres en allemand sont beaucoup plus parlants que ceux des traductions.
(*) Alice Miller, Das Drama des begabten Kindes une die Suche nach dem wahren Selbst, Suhrkamp Verlag, 1979
Le drame de l’enfant doué, A la recherche du vrai soi, PUF, 1983, 2013 pour l’édition la plus récente au moment de la rédaction de ce billet
(**) En plus de la kyrielle d’ouvrages essentiels non traduits en français, je suis toujours surprise de voir la qualité, disons, très inégale, de ceux qui sont tout de même traduits. C’est ainsi que, par exemple, il manque toujours 5 chapitres à l’édition française de « On Becoming a person » de Carl Rogers, ouvrage qui date pourtant des années 60…..
(***) Alice Miller, Du sollst nicht merken, Suhrkamp Verlag, 1981
L’enfant sous terreur, L’ignorance de l’adulte et son prix, Aubier, 1986
(****) Alice Miller, Am Anfang war Erziehung, Suhrkamp Verlag, 1980
C’est pour ton bien: Racines de la violence dans l’éducation de l’enfant, Aubier, 1984
(*****) Alice Miller, Die Revolte des Körpers, Suhrkamp, 2004
(********) Muriel Salmona, Le livre noir des violences sexuelles, Dunod 2013
(*********) Martin Miller, Das wahre ‘Drama des begabtes Kindes’: Die Tragödie Alice Millers – Wie verdrängte Kriegestraumata in der Familie wirken, Kreuz Verlag, 2013
Le vrai drame de l’enfant doué, La tragédie d’Alice Miller, PUF, 2014
Avec quelques autres (Sandra Ingermann, Barbara Tedlock, etc.), Michael Harner fait partie des auteurs dont l’expérience et le sérieux en matière de chamanisme est indiscutable à mes yeux.
Publié en 1980, the way of the shaman (2011 pour la traduction française (*)) et sa définition d’un « chamanisme essentiel », commun à la plupart des traditions (et diffusé via sa fondation), a fortement contribué à faire connaître et à populariser les pratiques chamaniques auprès des personnes vivant en occident.
Sa démarche n’est, bien sûr, pas restée sans critique.
Pour les anthropologues des années 70, Michael Harner a « franchi le rubicond » et « trahi la cause » en acceptant le bien fondé des expériences des personnes des peuples premier qu’il rencontrait, en se faisant initier et en diffusant leur expérience sans la distance, la critique, le scepticisme et le paternalisme indispensable à leurs yeux.
A vouloir définir un ensemble de pratiques conçues comme « essentielles », il en a inévitablement exclu d’autres (comme, par exemple, la référence aux quatre directions de la roue de médecine et l’ensemble des expériences chamaniques spécifiquement féminines (**)). Il a sorti les pratiques qu’il considère comme essentielles des contextes culturels dans lesquelles elles existent aujourd’hui. Ceci a suscité la fureur des personnes pour qui ces éléments sont essentiels.
Quant à l’accusation qu’on lui a faite d’avoir « volé le savoir des peuples premiers » et de se contenter de « faire de l’argent sur leur dos », je sais par ma propre expérience que, pour faire fonctionner une fondation et pour financer des recherches, il faut de l’argent. Le fait de rendre les stages de la FSS payants (et à un coût raisonnable) ne signifie pas que Michael Harner se soit enrichi personnellement.
A mes yeux, le voyage chamanique dans les mondes d’en haut et d’en bas au son du tambour (et sans la moindre utilisation de substance) que définit le « chamanisme essentiel » est en effet une pratique de base. Le chamanisme ne se réduit pas à cela, bien sûr. Mais c’est un outil qui, une fois qu’il est un peu intégré, permet aux personnes qui le souhaitent de poursuivre leur chemin par elles-mêmes et avec les guides qui leur correspondront. Une correspondance avec des membres de la faculté de la Foundation for Shamanic studies m’a confirmé que c’est ainsi qu’elles perçoivent leur mission.
Trente ans après son premier ouvrage, Michael Harner vient d’en publier un deuxième, « Caverne et cosmos », fruit de ses expériences durant toutes ces années et de son parcours de vie (***). Dans ce texte, très riche, il partage ses expériences de vie qu’il juge essentielles. Certaines de ces dernières sont liées à son propre parcours de vie et à sa recherche d’esprits alliés pour pouvoir mener son propre chemin. Une autre, plus générale est que les esprits sont réels (ce ne sont pas que des archétypes), qu’ils aspirent à être reconnus et qu’ils agissent en ce sens à de nombreuses occasions.
Une autre encore est une synthèse des expériences faites par des personnes d’occident lors de voyages chamaniques. C’est un peu comme la première exploration d’un nouveau monde. La carte n’est de loin pas complète. Elle l’est d’autant moins que la manière dont chaque personne fait ce genre d’expérience est unique et personnalisée. Cela me semble néanmoins important de constater que ces personnes refont des expériences que les chamanes des peuples premiers ont fait depuis des millénaires. J’espère que cela contribue et contribuera toujours plus à ce que ces peuples soient respectés, que l’importance et la valeur de leur apport soit reconnue, que leur dignité, leurs droits et leurs terres soient tout autant pris en compte et respectés.
Il me semble tout aussi important de noter que les personnes qui entreprennent ce genre de parcours font l’expérience que nous ne sommes pas séparés des autres êtres vivants et de la nature, mais que nous formons un tout interdépendant, que nous nous devons de le respecter. Ce faisant, nous vivons un sentiment « d’être reliés » très puissant et satisfaisant.
Pour finir, cette synthèse reprend les expériences de personnes qui ont des origines fort diverses. Il est possible de venir d’un environnement chrétien, bouddhiste ou autre et de faire l’expérience de voyages chamaniques. Les résultats sont parfois surprenants et ils peuvent aider à ce que les uns acceptent mieux les expériences et les parcours des autres et réciproquement.
Bref, ce texte me parait vraiment très riche et susceptible de toucher tant les personnes qui ont déjà fait l’expérience de voyages chamaniques que les personnes qui sont curieuses ou qui s’intéressent à ce que cela peut représenter.
Reproduction de cartes datées d’environ 1420 et appartenant au jeu « Pierpont-Morgan Bergamo Visconti-Sforza »
Voilà bien une activité un peu sulfureuse pour une ingénieure! Mais j’aime bien tirer les cartes.
La divination est une activité humaine très ancienne, qui fait partie d’un très grand nombre de traditions chamaniques de par le monde. Ca ne me surprend pas vraiment de voir que tous les peuples qui ont disposé de l’imprimerie ont utilisé les cartes comme support pour cette pratique.
Selon les résultats de mes petites recherches sur Internet, il semblerait que les jeux de cartes soient nés en chine au 7ème siècle, époque où les chinois maitrisaient déjà la xylogravure ((*), (**) et (***)). Elles seraient apparues en Europe vers la fin du 14ème siècle via l’Egypte et l’Italie. Le Tarot serait apparu à la cour de Milan entre 1440 et 1450 (**). Son utilisation divinatoire est explicitée pour la première fois dans le 8ème volume du « Monde primitif » D’antoine Court de Gébelin (****), publié entre 1773 et 1782. Par contre il n’est pas possible de dater cette même utilisation dans la culture populaire, faute de trace écrite. Entretemps, les tarots se sont déployés dans différentes éditions, française, italienne, allemande, anglaise, etc. correspondant à des pays et des langues différentes. Les symboles représentés dans les différentes éditions et leur interprétation a aussi évolué dans le temps. Cette tradition est restée vivante et évolutive.
Aujourd’hui, en plus des tarots, la variété des jeux de cartes divinatoires a explosé. Il y a ceux qui se conforment au format du tarot (« tarots zen », « tarot des anges », « cartes de l’enfant intérieur », …) et d’autres qui s’en libèrent (« Les messages de l’univers », « cartes oracle des déesses », etc.). Et ils ont un succès certain.
Mais à quoi bon?
Pour commencer, nombre de ces jeux de carte sont superbes et ils me plaisent. Leur iconographie est magnifique et c’est un plaisir pour moi que de les contempler.
Jouer avec des amies est aussi quelque chose d’agréable. Ces cartes permettent souvent des partages sur des sujets un peu inhabituels que nous n’aurions pas abordé autrement.
Tirer les cartes est un moyen de me mettre à l’écoute de mon intuition et de découvrir où elle me mène. Ecouter mon intuition de cette manière (il y en a de nombreuses autres) me rapproche d’une longue tradition et me raccroche à une pratique chamanique très ancienne et universelle. Cela est important pour moi.
Quand je suis particulièrement centrée et ancrée, c’est un moyen de donner la parole à mon inconscient, à différents niveaux de profondeur. Il en sort souvent des choses censées, et parfois des choses qui m’étonnent vraiment.
Dans les moments où je suis au meilleur de ma forme, particulièrement paisible, centrée et ancrée, c’est là que sortent les tirages les plus significatifs, les plus parlants. C’est comme s’ils allaient puiser dans des couches très profondes, auxquelles je n’ai habituellement pas accès, presque comme un au delà de moi.
Dans mon expérience, c’est aussi important de choisir le bon jeu avant un tirage. Chacun a son propre langage et inutile de demander aux cartes médecine de Jamie Sams de prévoir un bouleversement de ma vie quotidienne! Elles ne s’adressent pas à ce niveau là. Et cela justifie le plaisir de multiplier les jeux de cartes….