Archives pour la catégorie spiritualité

Spiritualités à l’ère du « Je »

 

One of the many Native Alaskan totem poles on display at Sitka National Historical Park, Alaska. Photograph by Robert A. Estremo, copyright 2005.
One of the many Native Alaskan totem poles on display at Sitka National Historical Park, Alaska. Photograph by Robert A. Estremo, copyright 2005.

 

Traditionnellement, la Suisse a accordé peu de priorité à la recherche en sciences sociales. Il y a cependant au moins une exception, à savoir la sociologie de religions, qui est régulièrement stimulée par des programmes de recherches pluriannuels. Ces derniers donnent très souvent lieu à des publications intéressantes.

Le dernier, le programme national de recherche No 58 dont le titre était «collectivités religieuses, état et société» (1), s’est terminé en 2012. Son module No 5, qui s’intéressait à la manière dont les Suisses et les Suissesses se situent par rapport aux religions et à la spiritualité (2) va enfin voir ses résultats paraître en langue française sous une forme étendue. Jusqu’à maintenant, seuls des résumés étaient disponibles online (3). L’ouvrage qui décrit ses résultats de manière plus approfondie est paru en 2014 en langue allemande (5). et il va paraître en langue française aux éditions Labor et Fides dans les jours qui viennent (6). Je trouve juste regrettable que le titre originel (« Religion und Spiritualität in der Ich-Gesellschaft») ait été traduit en («Religion et spiritualité à l’ère de l’ego»). En allemand, le «ich» est le «je». Le traduire par le terme «d’égo» porte indirectement un jugement de valeur négatif sur le «je» en question.

Sur le fond, le constat de ce programme de recherche est intéressant à plusieurs titres:

  • Les «institutionnels», pratiquants (catholiques et réformés) assidus et aux valeurs très conservatrices, sont clairement minoritaires (17%)
  • En regroupant 10% de la population, les «séculiers» (indifférents ou antireligieux) sont toujours minoritaires, mais ils sont clairement visibles.
  • La grande majorité de la population (64%) se définit comme «distanciée». Sans rejeter complètement son appartenance à une institution religieuse, sa pratique est très occasionnelle et la religion a, en fait peu d’importance pour elle.
  • Il existe une dernière minorité qui devient elle aussi visible, à savoir les personnes «alternatives» qui représentent 9% de la population. On retrouve dans cette catégorie des personnes ayant de très nombreuses approches (bouddhistes, tantriques, yogis, praticien-ne-s du chamanisme et/ou des formes féminines de spiritualité, etc.). Toujours selon cette étude, ce sont les membres de ce groupe qui ont les valeurs les moins conservatrices.

Contrairement à ce que certains avaient prédits, la Suisse du début du 21ème siècle ne s’est pas recentrée autour des phénomènes religieux. Elle n’est pas non plus devenue fortement séculière, même si ce groupe est en nette progression. D’aucuns diront qu’elle est dans un entre deux qui est typiquement suisse.

Avec 64% de distancié-e-s, il est clair que les Suissesses et les Suisses ne font plus confiance, ou, en tout cas, n’ont plus une confiance aveugle, dans les institutions religieuses traditionnelles.

Avec 9% d’alternatif-ve-s, il y a au moins une minorité qui se sent tentée d’expérimenter autre chose qui pourrait mieux lui correspondre. Cette minorité est souvent regardée avec suspicion. Ses pratiques sont soupçonnées de sectarisme, source de nombreux dangers. De toute évidence, le risque est réel et il arrive régulièrement que des groupes soient dénoncés pour des pratiques douteuses. Mais est-ce qu’il est moindre dans les groupes majoritaires? Ca n’est pas parce qu’ils ont pignon sur rue et qu’ils sont fortement implantés depuis des siècles que leurs pratiques sont nécessairement différentes. Sans remonter au Kulturkampf, force est de constater que ce sont ces mêmes groupes qui se sont massivement mobilisés contre l’avortement, qui continuent à vouloir réduire les femmes à l’état de domestiques, qui ont lutté contre le partenariat civil enregistré (et le mariage pour tous en France), contre toute forme d’adoption par les couples hétérosexuels, qui prétendent toujours avoir toute la vérité à eux seuls, etc.

Il me semble que le fait de promouvoir des chartes de bonnes pratiques que devraient respecter tous ces groupes (minoritaires ou non) pourrait contribuer à mettre des garde fous et à limiter les conséquences en cas de dérive, en tout cas parmi les groupes qui les respecteraient.

La toute première de ces pratiques, qui devrait aller de soi, serait d’exiger une révision des comptes par une institution fiduciaire externe.

La deuxième consisterait pour ces institutions à proclamer qu’elles ont conscience de représenter un chemin parmi d’autres, qu’elles admettent ne pas avoir toute la vérité (tout au plus elles cherchent la leur) et qu’elles s’engagent à ne pas vouloir imposer leurs règles et leurs comportements à la société civile.

La troisième consisterait à proclamer que l’institution a pour valeur fondamentale le respect de l’autonomie de chaque personne, y compris de ses membres et y compris vis à vis d’elle-même. Pour ce faire, elle prend plusieurs mesures:

  • Elle s’engage à ne pratiquer aucune discrimination qu’elle qu’elle soit, y compris de race, de sexe, de genre, d’orientation sexuelle, d’identité de genre ou pour quelque autre motif que ce soit
  • Elle exige de chaque personne engagée en son sein de se faire superviser (pour leur pratique au sein de l’institution) à ses frais, par une personne officiellement agréée et complètement indépendante de l’institution.
  • Elle exige de chaque personne engagée en son sein de travailler à son développement personnel, là encore à ses frais et par une personne complètement indépendante de l’institution.
  • Elle institue une commission chargée de traiter les plaintes (non respect, manquement à l’éthique, etc.). Cette commission a un pouvoir de décision et elle est composée au moins pour moitié de personnes indépendantes de l’institution.
  • Elle mandate une commission de «révision éthique» elle aussi externe afin d’arbitrer les questions de conflits de pouvoir, d’influence, les désaccords majeurs, voire les dissidences.
  • Elle organise des mécanismes permettant aux personnes de la quitter aisément et sans pression du groupe.
  • Elle organise des mécanismes permettant aux sous-groupes dissidents de se séparer aussi paisiblement que possible. En se constituant en groupes autonomes, ces derniers doivent reprendre ces obligations à leur propre compte.

Tout cela peut paraître très administratif. Mais les scandales qui éclaboussent certaines groupes, dont des groupes ayant des centaines de millions de membres de par le monde, montre que tous profiteraient de règles de ce type.

Sans être parfaites, elles constitueraient des garde-fous relativement solides. Ces derniers pourraient aider les personnes à chercher leur chemin là où elles le sentent juste avec un minimum de garanties de sécurité.

Elles permettaient aussi à des groupes alternatifs d’établir le sérieux de leur comportement et de leur pratique. Ceci pourrait aussi contribuer à permettre à plus de personnes de tirer parti de facettes de l’expérience humaine qu’ils portent et qui peuvent être précieux pour de très nombreuses personnes.

(1) PNR 58: Collectivités religieuses, état et société: http://www.nfp58.ch/f_index.cfm

(2) Module 5: les différentes formes de la vie religieuse: http://www.nfp58.ch/f_projekte_formen.cfm?projekt=137

(3) Collectivités religieuses, état et société (résumé des résultats): http://www.nfp58.ch/files/downloads/NFP58_SS25_Stolz_fr.pdf

(4) La religion à l’ère de l’égo: http://www.snf.ch/fr/pointrecherche/newsroom/Pages/news-141027-communique-de-presse-religion-ere-ego-pnr-58.aspx

(5) J. Stolz, J. Könemann, M. Schneuwly Purdie, T. Englberger & M. Krüggeler (2014). Religion und Spiritualität in der Ich-Gesellschaft. Vier Gestalten des (Un-)Glaubens. Zurich: TVZ/NZN.

(6) J. Stolz, J. Könemann, M. Schneuwly Purdie, T. Englberger & M. Krüggeler (2015). Religion et spiritualité à l’ère de l’ego. Quatre profils d’(in-)fidélité. Genève: Labor et Fides.

Notre relation à la nature, peut-être plus compliquée qu’imaginé

Ficus Benghalensis, un figuier étrangleur, photo de Forest & Kim Starr, Wikimedia Commons http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Starr_010420-0095_Ficus_benghalensis.jpg)
Ficus Benghalensis, un figuier étrangleur, photo de Forest & Kim Starr, Wikimedia Commons http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Starr_010420-0095_Ficus_benghalensis.jpg)

 

Pour moi comme pour de très nombreuses personnes, me ressourcer en pleine nature, en particulier en forêt, est essentiel. Les temps que j’y passe me changent. Le seul fait de sentir l’espace, l’air, la lumière, les arbres et les plantes autour de moi, écouter les oiseaux, être juste là, prendre le temps, fait que je me recentre, que je m’ancre. J’ouvre mes perceptions, je me sens en lien avec la nature qui m’entoure. Cela me donne envie d’y rester plus longtemps, d’y revenir, d’y passer bien plus de temps que ce que je peux faire. Le retour au quotidien, en particulier professionnel, est peu agréable même si je me sens revivifiée. Je ne peux que constater le contraste entre cet espace si précieux et mon quotidien si différent.

Pour autant, j’ai du mal quand j’entends des personnes autour de moi, qui vont presque jusqu’à diviniser la nature, tout en diabolisant les êtres humains. Au fond de moi, cela ne sonne pas juste. Nous venons de la nature, nous en sommes une partie. Comment pouvons-nous être si mauvais en venant d’une nature quasi parfaite, ou inversément?

En fait, les êtres qui nous fascinent le plus sont loin d’être toujours des saints selon nos critères moraux, et de loin s’en faut.

Les chimpanzés qui sont si proches de nous peuvent aussi s’entretuer ou tuer un des leurs (pour des raisons qui souvent nous échappent). Il leur arrive régulièrement de chasser d’autres singes et de s’en prendre tout particulièrement à leurs petits, plus faciles à attraper. Même vu à distance dans un reportage, pour moi c’est particulièrement remuant (1).

Nous savons qu’un lion peut dévorer les petits d’une portée qu’il n’a pas produit, mais après tout, c’est un «grand méchant prédateur» dans notre représentation. En fait, certains des animaux que nous trouvons les plus adorables sont autant des prédateurs que les lions et ils peuvent avoir des pratiques tout aussi terribles. En cas de famine, les loutres de mer mâles n’hésitent pas à kidnapper des petits pour obtenir de la nourriture de leur mère (2). Ils ne rechignent pas non plus à abuser sexuellement de bébés phoques jusqu’à les noyer, et à continuer au-delà de leur mort (3). Les dauphins ont les mêmes pratiques entre eux, ils tuent les petits des femelles pour les pousser à redevenir fécondes. Il leur arrive également de tuer des marsoins sans les manger ni faire quoi que ce soit de leurs cadavres (4). Quant un banc de dauphins arrive, même les requins qui nous font frémir se cachent. Des phoques sont également connus pour abuser sexuellement de manchots (5). Je suis sûre qu’on peut trouver bien d’autres cas encore. En passant, les végétaux aussi ont leurs histoires fratricides. Intéressez-vous, par exemple, aux figuiers étrangleurs.

D’aucuns diront qu’il s’agit des lois de la nature, que nous ne devons pas lui appliquer nos critères moraux et qu’elle vit selon des règles qui lui sont propres. Mais cet argument est problématique pour au moins deux raisons:

Sur le plan des faits, cette affirmation ne tient pas la route. Les éthologues ont montré que les grands primates sont extrêmement proches des êtres humains sur le plan de leurs capacités affectives et relationnelles ((6), (7), (8), (9)). Ils sont parfaitement capables d’empathie, de solidarité, de se mettre délibérément en danger pour sauver l’un des leurs, de tenir compte de de l’autre et de sa réaction probable pour moduler leurs propres actions, etc. Les chimpanzés qui peuvent être extrêmement violents sont aussi très doués en matière de réconciliation. Quant à leurs mœurs politiques, elles ressemblent étrangement aux nôtres! Par ailleurs, un certain nombre d’autres mammifères manifestent clairement de l’empathie au moins dans certaines situations.

Ceci signifie qu’on ne peut pas affirmer que la nature et les humains sont deux univers différents régis par des lois différentes. En fait, nous sommes des grands primates très proches des autres, un très grand nombre de nos réactions et de nos actions ressemblent de si près aux leurs qu’on peut dire que nous sommes infiniment plus animaux que nous voulons l’admettre, tout comme les autres animaux, en particulier les mammifères, sont infiniment plus proches de nous que nous ne voulons l’admettre. En d’autres termes, nature et culture ne sont pas complètement disjointes et cela rend les choses très compliquées.

L’autre point est que, si la nature nous est si précieuse comme lieu de ressourcement et de recentrement, c’est qu’elle a pour nous une connotation morale, voire spirituelle. Les peuples premiers parlent de la Terre Mère et cette dernière est infiniment précieuse. Ils nous voient au service de sa préservation, en contraste avec la vision occidentale qui est une vision d’asservissement de cette dernière. Alors il n’est pas indifférent d’y constater des choses qui ressemblent à nos pires turpitudes. Et comment concilier ces dernières avec la valeur spirituelle que représente pour nous la nature?

Pour moi, la pire des choses est le déni de ce problème. Nous sommes des animaux comme les autres, ces derniers sont bien plus proches de nous que nous ne voulons l’admettre et il arrive même à ceux qui nous fascinent le plus d’agir d’une manière qui nous révulse tout autant que nos pires actions. Pour autant, le contact avec la nature et les autres être vivants nous est infiniment précieux, il a pour nous une dimension spirituelle. Dont acte.

Il me semble tout aussi essentiel d’éviter d’utiliser les actes des uns pour justifier ceux des autres et réciproquement. Constater des comportements terribles dans la nature ne justifie en rien la barbarie de certaines de nos actions.

Il y a en moi et en de très nombreuses personnes le souci de préserver la vie et la nature, d’en prendre soin, de l’aider à grandir et à s’accomplir. Cela ne signifie pas approuver ce qui s’y passe de pire, d’où que cela provienne. Mais c’est cette attention intérieure à la vie qui vibre quand je suis au contact de la nature. En prendre soin de manière respectueuse me fait grandir intérieurement. A nous et à nos descendant-e-s d’observer les fruits de nos actes. Sommes-nous capables de prendre soin de nous et d’elle «jusqu’à la 7ème génération» comme le souhaitent les peuples premiers?

(1) David Attenborough, the life collection: http://www.amazon.co.uk/The-Life-Collection-David-Attenborough/dp/B000B3MJ1E

(2) Animals can be giant jerks: http://www.iflscience.com/plants-and-animals/animals-can-be-giant-jerks

(3) The other side of otters: http://news.discovery.com/animals/the-other-side-of-otters.htm

(4) ‘Porpicide’: Bottlenose dolphins killing porpoises: http://www.sfgate.com/news/article/Porpicide-Bottlenose-dolphins-killing-porpoises-2309298.php

(5) Seals accused of sexually attacking penguins: http://www.huffingtonpost.com/2014/11/17/seals-sex-penguins_n_6170770.html

(6) Frans De Waal, Our Inner Ape: The Best and Worst of Human Nature, Granta Books; New edition edition (4 Sept. 2006)

(7) Frans De Waal,The Age of Empathy: Nature’s Lessons for a Kinder Society, Souvenir Press Ltd (1 Oct. 2010)

(8) Frans De Waal, Chimpanzee Politics: Power and Sex among Apes, ohns Hopkins University Press; 25th anniversary edition edition (30 Aug. 2007)

(9) Frans De Waal, The Bonobo and the Atheist: in Search of Humanism Among the Primates, W. W. Norton & Company; Reprint edition (8 April 2014)

Solstice d’hiver

Dawn near stonehenge,Photograph by Mike Peel (www.mikepeel.net), published under creative Commons license
Dawn near stonehenge,Photograph by Mike Peel (www.mikepeel.net), published under creative Commons license

Le solstice d’hiver a eu lieu ce matin 22 décembre à 00H03. Lors de ce dernier, la déclinaison du soleil est à son minimum. La journée durant laquelle se produit cet événement est aussi la plus courte. L’hiver « administratif » est défini comme le temps qui sépare le solstice d’hiver et l’équinoxe de printemps.

Traditionnellement, l’hiver est associé au noir (les nuits sont les plus longues) au froid, au repos, à l’intériorité, à l’attente, au yin, à la réceptivité. C’est peut-être parce que nous avons toujours besoin de cet espace que nous vivons aussi mal la frénésie qui s’empare de nos sociétés de consommation à cette même période.

Je sais que, pour moi, m’arrêter à ce moment de l’année est très important.

Les savoir qui sont liés à la symbolique de cette période de l’année sont oraux et, en Europe continentale au moins, ils ont été soigneusement éradiqués par 2000 ans de christianisme hégémonique.

Mais nous avons toujours la capacité de plonger au tréfonds de nous-même, de nous connecter à notre part de « plus grand que nous », de connexion à l’univers, à la Terre Mère, à celles ou ceux qui nous guident, quels qu’en soient le nom. Ce faisant nous avons la possibilité de reconstruire un nouveau savoir, une nouvelle expérience, qui corresponde aux êtres que nous sommes aujourd’hui, qui intègre notre modernité avec notre part intuitive, liée à une expérience spirituelle que l’humanité vit depuis des millénaires.

L’enjeu, c’est de retrouver une part de sens, de connexion et de plénitude qui nous fait si souvent défaut dans nos vies trépidantes.

Et il n’y a nul besoin de « gourou ». Cette expérience est communautaire et la part qu’apporte chacun-e est précieuse. Il ne s’agit pas de remplacer un carcan par un autre, mais de permettre aux êtres humains qui le souhaitent de retrouver un ancrage intérieur qui leur permette de mener leur vie en référence à leur propre conscience et librement.

 

Etre rebelle et vivre avec

 

Le rebelle, Osho Zen Tarot, 1994 Osho International foundation, Suisse, 2005, AGM AGMüller, CH–1812 Neuhausen pour l’édition française
Le rebelle, Osho Zen Tarot, 1994 Osho International foundation, Suisse, 2005, AGM AGMüller, CH–1812 Neuhausen pour l’édition française

 

Pour la plupart des personnes, être un-e rebelle, signifie être en révolte permanente contre tout et contre tout le monde. C’est rarement vu comme quelque chose de positif.

Par hasard, chez une amie, je suis tombée sur une autre vision. Elle possède une édition du jeu de tarot Zen de Osho. En tirant une carte, je suis tombée sur celle du rebelle. C’est la quatrième arcane majeure, qui dans le tarot traditionnel est la carte de l’empereur. Le petit livret d’explication qui venait avec les cartes, disait, entre autres que:

“L’être accompli est l’étranger le plus frappant dans ce monde. Il semble n’appartenir à rien ni à personne. Aucune organisation, aucune société et aucune nation ne peut l’influencer”

Je ne me sens absolument pas “accomplie” ni quoi que ce soit de ce genre! Par contre, je dois bien constater que je suis ainsi faite que je ne rentre dans aucune case préexistante. J’ai cherché ma place dans de nombreux lieux et groupes et, où que j’arrive, je me suis toujours sentie en porte à faux. Pour moi les choses sont “différentes”, “pas aussi simples”, “plus complexes”, etc. Et je connais un certain nombre de personnes qui se sentent dans le même cas de figure.

Pour moi, ne rentrer dans aucune case, ça n’est pas du tout la même chose que d’être en révolte permanente. Pour autant, cela n’est pas nécessairement confortable, loin de là.

Comme les autres êtres humains, j’ai besoin de me sentir appartenir à un groupe ou à un clan. Ne rentrer dans aucune case, c’est me sentir n’être nulle part vraiment à ma place et je dois assumer la solitude qui va avec. L’assumer n’est pas toujours facile ni agréable.

Quand, pour soi, “c’est différent”, “plus compliqué”, les réponses des autres, qu’il s’agisse de spiritualité, de développement personnel, du sens de sa propre vie, de sa manière d’être au monde, etc, n’ont que peu de pertinence. Comme pour les autres personnes qui sont dans ce genre de parcours de vie, je me dois de trouver mes propres réponses et de faire mon propre chemin.

Cela peut avoir des côtés très stimulant que de trouver sa propre route dans la vie, cela peut l’être encore plus quand elle nous est vraiment adaptée. Mais cela demande là encore d’assumer une part certaine de solitude. Cela peut aussi demander d’assumer une grande part de distance voire de rejet de la part de la majorité des autres pour qui “tout tourne rond”, et qui trouve son confort en suivant le chemin et le parcours de vie de son entourage.

Comme les autres personnes atypiques, je suis confrontée à ma propre acceptation (ou non) de ma différence et de mon parcours de vie. Il me faut intégrer d’une manière où d’une autre que je vis dans un monde dans lequel je suis une bête curieuse aux yeux des autres, et qui plus est pas bien adaptée. Etant par exemple, une personne douée d’une très grande sensibilité, la dureté du monde du travail actuel m’est proprement insupportable et me rendre la vie difficile.

Bien sûr que de développer et d’utiliser au maximum mes ressources, de me créer un réseau de proches respectueux et bienveillants, de me trouver un job plus ou moins supportable m’aide à rendre la situation aussi vivable que possible. Mais elle a une dimension existentielle qui demeure malgré tout. “Qu’est-ce que je fais sur cette f… planète?”, “pourquoi moi? Je n’ai strictement rien demandé de tel!”, etc.

Que faire? Comment vivre en paix malgré cette douleur existentielle? A défaut d’une recette magique, j’en suis à prendre acte que, “oui, c’est ainsi”, que la vie dans la société a laquelle j’appartiens à des moments affreux, qu’avec ma sensibilité et mon éthique j’en prends régulièrement plein la figure, que de faire face aux aspects mortifères de ce quotidien me consomme une énergie énorme, que je ne suis pas adaptée à cette planète et encore moins à la société humaine qui m’entoure. Prendre acte est important pour moi. Ca me pose. Cela m’aide aussi à moins me débattre ce qui me consomme aussi beaucoup d’énergie. Cela m’aide encore à revenir à ma source intérieure, à me centrer sur ce qui m’est essentiel et qui nourrit ma vie. Mais cela reste une lutte de tous les jours.

Le millionième cercle

Jean Shinoda Bolen, The millionth circle Conari Press, 2003
Jean Shinoda Bolen,
The millionth circle
Conari Press, 2003

En 2003, la thérapeute Jungienne Jean Shinoda Bolen a publié « The Millionth circle – How to change ourselves and the World – The essential guide to women circles » (« Le millionième cercle – Comment nous changer nous-mêmes et changer le monde – Le guide essentiel pour les cercles de femmes »). Elle avait déjà beaucoup écrit sur les archétypes féminins ((*), (**)) et ses textes sont traduits en de nombreuses langues, sauf, comme d’habitude, en français!

Avec cet ouvrage, Jean Shinoda Bolen a popularisé et réintroduit une tradition de nombre de peuples premiers, à savoir le cercle des femmes du clan. C’est très souvent un espace égalitaire (un cercle), un lieu de pouvoir pour les femmes, un espace de transmission, d’initiation, de solidarité, de stimulation et de compagnonnage.

C’est aussi une tradition que toutes les cultures patriarcales, en appliquant le principe « diviser pour régner » se sont efforcées d’éradiquer totalement. Tant que les femmes sont des rivales et sont complètement centrées sur les hommes, elles ne se constituent pas en tant que groupe et elles ne se révoltent pas pour faire entendre leur voix….

Jean Shinoda Bolen a aussi décrit sa vision en prenant pour analogie l’expérience bien connue de singes macaques  vivant dans des îles japonaises. Sur l’une de ces îles, les singes étaient nourris par les humains qui les étudiaient. A un moment donné, une jeune femelle s’est mise à laver sa nourriture (des patates douces si ma mémoire est bonne) à l’eau de mer. Sa pratique s’est lentement répandue chez tous les jeunes du clan. Avec le temps, les autres clans de singes de cette même île se sont mis à faire de même. Plus tard encore, tous les clans de toutes les îles avaient adoptés sa pratique, alors même que les singes n’avaient aucun contact physique entre eux!

Par analogie, sa vision est que la création d’un premier cercle facilite la création d’un second, qui stimule celle d’un troisième, etc. jusqu’à la création du millionième. Son espoir est que, une fois ce seuil symbolique passé, les cercles vont avoir un impact sur toute la société, de par leur seule existence qui sera devenue incontournable. Alors, les sociétés devront prendre en compte sérieusement les valeurs des femmes engagées dans ces cercles, à savoir prendre soin à long terme de la vie, qu’il s’agisse de celle de la famille, du clan ou de la Terre mère.

Elle décrit sa vision dans ce petit livre de moins de 100 pages, avec une écriture en vers très belle et très poétique.

Dans mon passé, j’ai eu l’occasion de participer à de tels cercles et j’ai constaté qu’ils peuvent être des stimulants puissants pour des femmes qui se situent dans un parcours de vie plutôt traditionnel, pour qui l’archétype de la féminité, la maternité, le fait d’être une épouse et une mère de famille sont des choses essentielles.

C’est nettement moins simple pour des femmes atypiques, dont le parcours de vie est nettement plus queer, qui assument et expriment pleinement leur part « yang » et qui se définissent par elles-mêmes plutôt que d’attendre de compléter un hypothétique autre. Je fais partie des femmes de cette mouvance et il est possible que nous devions créer nos propres cercles, des cercles de louves et de guerrières afin de trouver notre place.

Je m’interroge aussi sur la possibilité de changer la société uniquement en atteignant un seuil donné. Je vois combien les cercles de pouvoir vivent complètement coupés du reste de la société et je peux tout à fait imaginer que ces derniers fassent tout pour entraver un changement qui les dérange et les met en cause, comme cela s’est passé face aux révolutions sociales du 2ème siècle, dont aucune n’a vraiment pu être achevée à cause de cela.

Mais cela me parait une belle vision et une belle initiative de la part de Jean Shinoda Bolen qui gagne à être connue et tentée par un nombre croissant de femmes de par le monde. C’est pour cela que j’en parle.

Il se trouve aussi que, pour une fois, le monde de l’édition francophone s’est quelque peu réveillé et cet ouvrage a enfin été traduit en Français. Comme le titre de la traduction française n’a strictement rien à voir avec le titre du livre originel, ni avec son sujet d’ailleurs, il faut un peu chercher. Mais il est disponible dans toutes les bonnes librairies:

Jean Shinoda Bolen La pratique des cercles de compassion Jouvence, 2011
Jean Shinoda Bolen
La pratique des cercles de compassion
Jouvence, 2011

 

(*) Voir: Jean Shinoda Bolen, Goddesses in every woman, Harper & Row 1984, Quill Editions, 2004

(**) Voir: Jean Shinoda Bolen, Goddesses in older women, Harper Collins 2001, Quill Editions, 2002

I have a dream

Non, je ne me prends pas pour Martin Luther King!

Mais j’ai moi aussi un rêve.

By Elkwiki (Own work) [CC-BY-SA-3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)], via Wikimedia Commons
By Elkwiki (Own work) [CC-BY-SA-3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)%5D, via Wikimedia Commons
Mon rêve, c’est qu’il y ait, près de chez moi, une forêt primaire de 50’000 kilomètres carrés et d’un seul tenant! Vierge de toute route, elle ne serait parcourue que de quelques pistes en terre. Sanctuaire pour la flore et la faune, les humains qui s’y aventureraient le feraient à leur propre risque (tout en ayant le droit de se défendre, mais uniquement en cas de nécessité absolue et en toute dernière extrémité).

C’est un rêve bizarre? Mais c’est le mien. Et le pire est que je suis intimement convaincue que sa réalisation serait largement aussi précieuse pour l’humanité que pour la faune et la flore.

Il est des lieux de la nature dans lesquels on entre comme dans une cathédrale. Cette forêt serait l’un d’entre eux. Elle serait un lieu de rayonnement, de ressourcement, d’ancrage, de quête d’appartenance et de de quête de vision comme nombre d’autres lieux sacrés.

50’000 kilomètres carrés, c’est grand. Inutile de dire que la constitution progressive d’un tel espace ne peut que susciter des résistances et des oppositions très fortes. Mais il faut une telle taille, et d’un seul tenant, pour que la vie sauvage puisse vraiment se développer, se maintenir puis se répandre.

En Europe, il ne reste plus que quelques minuscules fragments de la forêt primaire qui a jadis recouvert le continent. Il faut réparer les dégâts que nous avons fait. Ou plutôt, il faut surtout laisser la nature le faire et la protéger de toutes les interférences des humains! Et cela ne sera pas une mince affaire.

Permettre à une forêt primaire de renaître est une oeuvre de longue haleine. Peut-être un demi-millénaire, voire plus encore. C’est à l’extrême inverse de la frénésie des ruches humaines. Comment créer une organisation qui puisse agir à un aussi long terme, en évitant les dérives de toutes les organisations humaines, qui puisse s’adapter à l’évolution des sociétés dans une telle durée et qui réussissent en plus à échapper aux griffes des narcissiques, sociopathes et autre pervers qui ont une diabolique capacité à acquérir et à conserver le pouvoir dans nos sociétés? Je n’en n’ai aucune idée.

Mais c’est mon rêve. Il m’est précieux. J’ai l’audace de croire qu’il est précieux pour bien plus large que moi. Alors je le pose ici, comme une lettre ouverte à l’Univers tout entier. On verra bien ce qui en sortira.

Pour tous les êtres sur qui il m’est donné de veiller, à quelque titre que ce soit.

 

Caverne et cosmos

Michael Harner, Mama Editions, 2014
Michael Harner, Mama Editions, 2014

Avec quelques autres (Sandra Ingermann, Barbara Tedlock, etc.), Michael Harner fait partie des auteurs dont l’expérience et le sérieux en matière de chamanisme est indiscutable à mes yeux.

Publié en 1980, the way of the shaman (2011 pour la traduction française (*)) et sa définition d’un « chamanisme essentiel », commun à la plupart des traditions (et diffusé via sa fondation), a fortement contribué à faire connaître et à populariser les pratiques chamaniques auprès des personnes vivant en occident.

Sa démarche n’est, bien sûr, pas restée sans critique.

Pour les anthropologues des années 70, Michael Harner a « franchi le rubicond » et « trahi la cause » en acceptant le bien fondé des expériences des personnes des peuples premier qu’il rencontrait, en se faisant initier et en diffusant leur expérience sans la distance, la critique, le scepticisme et le paternalisme indispensable à leurs yeux.

A vouloir définir un ensemble de pratiques conçues comme « essentielles », il en a inévitablement exclu d’autres (comme, par exemple, la référence aux quatre directions de la roue de médecine et l’ensemble des expériences chamaniques spécifiquement féminines (**)). Il a sorti les pratiques qu’il considère comme essentielles des contextes culturels dans lesquelles elles existent aujourd’hui. Ceci a suscité la fureur des personnes pour qui ces éléments sont essentiels.

Quant à l’accusation qu’on lui a faite d’avoir « volé le savoir des peuples premiers » et de se contenter de « faire de l’argent sur leur dos », je sais par ma propre expérience que, pour faire fonctionner une fondation et pour financer des recherches, il faut de l’argent. Le fait de rendre les stages de la FSS payants (et à un coût raisonnable) ne signifie pas que Michael Harner se soit enrichi personnellement.

A mes yeux, le voyage chamanique dans les mondes d’en haut et d’en bas au son du tambour (et sans la moindre utilisation de substance) que définit le « chamanisme essentiel » est en effet une pratique de base. Le chamanisme ne se réduit pas à cela, bien sûr. Mais c’est un outil qui, une fois qu’il est un peu intégré, permet aux personnes qui le souhaitent de poursuivre leur chemin par elles-mêmes et avec les guides qui leur correspondront. Une correspondance avec des membres de la faculté de la Foundation for Shamanic studies m’a confirmé que c’est ainsi qu’elles perçoivent leur mission.

Trente ans après son premier ouvrage, Michael Harner vient d’en publier un deuxième, « Caverne et cosmos », fruit de ses expériences durant toutes ces années et de son parcours de vie (***). Dans ce texte, très riche, il partage ses expériences de vie qu’il juge essentielles. Certaines de ces dernières sont liées à son propre parcours de vie et à sa recherche d’esprits alliés pour pouvoir mener son propre chemin. Une autre, plus générale est que les esprits sont réels (ce ne sont pas que des archétypes), qu’ils aspirent à être reconnus et qu’ils agissent en ce sens à de nombreuses occasions.

Une autre encore est une synthèse des expériences faites par des personnes d’occident lors de voyages chamaniques. C’est un peu comme la première exploration d’un nouveau monde. La carte n’est de loin pas complète. Elle l’est d’autant moins que la manière dont chaque personne fait ce genre d’expérience est unique et personnalisée. Cela me semble néanmoins important de constater que ces personnes refont des expériences que les chamanes des peuples premiers ont fait depuis des millénaires. J’espère que cela contribue et contribuera toujours plus à ce que ces peuples soient respectés, que l’importance et la valeur de leur apport soit reconnue, que leur dignité, leurs droits et leurs terres soient tout autant pris en compte et respectés.

Il me semble tout aussi important de noter que les personnes qui entreprennent ce genre de parcours font l’expérience que nous ne sommes pas séparés des autres êtres vivants et de la nature, mais que nous formons un tout interdépendant, que nous nous devons de le respecter. Ce faisant, nous vivons un sentiment « d’être reliés » très puissant et satisfaisant.

Pour finir, cette synthèse reprend les expériences de personnes qui ont des origines fort diverses. Il est possible de venir d’un environnement chrétien, bouddhiste ou autre et de faire l’expérience de voyages chamaniques. Les résultats sont parfois surprenants et ils peuvent aider à ce que les uns acceptent mieux les expériences et les parcours des autres et réciproquement.

Bref, ce texte me parait vraiment très riche et susceptible de toucher tant les personnes qui ont déjà fait l’expérience de voyages chamaniques que les personnes qui sont curieuses ou qui s’intéressent à ce que cela peut représenter.

 

(*) Voir, Michael Harner, la voie du Chamane, Mama Editions, 2011

(**) Voir Barbara Tedlock,The Woman in the Shaman’s Body: Reclaiming the Feminine in Religion and Medicine, Bantam; reprint edition, 2005

(***) Voir, Michael Harner, Caverne et Cosmos, Mama Editions, 2014

 

 

un avant-goût d’une forêt primordiale

La Forêt primordiale, Bernard Boisson, Editions Apogée, 2010
La Forêt primordiale, Bernard Boisson, Editions Apogée, 2010

Comme l’indique l’auteur, nombre de nos forêts actuelles sont en fait des champs d’arbres et elles n’ont plus grand chose de naturel.  Morcelées, fractionnées, transpercées de routes et de chemins carrossables, ce sont bien trop souvent des espaces de production et des espaces de distraction comme les autres.

L’auteur a essayé de donner un avant-goût, une intuition de ce que pourrait être (et de ce qu’a été) la forêt continentale européenne intacte. Il l’a représentée en photographiant et en mettant en scène les quelques miettes qui en restent.

Il a essayé de donner vie à l’immensité de ce que serait cette forêt, à l’expérience que cela pourrait être pour un être humain que de s’y perdre au cours d’un voyage qui deviendrait une quête initiatique.

Les photos de cet ouvrage sont, pour moi, magnifiques. Je suis émerveillée de la manière dont l’auteur a réussi à rendre les tons doux, l’espace, les couleurs, l’atmosphère de ces fragments de forêt. Cet ouvrage est à parcourir lentement. Il faut prendre le temps de respirer, non seulement de contempler chaque image, mais aussi de se laisser contempler, nourrir par la forêt dont elle témoigne.

C’est essentiel non seulement pour nourrir notre lien à la nature, mais aussi pour donner une chance à cette forêt primordiale de renaître un jour.

Lien vers le site de l’auteur: http://natureprimordiale.org

Ressourcement au quotidien

Tryon Marshall National forets, wikimedia commons
Tryon Marshall National forets, wikimedia commons

C’est une forêt d’Europe comme les autres, avec ses jeux de lumière, ses chemins, ses oiseaux, ses clairières, ses arbres, ses chevreuils et ses visiteurs. Mais c’est celle à laquelle j’aime rendre visite tous les jours durant la pause de midi.

Je marche lentement. Je regarde, j’écoute, je sens. Je me laisse sentir et remplir de ce que je vois. Je goûte la vue des arbres et de leurs frondaisons, les zones d’ombre et de lumière, le chant des oiseaux, leur vol quand, d’aventure, je les dérange. Par moments, j’aime marcher les yeux fermés, présente aux sensations de mon corps, au contact avec le sol, à ma respiration, aux bruits et aux chants de la forêt.

Au fur et à mesure, je me sens lâcher mes préoccupations, mes colères, mes soucis, ce qui me touche et me perturbe. Je suis simplement présente et attentive. Je me retrouve intacte, avec ma fraicheur, ma douceur et ma joie de vivre d’enfant. Je goûte ma paix intérieure, le silence, ma présence toute simple à moi-même et à ce qui m’entoure.

Il y a forcément un moment où le quotidien reprend le dessus, où je dois rejoindre la mine et un rôle qui s’apparente souvent à celui d’une guerrière. Mais je le rejoins pleine de cette fraicheur. Sans tout révolutionner, elle teinte ma manière d’être, ma manière de ressentir, de recevoir et d’agir. Elle me permet aussi de mieux vivre l’après-midi et de rentrer plus paisible, plus allégée.

C’est juste un rituel parmi tant d’autres, le mien. D’autres auront besoin de sport. D’autres encore de méditation ou de tout autre chose. L’essentiel est d’arriver à trouver le sien et de le vivre très régulièrement, au quotidien. Je vous souhaite d’avoir cette chance.

 

Questions existentielles et spirituelles

Agathla Peak, Monument Valley
Agathla Peak, Monument Valley

 

La dimension de «plus grand que soi» de chaque personne lui est propre et très intime. Il me semble cependant qu’un point qui peut réunir la grande majorité des enfants doués est qu’ils sont dans l’impossibilité de se satisfaire de vérités imposées de l’extérieur et qu’il-elle-s recherchent en eux-mêmes leurs propres réponses aussi singulières soient elles.

Il est possible que certaines de mes propres réponses puissent être pertinentes pour d’autres. C’est pourquoi je les propose ici, ne serait-ce que pour qu’elles aident d’autres à trouver les leurs.

Il existe dans la nature une forme d’indétermination liée aux lois qui la gouvernent (*). Ces lois nous influencent aussi, en ce sens que je ne crois pas qu’il y ait une intention ou une finalité derrière le fait qu’un être naisse handicapé, dans une famille maltraitante ou avec quelque autre particularité. Les lois de la nature ne sont ni déterministes ni essentialistes. Ce sont nos visions de cette dernière qui le sont.

Je ne crois pas à la prédestination et je suis intimement convaincue que, malgré tous les déterminismes qui influent sur nous, nous avons une part de liberté de choix. De l’interaction de nos libertés individuelles naît nécessairement une part de hasard (d’indétermination) dans nos vies. Nous ne sommes pas sur des rails et les autres ont une existence propre, ils ne sont pas là que pour jouer un rôle ou un autre dans nos vies.

Face à certaines formes de la condition humaine, il est tout simplement naturel et légitime d’être révolté-e et en colère contre la vie. Il y a des sorts qui sont totalement insupportables et il est entièrement légitime et honorable que des personnes mettent toute leur énergie à les corriger.

A mes yeux, les formes de spiritualité patriarcales traditionnelles, encore très largement majoritaires sur cette planète, sont en train de montrer leurs limites. Profondément non respectueuses et toxiques, elles sont dans l’incapacité de répondre aux quêtes de sens de personnes qui ne se laissent plus mettre en esclavage pour servir des pouvoirs religieux qu’elles ne reconnaissent plus comme légitime. Ce mouvement est très lent, plus visible en occident qu’ailleurs, mais présent partout.

Les êtres humains sont en train de se chercher. Mais, quelles que soient les formes de nouvelles expériences spirituelles, pour être vivantes, fécondes et durables, elles se doivent d’accompagner les personnes dans la découverte et le déploiement de leur propre part de «plus grand qu’elles» plutôt que de vouloir leur imposer un paquet de l’extérieur. Elles se doivent aussi de respecter et d’inclure les formes d’expérience spirituelles féminines(**), de même que celles de toutes les personnes qui sont «atypiques» à un titre ou à un autre. Plutôt que d’isoler les personnes et de les rendre dépendantes d’une puissance à laquelle elles devraient tout (***), elles se doivent de les aider à se relier à la nature, aux autres êtres vivants, à leurs proches et à tout ce qui peut les guider dans leur parcours. Elles se doivent de respecter et de valoriser pleinement l’autonomie des personnes, y compris par rapport à leur part «institutionnelle». Il y a encore beaucoup de chemin à faire!

(*)En gros, ce qu’on appelle les mathématiques du chaos

(**) Voir, par exemple:

[Bolen, 2002] Jean Shinoda Bolen, Goddesses in Older Women: Archetypes in Women over Fifty, Harper Perennial, 2002

[Bolen, 2004] Jean Shinoda Bolen, Goddesses in Everywoman: Powerful Archetypes in Women’s Lives, Conari Press, 2004

[Gange, 2002] Françoise Gange, Les Dieux menteurs, Renaissance du livre, 2002

[Gange, 2006] Françoise Gange, Avant les Dieux, la Mère universelle, Editions Alphée, 2006

[Gange, 2007] Françoise Gange, Le viol d’Europe ou le féminin bafoué, Editions Alphéé, 2007

[Gimbuntas, 2005] Marija Gimbuntas, Le langage de la déesse, Editions des femmes, 2005

[Redmond, 1997] Layne Redmond, When the Drummers Were Women: A Spiritual History of Rhythm,
Three Rivers Press, 1997

[Schaefer, 2006] Carol Sachefer, Grandmothers Counsel the World: Women Elders Offer Their Vision for Our Planet, Trumpeter, 2006 (traduit chez Véga en 2012)

[Tedlock, 2005] Barbara Tedlock, The Woman in the Shaman’s Body: Reclaiming the Feminine in Religion and Medicine, Bantam, 2005

(***) Représenté par un dieu à la Zeus, derrière lequel se cache une institution patriarcale